1222. Effet de contexte

La variabilité des expériences du temps se donne aussi à comprendre en référence à l’espace où celles-ci prennent corps (l’espace géographique, l’espace social) et à la situation dans laquelle est engagé l’individu. Ainsi, comme l’explique A. Bensa (1997, p. 15) : ‘’le temps se donne à éprouver et à penser de façon toute différente, selon qu’on se trouve en prison, dans une période d’examen, dans une maison de campagne ou en promenade dans une grande ville’ .

Faisant référence aux effets de lieux, l’article de M.I. Cunha54, consacré à la perception du temps dans une prison portugaise, nous donne à penser que le temps et l’espace sont deux ’dimensions jumelles’ de notre expérience, et que leurs étendues respectives sont intimement liées. Lorsque se réduit l’espace de circulation et d’action, le temps s’immobilise dans un présent suspendu à la longue durée, et se coupe radicalement du passé et du futur. Lorsque le temps est dissocié de la pratique, c’est-à-dire de la liberté de mouvement, il se désolidarise de la personne et devient une chose qu’on mesure. Il n’est plus une dimension de la vie quotidienne et de l’histoire que l’individu construit, mais un agent qui agit sur la personne, un élément constitutif des barreaux qui l’emprisonnent.

Croisant à la fois les effets de lieux et de milieux, S. Beaud55 présente la situation d’un groupe social -étudiants des cités- dont les temporalités sont désarticulées entre les différents espaces qu’ils fréquentent. Evoluant dans deux mondes séparés, celui de l’université et celui des cités, ils sont, du point de vue identitaire, dans un entre-deux-social : la fréquentation du milieu familial et local les renvoie à leur statut d’étudiants privilégiés et préservés des contraintes horaires du temps de l’usine, alors que la fréquentation de l’université les rappelle à leur statut de jeunes des cités. Le refuge dans le présent est alors autant l’effet d’une contrainte que celui d’une stratégie. Le repli dans le quartier reflète la difficulté à s’adapter aux conditions de réussite universitaire, qui suppose l’habitude de gérer un temps peu encadré. Mais ce repli leur permet aussi de retrouver un rôle et de légitimer leur évitement de l’institution scolaire par l’investissement dans des réseaux de sociabilité familiale et amicale.

A travers cette dernière partie, on mesure la multitude des formes de l’expérience quotidienne du temps, par delà même la référence à un temps institutionnalisé sous sa forme numérique. Apparaît alors une nouvelle question. Si le temps est vécu de façon différente selon le milieu culturel et social et selon les contextes qui encadrent l’action, comment l’envisager comme un élément clé de la vie collective ? Comment les temporalités multiples ne conduisent-elles pas à fragmenter l’espace social ?

Notes
54.

CUNHA M.I., 1997 - ’Le temps suspendu –rythmes et durées dans une prison portugaise’, in Terrain, n° 29, pp. 59-68.

55.

BEAUD S., 1997 - ’Un temps élastique – Etudiants des cités et examens universitaires’, in Terrain, n° 29, septembre, pp. 43-57.