Section 31. La double problématique des liens sociaux et des lieux géographiques

Au terme des développements précédents, une problématique se dégage à partir de plusieurs questionnements et de deux notions centrales -appartenance et territoire- dont il nous semble intéressant d’analyser les processus de construction à partir d’une investigation empirique.

La question centrale qui est au coeur de notre recherche s’articule autour de deux axes, généralement dissociés. Quel est le statut de l’espace géographique dans la construction des appartenances sociales et comment se spatialise le social sous le régime actuel d’une mobilité dominante ?

Cette problématique repose sur l’hypothèse d’une relation - antérieurement établie mais qui pose actuellement question- entre ce qui fait le lien social et ce qui fait le lieu géographique. En quoi la construction du lien social -et avec lui des identités sociales- s’inscrit-elle encore en référence à un ’lieu’ ? En quoi la construction d’un ’lieu’ -ici le ’territoire-pays’- engendre-t-elle du lien social ?

Le constat que les lieux sont devenus plus substituables entre eux amène généralement à poser l’hypothèse d’un rapport plus fonctionnel à l’espace. Celui-ci ne serait plus alors un support d’identification, mais un substrat sur lequel se déroulent inévitablement nos activités. Le constat d’une plus forte labilité des ancrages conduit, quant à lui, à l’hypothèse d’une ’déterritorialisation des groupes sociaux’, dont les relations plus réticulaires seraient sans grand rapport d’identification à un espace géographique précis.

Nous ferons l’hypothèse inverse, c’est-à-dire que le rapport à l’espace, et plus précisément aux lieux d’ancrage, devient plus important tant dans les modes de constructions identitaires que dans la formation des collectifs.

Ce qui était auparavant une évidence, une destinée, devient aujourd’hui objet d’arbitrage, occasion de déracinement (migration résidentielle), source de contraintes quotidiennes qu’il faut chercher à limiter (migration alternante), et ferment d’une tension continuelle entre différents pôles dont il nous faut gérer la mise à distance (dispersion des espaces de vie). C’est justement parce que les lieux et les liens qui s’y tissent deviennent moins évidents, et plus incertains, que leur articulation, leur maintien, leur choix devient un enjeu impliquant la personne en son entier.

N’étant ni purement fonctionnels, ni exclusivement stratégiques, nous défendons l’idée que les rapports à l’espace doivent donc être appréhendés comme étant plus contingents. Plus précisément, on ne peut a priori les marquer du sceau d’une appartenance identitaire prédéfinie, ni de celui d’une distanciation pérenne. Il nous faut donc les envisager à travers la prise en considération de ’l’ouverture du présent’ dans laquelle s’inscrivent les interactions entre individus aux origines et horizons divers, mais aussi à travers les effets de milieu et les effets émergents d’appartenance auxquels peuvent donner lieu ces situations de coexistence. L’observation in situ s’avère dès lors indispensable. Pour autant, celle-ci suppose d’en préciser le cadre d’analyse et les outils d’observation.