2. L’islam spirituel

Le second versant du discours missionnaire sur l’islam et les musulmans concerne la spiritualité. En effet, si les croyances génèrent des rites et une morale, elles peuvent aussi préparée le terrain d’une vie spirituelle.

Il est à noter que l’interrogation de la possibilité d’une spiritualité en islam est une donnée nouvelle dans l’approche missionnaire. Ils en distinguent trois degrés : le culte rendu aux saints locaux, les confréries et la mystique. Ces divisions ne sont pas celles du monde islamique, si nous les reprenons c’est parce qu’elles sont le classement retenus par les missionnaires. Toutefois, nous n’attribuons à ce classement aucune valeur qualitative, à la différence des auteurs étudiés qui y voient une gradation, des stades successifs.

Les confréries sont présentes dans tout le monde musulman 872 . En revanche, dans notre période d’étude et dans notre la zone géographique retenue, la littérature sur la question se concentre essentiellement sur l’Afrique du Nord et sur la Turquie : les marabouts et les derviches 873 .

Mais rares sont les articles de la période qui ne dénoncent pas les dérives des confréries. Nous n’avons choisi de ne retenir que cinq articles : trois parus dans l’ ibla et deux dans eti qui nous sont apparus représentatifs de la vison catholique missionnaire sur l’islam populaire. Le choix de ces revues se justifie par leur orientation affichée pour le monde musulman. Quant aux auteurs de ces articles, ils expriment par leurs orientations les grandes tendances des milieux missionnaires qui se font jour sur ces questions. Leurs personnalités et leurs vies sont aussi représentatives de leurs engagements respectifs.

Les deux premiers auteurs sont Demeerseman et Focà, le troisième Si Yacoub (il s’agit sous ce pseudonyme de Giacobetti 874 ).

Avec le discours missionnaire sur les confréries, on pénètre dans l’islam populaire où se côtoient pratiques antéislamiques réappropriées ou réinterprétées. La progression que nous avons choisie renverse volontairement l’ordre chronologique puisque nous commençons par 1938, puis 1928 et pour finir 1935. Pour deux des articles nous respectons l’ordre chronologique car alors il se justifie dans l’optique que nous avons privilégiée. En effet la logique que nous avons voulu mettre en avant n’est pas tant celle de l’ordre chronologique d’élaboration des discours que celle interne à l’islam. Ainsi, les articles de Demeerseman de 1938 sur les pratiques des Kroumirs concernent une pratique religieuse spontanée sans encadrement, ni théorisation. Les deux articles suivant abordent les confréries qui correspondent à un stade plus élaboré des pratiques populaires dans la mesure où ces dernières sont alors canalisées.

Notes
872.

Cf. E. DERMENGHEM, Le culte des saints dans l’islam maghrébin, Paris, Gallimard, 1954 (2ème éd.) et H. CHAMBERT-LOIR, C. GUILLOT, Le culte des saints dans le monde musulman, Paris, École française d’Extrême Orient, 1995.

873.

Nous n’avons repéré qu’un article qui traite d’un cas de dévotion populaire en Égypte, signé par Henri Ayrout, « Au Caire la dévotion à l’imam Chafei », eti juillet-août 1931, p. 251-252. Né en 767 (en palestine ou au Yémen) et mort en 820 au Caire, il est le fondateur du ma†hab š…fi’€te, qui est progressivement devenu le rite majoritaire en Égypte. Son tombeau fait l’objet d’une vénération toute particulière qui est rappelée par l’article d’Ayrout, des prières lui sont adressées de toute l’Égypte et déposées sur sa tombe (ibid., p. 251). Nous avons là un exemple typique de dévotion populaire avec le recours à l’intercession du saint. « Et cette prière dans toute sa naïveté, cette prière que les habiles exploitent, est peut-être plus profonde que l’hommage de prostration rituelle parce qu’elle est un appel du cœur. » (ibid., p. 252). Cette prière, Ayrout l’estime meilleure que la prière rituelle, car elle semble plus proche de ce qu’il considère être la prière chrétienne.

874.

Voir la note 964.