C. « Nous avons tant de choses à nous dire... »

Le dialogue interreligieux est un concept inconnu dans l’entre-deux-guerres, du moins tel que nous le concevons aujourd’hui. Seuls des individus exceptionnels et isolés sont parvenus à dépasser le stade de la controverse intellectuelle. Cependant, il faut postuler que d’autres relations, qui échappent à nos sources, se sont nouées au quotidien. Sans la préexistence de ce que nous appelons « le dialogue des cœurs », un groupe tel que les Frères de la pureté n’aurait pas pu se constituer. Nous l’avons déjà écrit, avec eux, en terre d’islam, le dialogue, jusque là condamné au silence, devient parole partagée.

Dans les procès-verbaux de leurs séances, ils révèlent une réalité aux visages multiples même si leur influence est limitée. Le groupe du Caire doit son existence à une conjoncture historique qui prend naissance dès le XIXème siècle. L’Égypte de l’entre-deux-guerres possède les atouts nécessaires pour faire éclore le dialogue. Elle compte une élite musulmane à l’éducation traditionnelle, doublée d’une formation moderne en contact avec l’Occident, des chrétiens autochtones qui, tout en conservant une identité religieuse orientale, ont su combiner les attributs de la modernité grâce à l’enseignement des congrégations missionnaires. Elle dispose enfin d’un climat qui permet une sociabilité d’élites ouvertes sur les autres et prêtes à la rencontre. Contraints à assumer leurs différences, alors qu’une étude de certains discours fait apparaître la volonté de les gommer et de privilégier les similitudes, des chrétiens et des musulmans optent pour l’acceptation de leurs différences.