b. L’affaire soudanaise, une affaire sans affaire

Dans « Christianisme et islam au Soudan » 1656 , les échos du précédent article sont perceptibles. La plus haute autorité de l’université prend position : le recteur al-Mar…チ€.

F. Costet 1657 nous a communiqué quelques renseignements biographiques sur al-Mar…チ€ (1881-1945). Il est né en Haute-Égypte et obtient la ‘alamiyya en 1904. Entre 1904 et 1919 il est au Soudan où il a été nommé q…d€ sur proposition de MuŸammad ‘Abduh. En 1906, il est q…d€ à Khartoum et en 1908 grand q…d€ du Soudan. À son retour en Égypte en 1919, il devient inspecteur général des tribunaux islamiques au ministère de la justice. En 1920, il est nommé président du tribunal islamique, en 1923 il est membre et président de la cour suprême islamique. Il conserve cette charge jusqu’en 1928, année de sa nomination comme šay¢ d’al-Azhar d’où il démissionne en 1929. Entre 1929 et 1935, il exerce différentes fonctions au sein de la magistrature avant de terminer sa carrière comme šay¢ d’al-Azhar de 1935 à sa mort en 1945. Lors de son premier mandat de šay¢ d’al-Azhar il projette la création d’un journal de l’université. Mais, il revient à son successeur de le réaliser, le šay¢ al-Zaw…hir€. À son retour en 1935, il modifie le titre initial de NŽr al-Isl…m en Ma‰allat al-Azhar.

L’année 1936 est très agitée du point de vue politique par le nouveau traité anglo-égyptien, où les Égyptiens ne voient aboutir qu’une partie de leurs revendications. Le statut du Soudan 1658 s’achemine vers une autonomie de fait au détriment de l’Égypte et d’une intensification de la présence britannique. Zwemer en faisait le lieu par excellence du développement de l’évangélisation.

Le recteur proteste au nom d’al-Azhar auprès du président du Conseil sur les mesures vexatoires et les restrictions religieuses dont les musulmans du Soudan seraient victimes au profit des missionnaires chrétiens. L’affaire a été ébruitée par des journaux et a provoqué de vives émotions chez les étudiants et les professeurs de la prestigieuse université. La lettre écrite par le recteur au président du Conseil et la missive que ce dernier a adressée au gouverneur général du Soudan est reproduite dans la revue. Le télégramme du président du Conseil met en évidence quatre des points avancés par le recteur : « 1. l’interdiction faite au musulman du sud d’être accompagné par son épouse et de ses enfants lors de ses voyages en dehors du sud. 2. l’interdiction faite aux musulmans de faire leurs cinq prières quotidiennes. 3. l’obligation de célébrer les deux fêtes du ‘€d al-fiマr 1659 et du ‘€d al-a£h… 1660 dans un seul et même jour et en même temps tandis que la fête chrétienne est célébrée pendant quatre jours. 4. l’appui financier pour les missionnaires avec de l’argent payé par les musulmans au gouvernement.

Ces informations ont révolté l’opinion publique égyptienne et surtout les ‘…lim-s et les étudiants d’al-Azhar. [...]. » 1661 La réponse du gouverneur est claire : rien de toute cette affaire ne trouve de fondements dans la réalité 1662 .

Cependant, la situation des missions chrétiennes au Soudan peut, en partie, expliquer les inquiétudes musulmanes. Les autorités britanniques ont mis en place une politique religieuse dès la fin du XIXème siècle qui distingue le Sud du Nord du pays. Dans le Nord, les missions chrétiennes sont interdites alors qu’elles sont autorisées dans le Sud et que les différentes églises se voient attribuer un territoire 1663 . De plus, « l’éducation fut donnée aux populations en anglais, de manière systématique à partir de 1918. L’enseignement de l’arabe et la propagation de l’islam furent découragés par diverses mesures, comme la création du Corps équatorial (Equatorial Corps), composé uniquement de soldats originaires du Sud (1910), qui remplaça les troupes égyptiennes ; cette opération fut achevée en 1917. » 1664 Cette politique est poursuivie après la première guerre mondiale puisque deux lois en 1922, celle sur les passeports et celle sur les zones fermées, donnent au gouverneur le pouvoir d’interdire la libre circulation des personnes entre certaines régions, notamment entre le Sud et le Nord 1665 . Il faut aussi savoir qu’une loi, en 1925, interdit aux musulmans de circuler ou de commercer dans le Sud 1666 . Parallèlement à cette politique de restriction, une politique de soutien aux missions chrétiennes est mise en œuvre notamment dans le domaine de l’enseignement 1667 .

Ce contexte peut, en partie, expliquer les réactions musulmanes, même il s’avère qu’il ne s’agit, finalement, que de rumeur.

Notes
1656.

Ma‰allat al-Azhar, « Christianisme et islam au Soudan », Ma‰allat al-Azhar vol. 1, no 7, 1936, p. 650-652.

1657.

F. Costet a soutenu un mémoire de dea à l’inalco en 1996, sous la direction de G. Delanoue : « Al-Azhar à l’époque du šay¢ al-Maraチ€, 1928-1929 ».

1658.

Pour diverses raisons exposées par H. Bleuchot (« Le Soudan au XIXème siècle », », in M. Lavergne [éd.], Le Soudan contemporain, Paris – Amman, Karthala cermoc, p. 117sq.), MuŸammad ‘Al€ entreprend la conquête du Soudan. La conquête ne sa fait pas sans peine, mais à partir de 1826 le pays est sous administration égyptienne. Deux des gouverneurs généraux, durant le XIXème siècle, sont des Européens, dont Gordon Paša entre 1876 et 1879. Son successeur doit faire face au soulèvement mahdiste. La mort du mahd€ en 1885 ne met pas un terme à l’existence de son état, qui ne tombe sous les coups de l’armée de Kitchener qu’en 1896. Le 19 janvier 1899, un traité anglo-égyptien établit un condominium. Si en théorie il s’agit d’une souveraineté conjointe, dans la pratique les Britanniques contrôlent tout.

Lors du premier traité d’indépendance de l’Égypte, en 1922, la question soudanaise est renvoyée à des négociations ultérieures. Avec l’assassinat, au Caire, en 1924, de Lee Stack, gouverneur général du Soudan et sirdar de l’armée égyptienne, la présence égyptienne est considérablement restreinte. « [...] la politique décidée par l’équipe de Lee Stack continua : déségyptianisation du Nord, désislamisation du Sud, et, partout, décentralisation et recours aux élites traditionnelles. » (H. Bleuchot, « Le Soudan anglo-égyptien », in M. Lavergne [éd.], Le Soudan contemporain, Paris – Amman, Karthala cermoc, p. 190). C’est la politique de l’indirect rule, caractéristique de la colonisation britannique, qui est menée au Soudan jusqu’en 1944.

1659.

Fête de la rupture du jeûne du ramadan.

1660.

Fête du sacrifice.

1661.

Ma‰allat al-Azhar , « Christianisme et islam au Soudan », p. 651sq.

1662.

Ibid., p. 652.

1663.

Cf. H. Bleuchot, art. cit., p. 175.

1664.

Ibid., p. 176sq.

1665.

Ibid., p. 188.

1666.

Ibid., p. 194.

1667.

Ibid. : « Les missions chrétiennes furent subventionnées et leur système éducatif se développa considérablement : le nombre des écoles primaires qui étaient de 13 en 1926, passa à 44 en 1932 ; celui des écoles préparatoires passa de une à trois durant la même période. »