d. Le ™awm de rama£…n

Ce quatrième piliers de l’islam est fréquemment mentionné dans la production missionnaire mais il n’a donné lieu qu’à peu d’études particulières. La première réaction face au rama£…n est celle d’une certaine admiration pour une pénitence si difficile surtout en été. Elle est aussitôt suivie, chez la plupart des missionnaires, mais pas chez tous 743 , d’une démarche qui tend à en relativiser la difficulté et qui dénonce l’absence de valeur religieuse de ce jeûne. On évoque alors l’importance de la coercition sociale, la débauche des nuits de rama£…n, la difficulté toute relative de l’exercice dans la mesure où certains ne travaillent pas dans cette période etc. La critique du rama£…n se concentre sur les pratiques et les déviations des fidèles sans aborder les dispositions théoriques de ce jeûne. L’article de Focà 744 est une illustration exemplaire. Il présente l’avantage pour notre étude de dresser une analyse systématique du rama£…n et d’être fidèle à la vision que nous avons pu trouver de manière plus éparse dans la production missionnaire de la période.

Sa démarche est toujours la même : il annonce qu’il part des sources musulmanes car il entend parler des musulmans comme eux-mêmes sont supposés le faire. Cependant, ses sources sont sélectives et ne s’attachent qu’à la tradition, à travers les Ÿad€ミ-s, sans donner de référence précise. Il nous est donc difficile de pouvoir les repérer, de déterminer à quelle période ils ont été rédigés et quelle valeur les musulmans leur attribuent. Certes, nous ne contestons pas le fait qu’il s’agisse d’une production musulmane à usage musulman, et qu’à ce titre ils constituent une référence. Mais le problème soulevé est celui de la décontextualisation de ces textes. Les musulmans eux-mêmes procèdent très souvent de la sorte surtout dans les milieux non lettrés. Les Ÿad€ミ-s, forgés ou non, circulent et sont tenus pour authentiques. Les orientalistes, qui se veulent des scientifiques, procèdent de manière similaire en acceptant des traditions, dont la validité n’est pas éternelle dans le monde musulman, sans les replacer dans leur contexte.

Pour une pratique comme le rama£…n, il devient dès lors difficile de faire la part entre la théorie et la pratique. Pratiques largement tributaires des traditions locales dont les fidèles sont loin d’être toujours conscients. L’absence d’une culture savante réellement autonome, qui se diffuse dans tout le monde musulman et la survie de pratiques antéislamiques, donnent aux pratiques cultuelles un caractère très « local », même si dans leurs grandes lignes les prescriptions sont observées. La gestion de cette pratique a été laissée à l’appréciation des communautés et aux juristes des différentes écoles.

Ainsi les études faites par les missionnaires se concentrent souvent sur les données extérieures, celles qui sont visibles. Focà, bon connaisseur de l’Afrique du Nord, en fait, essentiellement de certaines régions de l’Algérie et de la Tunisie, part de son vécu pour présenter le jeûne musulman. il fait de sa vision la vision générale sans prendre suffisamment en considération les différences qu’il peut exister dans un espace religieux aussi étendu que le monde musulman.

Trois grands thèmes sont abordés dans cet article : les prescriptions du rama£…n, la comparaison avec le carême et les généralités sur l’islam dont le rama£…n n’est qu’un des révélateurs. Sa conclusion se veut une méthode d’action chrétienne à adopter face aux musulmans sur ces questions mais, plus généralement là aussi, face à l’islam car les conseils qu’il donne pour le rama£…n sont applicables à d’autres actes cultuels islamiques.

Notes
743.

P. Charles, « le rude islam », Xaveriana février 1937, 4ème série, no 158, p. 39-68. Il s’agit initialement d’une conférence donnée à l’aucam de Louvain par le professeur de théologie et de missiologie (universités de Rome et de Louvain) ; p. 51sq : « Nous pouvons bien rire du Ramadan, de ce mois qui est le carême islamique, et qui ressemble assez peu au carême chrétien. Il est très vrai que, dès que la lune se montre à l’horizon, la fête nocturne commence et que l’on y ripaille ferme jusqu’au moment où l’on ne peut “distinguer un fil blanc d’un fil noir” c’est-à-dire jusqu’à la première aurore. Mais il reste que pour beaucoup de musulmans, le Ramadan reste une très dure pénitence. En effet, le mois islamique est un mois lunaire, de 29 jours ; il se déplace donc avec les années et passe lentement d’une saison à une autre. Lorsqu’il coïncide avec les époques torrides, et qu’il faut travailler dans les vignobles ou les champs de maïs et les rizières et même dans les usines sans prendre une goutte d’eau ni croquer une bouchée depuis le petit matin jusqu’au coucher du soleil ; quand on y ajoute la privation du tabac, et, chez certains même, le scrupule d’avaler leur salive ; et quand cette abstinence se prolonge tout un mois, aggravée encore par des nuits blanches et tumultueuses vraiment n’avons nous là rien qui ressemble à une pénitence et combien de nos chrétiens ne s’estimeraient pas avoir mener une vie dure s’ils étaient astreints à ce régime ? Ils font bombance pendant la nuit, soit : mais ils ont faim et soif, atrocement soif parfois, pendant la journée ; et Voltaire n’a-t-il pas ridiculisé lui aussi le jeûne catholique, en déclarant qu’il consistait tout bonnement à mettre trois repas en un seul. »

Le fil conducteur de l’auteur est de démontrer que ce n’est pas par commodité, comme certains missionnaires ont tendance à le croire, que l’on adhère à l’islam. Son article est une longue énumération des difficultés imposées par l’islam.

744.

R. Focà, « Carême et ramadan », eti juillet-août 1932, p. 233-246.