Les matériaux rassemblés se composent de deux sous ensembles : d’une part, les entretiens qui en sont le coeur, d’autre part, les ’traces écrites’ dans un sens large (documents, journal de terrain, compte-rendu, journaux locaux, plaquettes de présentation, études).
Concernant les matériaux écrits, les éléments rassemblés au fil de l’enquête l’ont été selon une typification empirique qui traduit la manière dont s’est présenté le terrain d’étude avec ses blocs apparemment cohérents (institutions, organisations, champs d’activité) à travers lesquels on lit un espace lorsqu’on y est immergé. Il a fallu, à partir de là, opérer une mise à distance de cette lecture du réel. Un tableau de classement a été élaboré, reprenant les blocs tels qu’ils nous étaient apparus, afin de dégager pour chacun d’eux les éléments informatifs à en retirer dans une première phase. En listant les éléments informatifs de chacun des blocs, nous avons pu faire apparaître des thématiques transversales, qui allaient constituer les éléments d’une lecture problématique -et non plus descriptive- de l’espace étudié219. En les comparant et en les regroupant, nous avons ensuite tenté de définir des éléments d’interprétation, progressivement emboîtés, pour constituer finalement le puzzle de la thèse.
Les entretiens de la première phase ont tous été enregistrés et retranscrits intégralement.
Ils ont donné lieu à deux temps dans l’analyse, traduisant notre propre progression sur le terrain de recherche. Au fil des séries d’entretiens, des analyses partielles ont été élaborées. Ces séries correspondaient à des segments de réseaux, dont le fil conducteur nous était donné par les interlocuteurs eux-mêmes. Au fur et à mesure que des séries d’entretiens s’achevaient, nous reconstituions des unités de sens transversales en regroupant des entretiens -et donc des acteurs- qui nous étaient restés invisibles dans notre première démarche chronologique (dans le temps d’enquête) et réticulaire (entre les personnes interviewées). L’une et l’autre de ces formes d’interprétation nous semblent apporter des éclairages, certes différents, mais, avec le recul, complémentaires.
Les entretiens de la seconde phase ont fait l’objet d’un traitement plus systématique, le guide d’entretien (annexe n°6) ayant été le même pour tous bien que son administration ait été personnalisée (J.C. Kaufmann, 1996, p. 17) selon les relations qui se tissaient avec les personnes interviewées. Les entretiens ont été enregistrés, mais ils n’ont pas fait l’objet d’une retranscription intégrale220. Le traitement de ces entretiens n’a pas suivi une méthode d’analyse de contenu, ce qui n’est pertinent, comme le souligne J.C. Kaufmann (1996, p. 18), que dans le cas de messages déjà codifiés. Ils ont été interprétés à partir d’une grille d’analyse221 dans laquelle nous avons concilié deux postures généralement tenues pour être contradictoires : écoute des entretiens à partir des catégories issues de la réflexion théorique (démarche déductive) et des enseignements de la première phase d’enquête ; mais aussi ’retranscription interprétative’ à partir des catégories produites par les interviewés (démarche inductive). Les thèmes sur lesquels nous travaillions (rapports à l’espace, au temps et au territoire) étant transversaux à tous les usagers (cadres premiers de l’expérience), nous les avons repris comme ’chapeaux communs’ de l’écoute des entretiens, chacun de ces chapeaux comprenant plusieurs dimensions222 issues de l’analyse de la première phase de terrain. Nous avons ensuite référé les propos des acteurs à chacune de ces dimensions, par une retranscription interprétative, en tentant de respecter la singularité à travers laquelle chacun les vit, les exprime, et leur donne sens223.
Afin de constituer un matériau comparable entre les deux phases d’entretiens, nous avons repris l’ensemble des retranscriptions d’entretiens auprès des personnes–ressources en les analysant selon la même grille.
Ceci explique aussi que les ’grilles d’analyse’ ainsi produites sont très inégalement et différemment remplies selon les usagers interviewés. Nous n’avons pas pour autant cherché à aplanir cette hétérogénéité qui nous a permis de tenir compte des différences de ’centre de gravité’224 pour chaque usager. Cette hétérogénéité nous a permis de mettre en perspective la place du territoire au regard des parcours, des horizons de provenance et d’attente de chacun.
Voir en annexe n° 8 le tableau de classement par dossier et en annexe n° 9 le tableau de classement par thème.
Pour la seconde phase d’enquête, le nombre des entretiens et la forte hétérogénéité des discours recueillis, notamment auprès des étrangers ne maîtrisant pas toujours la langue française, expliquent l’absence de retranscription intégrale. Le recours à une écoute interprétative plutôt qu’à une analyse de discours retranscrits, renvoie aussi à un positionnement qui assume l’interprétation comme méthode d’analyse.
Voir en annexe n° 10 la grille d’analyse des entretiens auprès des usagers de la zone
Dans la grille d’analyse, ces dimensions correspondent aux différents sous-titres de chaque chapeau. Par exemple pour le ’rapport à l’espace’, nous avons distingué les dimensions suivantes : ’1. Forme de l’espace vécu’ lui même décomposé en : ’pôle’, ’frontière’, ’lieux faibles ’.
Ainsi par exemple, le rapport à la ’frontière’ (dimension du rapport à l’espace) a-t-il été appréhendé de manière très large : nous y avons consigné -et parfois retranscrit pour certains passages importants- tout ce qui se rapporte à l’idée de frontière, que celle-ci soit exprimée par ce terme ou un autre et qu’elle soit évoquée dans sa dimension géographique ou sociale.
Par exemple, si l’évocation des modes d’articulation entre espaces de vie a été prépondérante dans certains discours, celle du rapport au territoire et de l’implication dans le développement local l’a été dans d’autres. Cette différence de ’centre de gravité’ s’explique par le fait qu’on avait affaire dans le premier cas à des personnes multi-localisées, pour lesquelles l’espace étudié ne représente qu’une temporalité limitée dans leur vie quotidienne, alors qu’il s’agissait dans le second cas, de personnes fortement ancrées à la zone d’étude, constituant leur principal pôle d’engagement.