b. Quels rapports avec les chrétiens ?

Le mariage

La question adressée au šay¢ est de savoir s’il est permis de se marier à une chrétienne étant donné qu’elle croit au caractère divin du Messie 1602 . La question, en soi très anodine, est curieuse car le mariage avec une chrétienne ou avec une juive est licite et l’écrasante majorité des musulmans le savent. Mais l’auteur de la question a ajouté un élément fondamental : étant donné qu’elle croit à la divinité du Messie. De facto, elle risque de passer dans la catégorie des associatrices i.e. de ceux qui associent à Dieu quelqu’un et dans ce cas selon 2, 220 1603 elle ne peut être prise pour femme par les musulmans. Le rédacteur en chef d’al-Man…r a parfaitement compris le problème : « Oui. Quand dans la sourate de la Table 1604 Dieu nous a permis les relations sexuelles avec les femmes de ahl al-kit…b, il savait que seules une infime partie de ces femmes croyaient à la divinité du Messie » 1605 . En effet il peut y avoir confusion apparente entre, d’une part, la possibilité d’épouser des chrétiennes et l’interdiction d’épouser des associatrices et, d’autre part, l’assimilation des chrétiens aux associateurs sous prétexte qu’ils croient à la divinité du Messie. Il pratique une exégèse destinée à sauvegarder le texte qur’…nique de toute contradiction. Il est clair que les chrétiens, même du temps du prophète de l’islam croyaient en la divinité de Jésus, à l’exception de rares groupes. D’aucuns interprètent de manière restrictive les bonnes dispositions du Qur’…n à l’égard des chrétiens. Les chrétiens qui sont loués seraient ceux en passe de se convertir. Les non-associationnistes seraient ceux qui ne reconnaissent pas la divinité de Jésus. Cette lecture rejette l’écrasante majorité des chrétiens dans les rangs des polythéistes, avec toutes les conséquences qui en découlent. Il nous semble que la tradition pluriséculaire est basée sur un compromis qui a permis la cohabitation. En fait la manière dont les chrétiens se définissent fait d’eux, selon des critères qur’…niques, des polythéistes. Or, les musulmans n’ont pas appliqué une lecture restrictive mais littérale : la dénomination de chrétiens du Qur’…n a été prise dans son sens large. La question posée à Raš€d Ri£… est, elle, au contraire, connotée dans le sens d’une lecture exclusive et non inclusive des chrétiens. Il ne reste alors que peu de possibilité au rédacteur en chef pour soutenir une pratique séculaire.

Tout comme le mariage, les dispositions relatives à la ‰izya font l’objet de questions de la part des lecteurs de la revue et Ri£… donne rapidement son opinion dans un article : « Imposer la ‰izya à ahl al-kit…b et obliger les Arabes à adopter l’islam » 1606 . Il traite le sujet rapidement en se référant aux premiers siècles de l’islam et en rappelant que les tributaires n’ont jamais désapprouvé le paiement de cet impôt. Il ne nous donne pas son opinion sur la suppression de cette taxe 1607 . Il faut rappeler que la ‰izya n’existe plus dans toutes les anciennes provinces de l’Empire ottoman depuis le milieu du XIXème siècle suite aux réformes. Cette question atteste de l’existence d’une législation en décalage avec son opinion publique. Alors que dans légalement il n’est plus question de †imm€, terme spécifique de la cité islamique, des musulmans continuent à s’y référer.

Notes
1602.

Al-Man…r, « Le divorce par colère et le mariage avec une chrétienne », al-Man…r 27, 9ème partie, 1926, p. 662. La question est posée par AŸmad MandŽr.

1603.

2, 220/221 : « N’épousez point les Associatrices avant qu’elles ne croient ! Certes, une esclave croyante est mieux qu’une Associatrice, même si celle-ci vous plaît. Ne donnez point [vos filles] en mariage aux Associateurs avant qu’ils ne croient. certes, un esclave croyant est mieux qu’un Associateur même si celui-ci vous plaît. »

1604.

Dans 5, 7/5 : « [Licites sont pour vous] les muŸ™ana [ du nombre] des Croyantes et les muŸ™ana [ du nombre] de ceux à qui l’Ecriture a été donnée avant vous [...] ».

1605.

Al-Man…r, « Le divorce par colère et le mariage avec une chrétienne », p. 662.

1606.

Al-Man…r, « Imposer la ‰izya à ahl al-kit…b et obliger les Arabes à adopter l’islam », al-Man…r 27, 7ème partie, 1926, p. 499-450.

1607.

Cette taxe est une des première des obligations des juifs et des chrétiens dans la société islamique traditionnelle. Elle est le garant de leur vie, de leurs biens et de leur foi. Le Qur’…n la mentionne à 9, 29 : « Combattez ceux qui ne croient point en Allah ni au Dernier Jour [qui] qui ne déclare pas illicite ce qu’Allah et son Apôtre ont déclaré illicite, [qui] ne pratiquent point la religion de Vérité, parmi ceux ayant reçu l’Ecriture ! [Combattez-les ] jusqu’à ce qu’ils paient la jizya, directement (?) et alors qu’ils sont humiliés. » Une note précise qu’il ne s’agit pas de l’impôt de capitation, tel qu’il est imposé par la suite sous le vocable de ‰izya, mais d’une taxe qui porte sur les personnes et sur les terres.