B. Les points d’accord

Ils se font généralement autour de trois thèmes : les buts de l’association, la conception de la religion et la nécessité de diffuser leurs idées.

a. Les buts de l’association

Il semble assez logique qu’il existe un terrain d’entente quant à l’orientation du groupe. En fait, sans retrouver de manière explicite les articles des statuts, l’esprit de l’association se retrouve dans toutes les rencontres, mais est clairement explicité dans certains cas.

Pour ces hommes, profondément religieux, le problème central de la coexistence entre différentes confessions, réside dans la compréhension réciproque de chacun. Nous touchons là au cœur du groupe qui consiste à mieux se connaître pour mieux se comprendre. C’est d’ailleurs l’objet d’une des toutes premières rencontres 2090 où Kam…l F…’id suggère que chacun des membres propose ce qui peut être utile à la bonne compréhension de sa religion ou celles des autres afin de déterminer, ensemble, les problèmes par étapes. Le désir de compréhension est motivé par le respect mutuel car ils savent qu’il ne peut exister d’accord total entre le christianisme et l’islam 2091 . Mais, les Frères de la pureté pensent que par l’étude et la connaissance de la religion de l’Autre ils parviendront à la compréhension 2092 . compréhension qui sera d’autant plus aisée que chacun restera dans sa foi 2093 . cette fidélité qui « développe le côté spirituel et renforce le partage des sentiments communs et rend plus proche une personne d’une autre religion » 2094 . C’est sur le terrain de la croyance que les hommes se rencontrent et c’est quand l’esprit religieux disparaît que les tensions interconfessionnelles se font jour 2095 . Certains vont plus loin en affirmant que « les croyants malgré leurs différences religieuses sont plus proches que les frères non pratiquant de la même religion » 2096 . Le dénominateur commun entre ces hommes est d’être des croyants convaincus mais aussi des humanistes. L’absence de différentiation religieuse dans le fait de croire est révélatrice d’un état d’esprit novateur et précurseur. La rencontre se fait au niveau de la croyance en Dieu, donc au niveau de l’homme-croyant et non pas au niveau de l’homme-confessionnel. Cela est rare dans cette période, tant chez les chrétiens que chez les musulmans.

La compréhension passe aussi par la clarification des opinions 2097 . À l’occasion de la 20ème rencontre et suite à d’âpres discussions sur des questions de dogmatique chrétienne, il est rappelé que « l’ensemble des membres s’est mis d’accord sur le fait que les différents avis sont bien clarifiés et c’est le but que les membres voulaient atteindre ». Il arrive, rarement, que les échanges soient vifs, même si les comptes rendus sont très laconiques quand cela se produit 2098 , car une des règles du groupe est le devoir de s’exprimer librement 2099 . La tonalité générale de toutes les séances est la très grande liberté d’expression de chacun. Elle est possible grâce aux liens d’amitié et d’entraide qui unissent les membres. Ils participent, à leur niveau, à l’étape à venir des relations entres les deux religions et qu’ils appellent de leurs vœux : « la réconciliation est-elle une fin de conflit, une entraide, une unification des avis ou carrément des religions ? Pratiquement la réconciliation au sens de l’unification est impossible. Nous avons dépassé la première phase qui est la fin des conflits. Mais le deuxième qui est basée sur l’entraide et l’amitié n’a pas encore été entamée. » 2100

L’ensemble des buts est rappelé de manière explicite lors de la rencontre du 2.05.1942 pour répondre aux rumeurs qui font de l’association un instrument de destruction des piliers de l’islam. C’est la seule allusion de ce type que nous ayons rencontrée et le texte n’est guère plus précis sur l’origine et la manifestation de cette rumeur. L’unique indication portée à notre connaissance se trouve dans un des articles d’Anawati 2101 et ne concerne pas forcément cet épisode. Nous la reproduisons cependant car elle a dû avoir des fondements identiques : « Il paraît que, un jour, il [šay¢ Muhammad Moussa] fut mandaté par le recteur de l’Azhar, à l’époque le šay¢ al-Maraghi, qui lui dit être quelque peu surpris d’apprendre qu’il y avait des réunions régulières qui se tenaient entre chrétiens et musulmans. Le šay¢ Moussa lui expliqua le but de l’association, – en lui faisant remarquer que sa foi musulmane n’était pas en danger, et qu’il fallait montrer à l’intelligentsia chrétienne que l’Islam ne craignait pas la discussion scientifique. Le recteur l’encouragea à continuer. » 2102 En revanche, il apparaît évident que les critiques émanent des milieux musulmans ; nous n’avons pas trouvé de critique semblable du côté chrétien dans les sources consultées. La rencontre est donc l’occasion de réaffirmer les convictions des confrères : refuser toute forme d’imitation, rejeter catégorique l’intégrisme, favoriser l’utilisation de la pensée et viser à la concorde entre les différentes religions 2103 .

Qu’il y ait accord du groupe sur les buts de l’association semble naturel. Par contre, au delà des confessions, se dégage aussi une idée commune de la religion.

Notes
2090.

6ème rencontre du 2.04.1941.

2091.

Rencontre du 20.12.194.

2092.

Ibid.

2093.

Ibid.

2094.

Ibid.

2095.

Ibid.

2096.

Ibid.

2097.

20ème rencontre du 3.12.1941.

2098.

Est-ce par soucis de se focaliser sur les points d’entente, est-ce la fidèle traduction de la réalité ? Nous optons volontiers pour la première interprétation tout en étant convaincu que la vivacité des discussions devaient être rares et que la courtoisie des intervenants laisse peu envisager les débordements.

2099.

23ème rencontre du 14.01.1942.

2100.

62ème rencontre du 1.05.1944.

2101.

G.C. Anawati, « Pour l’histoire du dialogue islamo-chrétien... ».

2102.

Ibid., p. 388.

2103.

Rencontre du 2.05.1942.