1232. Les dimensions plurielles de la mémoire familiale

La famille constitue l’un des cadres fondamentaux de notre mémoire.

D’après M. Halbwachs (1994, p. 163), elle est le lieu où s’exprime le plus fortement la dimension duale de l’identité : ‘’Nulle part la place de l’individu ne semble ainsi davantage prédéterminée sans qu’il soit tenu compte de ce qu’il veut et de ce qu’il est. Cependan,t il n’est pas de milieu non plus où la perspective de chaque homme se trouve plus en relief. Il n’y en a point où l’on considère chaque membre du groupe comme un être ’unique en son genre’ et auquel on ne pourrait et on ne conçoit que s’en puisse substituer un autre’ ’.

Cette dualité, qui fait de l’individu un être à la fois singulier et social, se construit dans l’articulation de plusieurs dimensions de la mémoire familiale.

La mémoire familiale assure tout d’abord une fonction de transmission, elle est en cela la mémoire du collectif, car elle inscrit l’individu dans une lignée (solidarité verticale, lien entre le passé, le présent, le futur), en prenant trois dimensions60.

Les sociétés ont chacune leur mythe fondateur correspondant au ’récit des origines’ ; l’individu plongé dans la ’mémoire archéologique’ reconstruit lui aussi ses origines à travers l’évocation de grandes figures qui inscrivent l’histoire familiale dans la Grande Histoire.

La mémoire référentielle (A. Muxel, 1996, p. 17) constitue un guide beaucoup plus pragmatique qui permet de ’circuler dans le présent’ (p. 17). Intimement liées au processus de socialisation, la constitution et la transmission de cette mémoire permettent l’appropriation de modèles de comportement propres au groupe (par référence à des personnes, des principes, des croyances).

Enfin, la mémoire rituelle permet d’entretenir la mémoire du groupe et d’en célébrer la cohésion. Occasion de rassemblement, elle inscrit l’individu dans la solidarité horizontale de la parenté (complémentarité des rôles). La transmission s’effectue là encore par un double mouvement : la lutte contre l’oubli et l’oubli.

C’est ici qu’intervient la seconde fonction de la mémoire familiale. La possibilité d’en faire un guide pour le présent implique l’appropriation de cet héritage, c’est-à-dire sa transmission, mais aussi la construction d’espaces de liberté.

La reconstruction de la mémoire familiale (et l’oubli) est alors d’autant plus nécessaire que son histoire présente toujours des ’trous’, des ’trop-plein’, qui empêchent d’assumer le passé pour se projeter dans l’avenir. Les souvenirs de l’enfance ne sont pas toujours heureux. A l’inverse, le poids d’un héritage familial trop prestigieux peut devenir un frein à la réalisation personnelle de l’individu.

La mémoire familiale, où s’articulent le souvenir reconstruit et l’oubli, permet donc la construction d’une identité sous une forme singulière et collective. Elle est un lieu de transmission d’un savoir accumulé (transmission qui suppose toujours une interprétation et une sélection), et le lieu de projection dans l’avenir (projection qui suppose une articulation entre l’héritage et la construction de sa propre histoire). Mais cette mémoire a besoin d’une matérialité, pour s’entretenir, se transmettre, se transformer. Comme toute mémoire, elle s’incarne dans des lieux.

Notes
60.

MUXEL A., 1996 - Individu et mémoire familiale. Ed. Nathan, coll. Essais et recherches, 226 p.