a. La mise en garde

Zwemer : fer de lance de l’apostolat protestant

L’un d’entre eux est particulièrement repérable, Samuel Zwemer 1632 . L’article reproduit par la revue de l’Université d’al-Azhar est une sélection de passages d’un article de ce dernier paru dans Moslem World d’avril 1931 1633 . En substance l’article du pasteur est une rétrospective de la présence missionnaire dans le monde. L’auteur attire l’attention sur le fait que les zones où les missionnaires sont absents se situent dans une aire islamique : Afghanistan, Nord-Est de l’Azerbaïdjan, Perse, la zone frontière de la frontière turque où se trouvent des Kurdes, la péninsule arabique, le Nord-Ouest de l’Iran, le Bengale, la Birmanie, La Malaisie, l’Europe du Sud, l’Ouest africain français, les Emirats du Nord du Niger 1634 etc. Zwemer présente des zones où se trouvent des chrétiens mais où aucune mission n’est destinée aux musulmans, comme la Russie. Pour conclure, le Soudan lui apparaît une bonne base de départ pour mener l’évangélisation de l’Afrique 1635 . Ce pays, aux yeux du pasteur, possède des atouts d’un point de vue géographique et humain car il pense que la population peut être préparée à évangéliser l’intérieur du continent. La conclusion revient à MuŸammad al-—us€n€ Ra¢… : « C’était le résumé de l’article signé par Zwemer. En le traduisant en arabe nous espérons avoir accompli un devoir envers nos frères de ces pays pour qu’ils prêtent attention à tous ceux qu’ils reçoivent dans leurs maisons. “Ils veulent éteindre la lumière de Dieu mais Dieu veut que sa lumière reste, même si les infidèles la haïssent.” » 1636

Les musulmans ne font pas toujours la distinction entre catholiques et protestants, et entre les diverses branches du protestantisme. Dans le cas présent, n’apparaît à aucun moment le fait que Zwemer soit protestant, la terminologie vise les missionnaires sans distinction.

La da‘wa (« mission ») 1637 ne repose pas en islam sur les mêmes structures que la mission dans le christianisme, du moins jusqu’au XXème siècle. Il n’existe pas de corps spécifiquement destiné à évangéliser les peuples. Les conversions s’opèrent le long des voies commerciales car tout voyageur musulman est un prosélyte potentiel. Certes, on peut aussi repérer dans l’histoire de la diffusion de l’islam l’existence « d’ordres religieux », militaires 1638 ou non 1639 , voués à cet apostolat, mais rien de semblable aux congrégations catholiques.

Dans l’entre-deux-guerres 1640 , l’idée de groupes de prédicateurs spécialisés commence à germer et al-Azhar possède des sections en vue de leur formation. des groupes de missionnaires musulmans partent en Asie 1641 , mais nous ne savons rien des résultats obtenus. Avec les Frères Musulmans, nous avons des prédicateurs qui, dans un premier temps, se sont intéressés à « la mission de l’intérieur » et dont l’élan se confirme dans le monde entier dès la fin des années 1950. C’est surtout dans le second XXème siècle que se structure la da‘wa isl…miyya 1642 .

L’analyse du pasteur Zwemer est à mettre en parallèle avec les travaux du Comité d’études islamiques et la missio islamica des jésuites. Le constat est identique et les solutions préconisées se rejoignent au moins sur un point : il faut investir le terrain. L’impact d’un tel article sur la population musulmane est sans nul doute considérable.

Notes
1632.

Voir plus haut.

1633.

M. al-—us€n€ Ra¼‚,art. cit.

1634.

Ibid., p. 71sq.

1635.

Ibid., p. 72.

1636.

Ibid., p. 73.

1637.

Cf. M. Canard, « Da‘wa », ei II, p. 173-176 ; p. 173 : « [...] signifie d’abord appel, invitation. Dans le „ur’…n, XXX, 24, il s’applique à l’appel aux morts pour les faire sortir de la tombe au jour du Jugement. Il a aussi le sens d’invitation à un repas et par suite celui de repas d’invitation. », p. 174 « Au sens religieux, la da‘wa est l’invitation adressée aux hommes par Dieu et les prophètes, à croire en la vraie religion, l’Islam („ur’…n,XIV, 46). »

Cette définition met en évidence l’inexistence de ce concept de mission dans le sens chrétien du terme car le mot utilisé dans le second XXème siècle est une extension poly sémantique d’un terme. Bref, il n’y a pas de mot spécifique et celui choisi n’est pas forcément très représentatif de la notion.

1638.

Cf. les Almoravides.

1639.

Nous pensons aux nombreuses confréries ™Žf€-s.

1640.

Même avant si l’on songe à l’initiative de Ri£….

1641.

Dans un article paru dans l’ ibla d’octobre 1937, « L’islam et les intouchables de l’Inde » par G. L., p. 70-74, on apprend qu’al-Azhar a envoyé une mission pour étudier la situation des intouchables, rechercher les modalités d’une conversion à l’islam et se rendre compte de la situation des musulmans indiens. La mission partie en décembre 1936, est de retour en mars 1937. Elle a abouti à la conclusion que les musulmans indiens manifestent peu de zèle en vue de la conversion des intouchables, et que leur état de pauvreté laisse la place à une initiative extérieure.

1642.

Si la mission musulmane prend un aspect institutionnel après la seconde guerre mondiale, la réflexion sur le sujet est antérieure : « Les écoles réformistes modernes ont élaboré une véritable doctrine de l’apostolat islamique à partir de cette exhortation coranique d’“appeler à Dieu”. C’est au réformateur algérien Ibn B…d€s que nous emprunterons les points essentiels de cette doctrine : “C’est une obligation pour chaque musulman d’appeler à Dieu . Il faut prêcher et sans cesse prêcher, dut-on n’être suivi par personne. C’est Dieu qui guide ou égare ; ce qui nous incombe à nous c’est de transmettre” (le message coranique). L’auteur énumère ensuite les différentes modalités de cette mission d’“appeler à Dieu”. Nous en retiendrons celles qui réfèrent précisément à l’action missionnaire : “C’est appeler à Dieu que de manifester les arguments de l’Islam, réfuter les idées fausses entretenues à son sujet, faire connaître ses beautés parmi les non-musulmans afin qu’ils y adhèrent, et parmi les Musulmans peu convaincus pour les fortifier dans la foi. ”. “Appeler à Dieu consiste également à organiser des missions pour les peuples non musulmans, à diffuser parmi eux au moyen de leurs langues, les enseignements de l’Islam, à envoyer des moniteurs aux populations musulmanes illettrées pour les éclairer et les instruire dans leur religion.”. Pour Ibn B…d€s, ces différentes manières d’appeler à Dieu ont toutes leurs principes dans la tradition du Prophète, dans la pratique historique de ses disciples et des grandes autorités morales du premier âge de l’Islam. » (A. Merad, L’islam contemporain, p. 117sq.).