b. La mission en chiffres

Il est très difficile de quantifier l’apostolat auprès des musulmans tant en terme de conversions, qu’en terme de missionnaires effectivement destinés à leur évangélisation. Si les pères blancs ont été fondés dans cette optique, tous ne se sont pas occupés de l’évangélisation des populations musulmanes. Toutefois nous disposons de données sur la mission de Kabylie et sur les villages chrétiens en 1931 que nous rendons sous forme de graphique :

Activité apostolique des pères blancs de la mission de Kabylie, 1931
Activité apostolique des pères blancs de la mission de Kabylie, 1931

Source : A. Philippe, Missions des pères blancs, Dillen & Cie, Paris, 1931, p. 143.

Source : A. Philippe, Missions des pères blancs, Dillen & Cie, Paris, 1931, p. 141.

Nous pouvons, aussi, donner le nombre de missionnaires présents au début des années 1930 et le nombre de baptêmes d’adultes entre 1905 et 1950. Après cette date les pères blancs cessent de publier ces chiffres. Pour les premiers chiffres nous nous référons à un ouvrage publié en 1930 par Antony Philippe 1117 . Le nombre des missionnaires est de : 5cinquante-deux pour la Tunisie, douze pour l’Algérie, trente-neuf pour la Kabylie, vingt-sept pour le Sahara ; celui des chrétiens est de 165 en Algérie, ceux sont ceux de sainte-Monique et de saint-cyprien, les villages des orphelins de la famine de la fin des années 1860, de soixante-cinq en Tunisie où ils se concentrent à la ferme de Thibar et sont constitués par des orphelins ramenés d’Algérie, en Kabylie ils sont 633 et cinquante au Sahara. nous avons représenté les baptêmes d’adultes dans un graphique :

Conversions au christianisme en Algérie, 1905-1950
Conversions au christianisme en Algérie, 1905-1950

Source : Rapports annuels de la société des missionnaires d’Afrique

Ont été pris en compte les baptêmes d’adultes entre 1905 et 1950 indiqués dans les r apports annuels de la société des missionnaires d’Afrique analysé entre 1905 et 1950 1118 . La seule constante du graphique est son irrégularité : les conversions ne semblent obéir à aucune règle. Le maximum de baptêmes d’adultes à été obtenu en 1912 et il s’élève à cinquante et un. Sur l’ensemble de la période, soit quarante-cinq ans, il y eu 650 baptêmes d’adultes.

Nous ne disposons pas de données aussi précises pour les autres congrégations. Pour les jésuites, il est difficile de déterminer avec précision le nombre de ceux destinés à l’évangélisation des musulmans car officiellement tel n’est pas leur rôle 1119 , tout comme les dominicains dont la présence dans le monde arabo-musulman est limitée. En ce qui concerne les conversions, pour les dominicains nous n’avons aucune information et pour les jésuites nous avons un seul document à notre disposition 1120 . Nous le reproduisons in extenso : « Un dossier de convertis musulmans au christianisme a été supprimé. Il comprenait 22 cas personnels, avec pour la plupart un curriculum vitæ, ainsi répartis :

3 druzes, 2 alaouites, 2 shiites iraniens, 8 syriens, 1 turc, 2 iraniens, 2 égyptiens, le reste libanais.

Quant aux affaires traitées dans la correspondance :

pour 4 d’entre eux il est question d’aide aux études (3 sont boursiers de l’usj)

12 sont aidés financièrement (œuvres missionnaires, Mary Kahil, Massignon)

7 sont des cas d’intervention pour embauche au travail

2 sont présentés comme exploiteurs de la situation

2 enfin ne rentrent dans aucune de ces catégories (un cas de mariage mixte, un converti devenu Père Blanc).

La plupart de ces personnes sont de milieu modeste et même très modeste.

N’a été gardé que le dossier d’un cousin du P. El-Marachli 1121 , où le P. de Bonneville explique sa manière de juger et de faire, et celui d’Ibrahim Sallam 1122 , P.B. d’origine alexandrine, dont le P. de Bonneville ne s’est pas directement occupé.

Tous ces dossiers datent de la période où le P. de Bonneville était supérieur de la mission. »

Les chiffres que nous avons recensés, même si leur fiabilité ne peut être garantie de manière absolue car ils émanent de documents uniques et n’ont pas pu être confrontés avec d’autres documents, sont révélateurs d’une situation décrite par tous les missionnaires : les musulmans ne se convertissent pas au catholicisme en grand nombre. À notre connaissance, les conversions ne sont pas plus abondantes dans les autres branches du christianisme. Même si nous ne disposons pas d’autres documents, l’ordre de grandeur du nombre des convertis est recevable. si la situation était très différente nous en aurions indirectement trouvé trace dans les publications des musulmans. Or, ces derniers, nous le verrons en troisième partie, s’ils dénoncent les activités des missionnaires, ne laissent à aucun moment entendre que les conversions sont nombreuses.

Les missionnaires sont conscients de la situation et veulent y remédier en commençant par s’interroger sur les raisons de ce qu’ils estiment être un échec.

Notes
1117.

A. Philippe, Missions des Pères Blancs, Tunisie, Algérie, Kabylie, Sahara, Paris, Éd. Dillen, 1930.

1118.

Ils sont tous disponibles aux archives de la maison généralice, le premier rapport publié date de 1905-1906.

