122. L’expérience du temps : effet de culture ou effet de contexte ?

1221. Effet de culture

L’idée que l’expérience est culturelle a été développée par les fondateurs de l’école française de sociologie avec E. Durkheim et M. Mauss, dans le contexte de la sociologie religieuse.

Le premier argument avancé est celui que l’expérience du temps est propre à chaque culture, puisque chaque société développe ses propres calendriers, ses propres façons de découper le temps en séquences. Le second argument défendu est que l’expérience du temps s’est profondément modifiée avec l’avènement de la Modernité. Aux sociétés à solidarité mécanique évoluant dans un temps cyclique, succèdent les sociétés à solidarité organique inscrites dans un temps linéaire50. A partir de cette distinction, se développe l’idée d’un temps qualitatif dans les premières et d’un temps quantitatif dans les secondes. M. Mauss51 montre ainsi les variations qualitatives dans la perception du temps chez les sociétés esquimaudes.

Ces approches ont le mérite de faire apparaître la diversité de l’expérience du temps selon les sociétés. Néanmoins, elles présentent l’inconvénient d’un évolutionnisme trop radical. Au regard de la complexité des sociétés actuelles, il nous semble plus pertinent d’envisager cette diversité à l’intérieur même de celles-ci. Selon H. Hubert52, le temps qualitatif n’est pas le propre des sociétés primitives. Notre calendrier est aussi un système de signes qui établit une équivalence entre des événements et les valeurs que la société leur attribue.’[Il‘] procède de l’idée non pas d’un temps purement quantitatif, mais de l’idée de temps qualitatif, composé de parties discontinues, hétérogènes et tournant sans cesse sur lui-même’’ (cité par Isambert,1979, p. 200). E.T. Hall53 développe l’idée que les individus, tout en ayant en commun une même culture, vivent selon des rythmes différents -monochrone ou polychrone - selon leur groupe d’appartenance. La monochronie correspond à un rapport procédurier au temps, orienté vers la recherche d’efficacité. On organise une seule chose à la fois, selon des horaires précis. La polychronie suppose une forte disponibilité aux personnes, primant sur le respect des horaires, et sur la séparation des sphères d’activité. Si certaines sociétés (africaines) sont plus polychrones que d’autres (européennes), à l’intérieur même de notre société, les femmes seraient, selon l’auteur, plus polychrones que leur homologues masculins.

Ainsi, la référence aux mêmes instruments de mesure du temps n’empêche pas une façon différenciée de le vivre et de l’organiser.

Notes
50.

DURKHEIM E., 1998 - De la division du travail social. PUF, coll. Quadrige, 5e Ed., 416 p.

51.

MAUSS M., 1966 - ’Essai sur les variations saisonnières des sociétés Esquimaux’, in : Sociologie et anthropologie, PUF, pp. 389-475.

52.

ISAMBERT F.A., 1979 - ’Henri Hubert et la sociologie du temps’, in : Revue Française de sociologie, n° XX, pp. 183-204.

53.

HALL E.T., 1984 - La danse de la vie : temps culture, temps vécu. Seuil, 282 p.