323. L’accès aux pratiques d’institutionnalisation territoriale d’un espace

Prendre comme cadre d’observation les interactions entre acteurs sociaux, pour analyser un processus aussi long qu’est celui de l’institutionnalisation d’un espace, suppose de garder à l’esprit que la recherche intervient toujours à un moment donné dans une séquence temporelle plus large. Sans en avoir directement l’accès, le sociologue peut tenter de reconstruire les différentes étapes ayant précédé sa venue, grâce aux traces écrites et par le recours aux récits de vie des acteurs.

L’objet de notre étude n’était pas de délimiter ou d’évaluer un espace pertinent pour la mise en oeuvre de la politique des pays, mais de comprendre comment et pourquoi certains groupes en sont venus à saisir cette politique pour revendiquer et construire ’leur territoire’. Aussi avons-nous fait le choix de ne prendre en compte que les traces écrites qui sont aujourd’hui réappropriées par les acteurs de cette institutionnalisation. Ce choix s’est également appuyé sur les enseignements théoriques de la lecture de M. Halbwachs (chapitre I, section 12), montrant que la mémoire est une reconstruction du passé en fonction des cadres sociaux du présent. Plus précisément, nous avons limité l’analyse des ’traces écrites’ aux différents documents retraçant l’histoire de l’intercommunalité locale, et ayant servi à l’élaboration progressive de la ’charte de territoire’, ainsi qu’aux brochures ’grand public’ de présentation de la zone. En outre, la zone ayant fait l’objet de nombreuses études, nous avons considéré que ce ’surpâturage’ pouvait constituer un ’élément instituant’, dans la construction territoriale, à prendre en compte. Enfin, deux fichiers informatisés nous ont paru présenter un intérêt particulier pour l’analyse. Ayant été constitués localement par des structures participant à l’institutionnalisation territoriale de la zone, ils permettent d’appréhender des formes de typifications endogènes. Et concernant des populations en grande partie extérieures à la zone et candidates à l’installation locale, ils permettent d’avoir un aperçu des profils, parcours, modes et normes d’intégration de ce public.

Par ailleurs, l’appréhension du processus d’institutionnalisation territoriale à partir de la vie quotidienne, suppose la prise en compte des pratiques qui y concourent. Comment saisir alors les pratiques quotidiennes des personnes ?

La réponse dépend, selon nous, de deux autres questions. Comment sélectionner, parmi l’ensemble de pratiques quotidiennes, celles qui sont pertinentes pour notre objet d’étude ? Peut-on identifier et analyser l’ensemble de ces pratiques dans le temps limité qui nous est imparti ?

D’un point de vue général, les pratiques sociales nous sont accessibles, soit par le récit qu’en font les acteurs interviewés, soit par leur observation directe. Nous avons, autant que faire se peut, tenté de concilier les deux. Les entretiens, qui constituent le coeur de notre dispositif, nous ont permis de saisir les récits d’intégration locale, les lieux et groupes fréquentés, et les formes d’implication locale.

Nous avons également recouru à l’observation in situ. Ainsi, certains événements de la vie locale (manifestations locales, marchés, ...), qui sont des lieux et des temps forts de convergence entre les ’usagers’ d’un espace commun, ont été suivis attentivement215. Nous avons également pris part à des manifestations plus ’confidentielles’, auxquelles nous avons eu accès lors de notre ’immersion dans le territoire’216 et lors de la seconde phase d’enquête217. Nous avons, par ailleurs, fait une incursion dans la capitale pour observer, à l’occasion du salon de l’agriculture, comment le ’territoire’ se représentait à l’extérieur. Nous avons suivi tout particulièrement le stand du collectif ’vivre à la campagne’ dans lequel était représentée la zone étudiée218.

Notes
215.

Voir en annexe n° 7 la grille d’observation d’une manifestation locale. Nous nous sommes inspirée pour son élaboration du guide méthodologique de BEAUD S., WEBER F. (1997) et de l’ouvrage de BOZON M. (1984) : Vie quotidienne et rapports sociaux dans une petite ville de province. La mise en scène des différences. Presses Universitaires de Lyon, 300 p

216.

Réunions à thème, suivi de commissions locales ayant pour objectif la constitution d’un centre social et la gestion des populations en difficulté, week-end réunissant l’ensemble des participants à l’élaboration de la charte de territoire.

217.

Inscription en tant que ’touriste’ à une randonnée avec un guide local, participation en tant que ’jeune étrangère à la zone’ à des soirées entre groupes de jeunes; repas du 14 juillet avec un groupe de campeurs, participation à une journée de découverte des circuits touristiques de la vigne et de lecture du paysage avec un groupe de stagiaires en formation au ’tourisme polyvalent’; discussions avec les stagiaires du foyer d’un centre de formation où nous étions logée.

218.

Des questionnaires ont été effectués avec quelques candidats au départ pour la campagne (porteurs de projet, candidats à l’installation agricoles). Nous avons également enregistré et retranscrit le discours de présentation de la zone, qu’en a fait un agent de développement local.