1119.

AJV, M Ly 138/3, document de deux pages dactylographiées de janvier 1945, non signé : le document retrace l’histoire de l’ordre en Égypte en quelques lignes et indique pour l’année 1945 le nombre de trente-deux pères ou frères présents. Dans ce pays la Compagnie ne dispose d’aucune maison de formation.

1120.

Il se trouve aux archives du collège de la Sainte-Famille. En fait, c’est l’unique document qui « officiellement » mentionne les convertis. Au hasard du dépouillement nous pouvons rencontrer quelques allusions aux conversions comme dans une lettre du 6 novembre 1928 du père Lebon écrite depuis Alep et dont le destinataire n’est pas indiqué : « Dans notre ville d’Alep, voilà six baptêmes d’adultes, depuis mon arrivée, sans qu’aucune poussée humaine y ait aidé. », AJV, RPO 40 dos. 1 113a.

1121.

Histoire de la conversion du cousin du frère Marachli :

Seuls deux dossiers de convertis ont été conservés par le père Martin. Le premier est celui d’Ibrahim Sallam, père blanc, qui complète son autobiographie, et le second est celui d’un cousin d’un frère jésuite. Ce second dossier se compose d’une correspondance entre différents acteurs religieux autour des modalités pratiques de la conversion. Au-delà du cas particulier que retrace les documents, ce sont les réactions face à la conversion d’un musulman au catholicisme, qui retiennent notre attention dont nous souhaitons tirer quelques enseignements.

La première lettre du corpus est une mettre du père Marachli du 31 décembre 1935 qui expose la situation : son cousin présente de bonnes dispositions à l’égard de la religion chrétienne ; son instruction a commencé mais pour des raisons religieuses, la nécessité d’être dans un environnement catholique, et des raisons sociales, la pression exercée par le milieu musulman, il faut l’éloigner de Damas. Marachli insiste sur le rôle capital que pourrait jouer cet aîné de famille s’il se convertissait. Le jésuite requiert pour son cousin, dans l’éventualité où ses intentions religieuses se confirmeraient, un poste d’ouvrier à l’imprimerie catholique de Beyrouth.

Dans une deuxième lettre en date du 20.01.1936, il confirme la vocation de son cousin. Et sollicite à nouveau un emploi pour ce dernier. Son argumentaire dépasse, cette fois, le cas personnel de son cousin : « Je vous ai parlé mon Révérend Père dans une lettre précédente de mes souhaits de former les catéchumènes musulmans en vue d’un apostolat laïc futur : si cela vous semble sage voici à présent une famille qui peut nous fournir 5 personnes [...] ».

C’est dans le troisième document que nous apprenons que sa demande a été rejetée. Il s’agit d’une lettre de de Bonneville du 24 avril 1936 dans laquelle l’auteur n’approuve pas la réaction de son confrère, que nous n’avons pas réussi à identifier, sur la fin de non recevoir faite au cousin de Marachli. Lui aussi élargi la problématique : « Il s’agit de savoir si des Musulmans voulant se convertir, ou se faire instruire, trouverons chez nous des cadres qui les accueillent, si nous accepterons de courir les risques que cette entreprise comporte, ou bien si, au contraire, nous laisserons cette audace aux seuls Protestants, et si nous douterons de la grâce du Christ. ». De Bonneville demande à son correspondant de bien vouloir reconsidérer l’affaire et d’accepter de rencontrer le cousin de frère Marachli. Il explicite clairement sa position en précisant que ses préoccupations ne portent pas sur l’admission de Rached (cousin de Marachli) comme ouvrier à l’imprimerie mais sur la question plus importante de la gestion des convertis venus de l’islam.

Ce refus ne décourage pas le frère Marachli qui continue de plaider la cause de son cousin dans une lettre du 10.05.36., en insistant sur le nécessaire éloignement de Damas où sa situation s’aggrave. Il demande à ce qu’on le fasse partir pour la France. Cette dernière proposition semble difficile à contenter dans la mesure où les conditions requises pour l’obtention d’un emploi en France posent des problèmes (ACSF, lettre du 15 mai 1936 auteur non identifié, lettre du père Klein du 18.05.1936 : « Il [Marachli] imaginait même que je pourrais le faire venir en France. Même si nous avions toutes les garanties morales désirables, on introduit pas aujourd’hui de la sorte un ouvrier en France. Il faut des contrats avec des patrons déterminés et des approbations préfectorales qui sont refusées si l’immigration doit accentuer le chômage national. »).

Les jésuites sont donc très prudents vis-à-vis des conversions de l’islam même s’il existe une personne à Beyrouth destinée à s’en charger : « À Beyrouth le Père AGIA est théoriquement chargé de s’occuper des Musulmans convertis ou en voie de conversion [...] » (ACSF, lettre de Klein du 18.05.1936). C’est la première fois que nous trouvons une si nette affirmation de l’existence de la gestion des convertis. D’autres documents doivent se trouver à Beyrouth dans les archives des jésuites ainsi qu’à Rome.

1122.

On peut trouver à la côte B3 SLM aux archives de la maison généralice des pères blancs à Rome un document de 18 pages dactylographiées, intitulé « Autobiographie du R.P. Joseph Sallam P.B. Un converti à la religion Mahométane ».