f. Le ‰ih…d, un pilier construit par l’Occident ?

Pour terminer cette description de la vison missionnaires des piliers de l’islam, nous souhaiterions aborder le thème du ‰ih…d, même s’il n’en fait pas partie, car pour les missionnaires il constitue un des éléments cultuels de l’islam.

Toujours évoquée, jamais étudiée par les missionnaires, le ‰ih…d est l’un des héritages pluriséculaires des relations islamo-chrétiennes, le plus sensible et le plus présent dans les mentalités, celui qui les conditionne.

Dans un article, Janot 767 se livre en quelques pages à une présentation de la guerre sainte dans l’islam. Le ‰ih…d, faut-il le rappeler n’est pas un des cinq piliers de l’islam même si son importance n’est pas à démontrer. Janot donne la traduction du mot, effort, dont l’acception au cours des siècles a été très variable. L’auteur commence par présenter ce qu’en dit le Qur’…n et la tradition 768 . Les premières indications datent de la période médinoise 769 . La guerre sainte y apparaît comme une obligation dont les sunnites ont relativisé le sens en le faisant porter sur l’ensemble de la communauté et non pas au niveau individuel 770 . Janot passe ensuite à l’acception moderne du mot 771 qui serait spirituelle. Les références de l’auteur sont exclusivement prises dans le monde asiatique et auprès d’écoles dissidentes comme les aŸmadiyya 772 . La conception aŸmadienne de la guerre sainte, comme nous la présente Janot, est défensive et l’auteur partage ces vues 773 . Puis, il glisse vers une définition spiritualiste du ‰ih…d, tout en étant parfaitement conscient que cette position est minoritaire : « Pour être vrai, remarquons que, même parmi les musulmans les plus distingués et les plus modernes, cette interprétation spiritualiste de la guerre sainte est loin de faire l’unanimité. » 774 . Dans le même temps, il considère qu’un certain nombre de musulmans est en train de remettre en doute la valeur religieuse de la guerre sainte : « Ils éprouvent envers cette institution – qui n’est peut-être pas coranique – le même malaise que peut éprouver un chrétien en face des exagérations de telle ou telle institution médiévale » 775 . Il fait un parallèle, tout en usant du conditionnel, entre la valeur religieuse des croisades pour les croisés et celle des guerriers musulmans pour le ‰ih…d 776 .

Ces différentes pratiques cultuelles, les missionnaires n’ont pu les décrire qu’à partir d’un référentiel masculin. La ségrégation des sexes est telle qu’ils ne peuvent avoir accès aux pratiques féminines qu’ils ne connaissent que par les religieuses.

Notes
767.

J.-E. Janot, « La guerre sainte », eti 3ème trimestre 1941, p. 147-156,

768.

Ibid., p. 148-51.

769.

Ibid., p. 148.

770.

Ibid., p. 149.

771.

Ibid., p. 151-154.

772.

Cette vision du ‰ih…d est pourfendue par Raš€d Ri£… notamment dans un de ses articles, « L’abrogation du ‰ih…d, un service rendu aux Anglais », al-Man…r 31, 7ème partie, 1931, p. 559-560, où il critique les positions des aŸmadiyya.

773.

Cf. J.-E. Janot, art. cit., p. 153.

774.

Ibid., p. 154.

775.

Ibid., p. 155. À la page 156, l’auteur livre une lecture catholique des croisades qui insistent sur la délivrance du tombeau du Christ, sur le libre accès aux pèlerins des Lieux Saints et sur la sécurité des voies de communication. Il s’agit d’un argumentaire classique pour justifier les croisades dans lequel n’apparaît jamais d’objectif de conversion.

776.

Ibid., p. 156. Les règles qur’…niques du combat « sur la voie de Dieu » – qui s’exprime selon des terminologies différentes dans le Qur’…n – contiennent de nombreuses contradictions que les musulmans ont résolu par la pratique de l’abrogation. L’acception militaire a toujours côtoyé une conception spiritualiste, celle de la lutte à mener contre soi-même. Rappelons que la colonisation a réactivé le concept et la lutte anti-coloniale s’est aussi manifestée par des appels au ‰ih…d. Les deux définitions cohabitent et s’expriment jusqu’à nos jours.