Conclusion

Les réflexions développées dans ce premier point nous conduisent à opérer un déplacement. Ce n’est pas l’espace en tant que tel qui est support de socialisation et d’organisation sociale, mais les médiateurs et opérations qui en permettent l’appropriation. Celle-ci passe par la transformation de l’espace terrestre en lieux, c’est-à-dire la construction d’un espace à soi (à nous) médiatisant la relation à l’autre (aux autres) par la délimitation d’une frontière.

Les lieux permettent la transmission de valeurs et de normes collectives, l’inscription de l’individu dans des relations verticales (continuité intergénérationnelle, transmission d’une mémoire collective) et horizontales (parenté, groupe localisé). En ce sens la désignation de soi en référence à des lieux n’est pas simple appartenance déclarative et formelle, elle traduit aussi l’appartenance à des liens sociaux.

Par ailleurs, les lieux font l’objet d’une normalisation de leurs usages qui engendre des effets d’inertie et de stabilité. Dès lors l’espace géographique, dans ses partitions et son organisation, n’est pas la simple traduction au sol de l’espace social. Les lieux, parce qu’ils revêtent une matérialité durable (le bâti) et parce qu’ils sont associés à des représentations elles aussi durables (réputation, symbole), offrent une certaine résistance aux changements.

Produits des rapports sociaux qui s’y sont sédimentés, ils sont ensuite expérimentés comme quelque chose d’autre que le produit de ces rapports (Berger, et Luckmann, trad. 1992). La permanence des lieux offre aux rapports sociaux des points de repère et d’appui nécessaires à la dynamique sociale, c’est-à-dire à la transmission, à la reproduction, au conflit et au changement. Permanence et changement s’y trouvent donc mêlés, ce qui nous conduit à aborder la question du rapport au temps.