Section 32. Construction d’une méthodologie d’enquête

Après avoir construit notre problématique et poser les jalons essentiels de notre cadre d’analyse, il nous faut à présent élaborer un protocole d’enquête permettant de répondre aux questions posées plus haut.

321. Une étude de cas à visée élargie

Notre sujet ne porte ni sur l’étude de la mobilité, ni sur celle de la construction territoriale, mais sur l’analyse des liens entre ces deux phénomènes. On ne pouvait dès lors s’en tenir, comme le fait B. Montulet (1998) dans sa thèse, à l’analyse des nouvelles formes de spatio-temporalités197 sans prendre en compte les effets qu’elles produisent sur le milieu dans lequel elles s’inscrivent. Nous partons des différentes formes de spatio-temporalités qui peuvent se croiser en un même lieu, pour comprendre les effets de ce croisement sur les processus d’institutionnalisation territoriale du lieu.

En conséquence, nous avons envisagé notre terrain d’étude à travers un double statut : celui d’un ’espace de convergence’ permettant l’accès à des usagers aux pratiques spatiales et temporelles diversifiées, et celui d’un espace concret, qui n’est ni seulement le point d’application neutre de ces diverses mobilités et ancrages (espace support), ni une entité préexistante et déterminant les formes possibles de son appropriation (espace structure). C’est en quelque sorte un ’lieu focal’ où des usages en interaction prennent corps en s’appuyant sur l’appropriation d’éléments matériels préexistants ou en construction, et prennent sens en relation avec le contexte plus large qui contribue à redéfinir et requalifier ces éléments.

Notre sujet porte également sur la ’ruralité’, envisagée comme une ’catégorie de la pratique’ et sur sa construction sociale. Loin d’être épuisée, cette question nous semble renouvelée, dans le contexte actuel où la ruralité continue à être associée à certains espaces géographiques, tout en étant revendiquée par des groupes de plus en plus hétérogènes qui lui attribuent des sens différents en des lieux communs. Si la ruralité et l’urbanité correspondent à des espaces de référence concrets, elles servent aussi à coder des modes de vie et des projets de vie. Il s’agit alors d’analyser ce qui se passe lorsque se rencontrent, en un même lieu, des imaginaires ruraux et urbains vécus selon des modes de vie et des projets différents.

Et, quelle que soit l’évolution de la frontière géographique entre l’urbain et le rural, ces catégories restent des figures de référence qui orientent nos pratiques. Comment expliquer l’ampleur grandissante des mobilités entre ’villes et campagnes’, sinon au travers de la recherche d’un ’ailleurs’ ? Il s’agit alors de questionner la ruralité à partir de ces multiples mobilités vers les espaces qui en portent les marques aux yeux des différents groupes sociaux qui y convergent.

En conséquence, le choix du site d’étude a tenu compte de deux exigences : une population dont les profils et les provenances sont variés, et un espace marqué par la mobilité géographique.

Nous nous sommes tournée vers les terrains déjà étudiés par notre laboratoire d’accueil198, et nous avons choisi l’un d’eux en fonction des éléments portés à notre connaissance par la consultation des documents d’étude et la discussion avec les chercheurs qui y ont travaillé. Il faut préciser ici que nous avions participé auparavant à un programme de recherche sur les espaces ruraux ’indépendants’ des grands pôles urbains en Rhône-Alpes199. Etant donné notre problématique et notre perspective théorique sur la ruralité (comme construction sociale), nous nous sommes écartée de la délimitation définie par l’équipe de recherche de notre laboratoire d’accueil. Leur problématique étant liée à la localisation des emplois et activités en milieu rural, ces ’espaces ruraux indépendants’ ont été délimités en fonction de leur ’bassin d’emploi’, ce qui correspondait dans le site que nous avons étudié à une aire plus réduite que celle que nous avons prise en compte200. Néanmoins, dans une perspective de complémentarité des approches, de division du travail et de cumul de la connaissance, nous avons repris les données quantitatives et statistiques produites par cette équipe, en concentrant nos efforts sur la production de données qualitatives.

La délimitation précise de notre terrain d’étude nous a amenée à soulever une question. Comment circonscrire le terrain d’étude, lorsqu’on part du présupposé de la relativité de ses frontières selon les groupes d’usagers qui se l’approprient201 ?

Nous avons considéré finalement que cette question était un faux problème si l’on s’inscrit dans une sociologie des rapports à l’espace et non dans une sociologie ’spatialisée’202. Les catégories spatiales (territoire, ’rural’, urbain’, localité, lieu, ...) étant des ’catégories de la pratique’, nous avons repris les délimitations élaborées par les acteurs de la démarche d’institutionnalisation territoriale, en les mettant ensuite en perspective avec les pratiques et perceptions des autres usagers. Nous avons donc pris pour terrain d’étude, le ’territoire’ que revendiquent et construisent les acteurs engagés dans une procédure de ’pays’203.

Avant de présenter rapidement cette zone, la seconde partie de notre thèse étant consacrée à l’analyse de son institutionnalisation territoriale, il nous faut préciser plus en détail la méthodologie mise en oeuvre pour sélectionner et accéder aux éléments à prendre en compte dans l’étude, ainsi que la manière dont nous les avons traités.

Notes
197.

L’auteur entend, par cette expression, les formes de rapports à l’espace et au temps des individus.

198.

Unité Mixte de Recherche INRA-ENESAD en Economie et sociologie Rurales.

199.

La présente étude s’inscrit dans le cadre du programme national de recherche sur le développement régional initié par la Délégation Permanente à l’agriculture, au développement et à la prospective (DADP) et cofinancé par le Conseil Régional et la Chambre Régionale d’Agriculture. Notre thèse s’est inscrite en partie dans ce programme qui a permis de financer les frais de recherche inhérents à notre investigation, et a aussi été l’occasion de travailler au sein d’une équipe de chercheurs de différentes disciplines et d’échanger avec eux des regards et des informations complémentaires, tout en jouissant d’une grande autonomie dans la démarche d’investigation.

200.

42 communes délimitant le bassin d’emploi, contre 52 communes correspondant à l’aire intercommunale, à partir de laquelle se construit la démarche de pays.

201.

Devait-on étudier certaines communes et lesquelles ou un ensemble plus vaste, et à partir de quelle limite le circonscrire alors?

202.

Cf. WEBER F ; GRIGNON C (1993).

203.

Selon la loi d’aménagement et de développement durable du territoire.