Il nous fallait ensuite ’incarner’ ces grands types, c’est-à-dire dégager des ’figures d’appartenance’, et les contextualiser pour rendre compte de ce que chacune faisait et était sur la zone d’étude. Nous avons alors appréhendé le rapport à la zone d’étude en fonction de l’espace vécu de la personne (ici ou ailleurs).
Six principales questions nous ont guidée :
Où se situent l’ici et l’ailleurs de la personne ?
Est-elle ’ici’ sur un espace de vie primaire, secondaire ou l’un de ses pôles?
Quel est son lien avec la zone d’étude ?
Est-elle originaire d’ici ? Sa lignée et celle de son conjoint ont-elles un lien avec la zone ?
A-t-elle un lien professionnel, associatif, un rapport résidentiel ou touristique à la zone?
Est-elle un ’usager initié’, anciennement installée, nouvelle ou de passage sur la zone ?
Quel a été son itinéraire jusque là ou depuis là?
Comment est-elle arrivée là ? Dans quelle circonstance, et à travers quels réseaux ?
En est-elle déjà partie ? Où et à quelle occasion? Comment et pourquoi est-elle revenue ? (pour les originaires)
Comment s’est déroulée son intégration/ou séjour ici?
Quelle est la première personne avec laquelle elle a noué contact et à quelle occasion (pour les non originaires)? Quel est son réseau de sociabilité et où sont situés ses membres (voisinage, associations, famille, amis...) ?
Se considère-t-elle ’comme ’intégré’ ou ’d’ici’ ?
Est-elle impliquée ici et/ou ailleurs (pôle professionnel, familial, associatif) ?
Se projette-t-elle ici ou ailleurs ?
Comment définit-elle la zone d’étude ?
Quel terme utilise-t-elle pour la présenter à des visiteurs extérieurs ou, auprès de ses proches pour dire qu’elle vient de ’là’ ?
Comment définit-elle la frontière de la zone (à quelle échelle, à partir de quels éléments)?
Quelle ’typification’ fait-elle de la population locale? Et comment se situe-t-elle dans cette classification? Se sent-elle d’ici? Quelle est son aire de circulation habituelle (permanents) ou lorsqu’elle vient ici (non permanents)?
Quel est son rapport au développement local ?
Quelle est sa vision de l’évolution de la zone ?
Quelle est son opinion sur les potentialités de création d’emploi, de développement touristique, industriel... ?
Connaît-elle le District? A-t-elle eu connaissance de l’élaboration d’une charte de pays ? A-t-elle participé à des commissions locales (démarche participative liée à l’élaboration de la charte) ?
Nous avons pu ainsi reconstituer des figures d’appartenance. Elles se situent entre le ’type’, qui permet de rendre compte d’un ensemble assez vaste de la réalité en la simplifiant, et l’individu pris isolément, qui permet difficilement de rendre compte des grandes tendances et des dynamiques sociales d’un segment de réalité. Les lieux de l’appartenance ne sont pas tous situés sur la zone d’étude.
Nous sommes ainsi parvenus au tableau suivant :
Rapports au temps | ||||||
Circulaire | Linéaire | Digital | ||||
Rapports à l’espace |
Immersion Pas d’ailleurs envisageable |
Paysans du cru successeurs du père |
Fragiles en errance Ouvriers des champs |
Attachement Aux lieux et liens |
Formes d’appartenance | |
Pas d’ailleurs possible | Néo-ruraux notabilisés | Pièces uniques du territoire Garde-fous néo-ruraux |
Néo-rurales restées au front | Aux lieux | ||
Pas d’ailleurs souhaitable | Tribu installée dans la vie | Tribu incertaine | Aux liens | |||
Dissociation Entre ici et ailleurs |
Protestants d’ici, devenus résidents secondaires | Protestants restés dont les enfants sont partis | Protestants restés sans enfant |
Tension Attachement aux lieux Engagement dans les liens |
||
Distanciation Ici/ailleurs alternent Ici/ailleurs coïncident |
Nomadisme temporel Nomadisme rural |
Notables revenus au pays | Elites en exil Militants du local au global |
Engagement Les liens font lieux Les lieux font liens |
||
Extériorité L’ailleurs prend sens ici et l’ici prend sens ailleurs |
Bi-localisés ruraux/urbains | Habitants d’une bulle Citadines voyageuses |
Ecologistes |
Labilité Labilité des liens |
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Tout ici est un ailleurs en sursit | Vagabonds Entrepreneurs des lieux génériques |
Labilité des lieux et des liens | ||||
Communautaire | Collectif | Commun | ||||
Qualités du social | ||||||
Les figures d’appartenance en présence sur la zone incarnent des types spatio-temporels. Derrière chaque figure, il y a un nombre plus ou moins important de personnes (nombre consigné dans le tableau des figures d’appartenance, et que nous rappellerons pour chaque figure), ayant pour trait commun, la même forme d’appartenance et de temporalité. Les personnes relevant d’une même figure ont le même ’ici’ (qu’il s’agisse de la zone d’étude ou d’un autre lieu, ce que nous préciserons). Mais toutes les figures, y compris d’un même type, n’ont pas le même ’ici’. Par exemple on peut être ’attaché’ de la même manière à des lieux et/ou à des liens différents. Cette analyse permet donc de mieux comprendre les conflits singuliers et les alliances inattendues qui traversent une ’société locale’243 constituée d’usagers d’un espace commun. Par delà leurs caractéristiques socio-démographiques (nous verrons leurs limites et leurs pertinences), ces usagers convergent vers une même zone, selon des temporalités et des modes d’appartenance différentes. Ces lignes de partage, loin de relever de ce que chacun fait et est ici et maintenant, prennent leur sens ailleurs.
Ces formes d’appartenance et ses temporalités ont été mises à jour en croisant les grilles d’analyse (annexe n° 10 du chapitre III). Nous rapporterons, dans des encadrés, les parties d’entretiens permettant de comprendre comment se traduit, pour chaque figure, son mode d’appartenance et son rapport au temps.
Cette analyse nous a amenée à déconstruire les catégories par lesquelles on appréhende généralement les ’usagers’ d’un espace. Les ’touristes’ rencontrés par exemple correspondent à différents types spatio-temporels selon ce qu’ils font et sont ailleurs (sur leur espace vécu quotidien). A l’inverse, des catégories a priori aussi éloignées que le sont des agriculteurs du cru successeur du père, et ’ des touristes de passage’, s’avèrent relever d’un même type.
Présenté ainsi, le tableau peut sembler ’statique’. Il rend compte de la diversité des formes de rapport au temps et à l’espace en présence sur un lieu focal, à un moment donné. Il s’agit d’une représentation d’un segment de réalité, que nous avons voulu rendre la plus lisible possible en l’organisant à partir des deux dimensions d’une feuille de papier et d’un tableau croisé, tout en sachant que nous en réduisons considérablement la complexité. Sa lecture dont nous allons expliciter les clés, permet d’y introduire une vision plus dynamique. Les rapports au temps rendent compte, pour chaque type, de leur parcours dans l’espace social et géographique. Ces temporalités sous-tendent aussi, pour chaque figure, un rapport spécifique à l’espace étudié, laissant entrevoir les zones de conflits, les alliances potentielles et les clivages profonds.
Nous présenterons donc les résultats de l’analyse en deux phases. Pour clore ce chapitre, et l’ouvrir sur les suivants, nous présenterons en détail les grands types spatio-temporels et les clés de lecture du tableau présenté plus haut. Dans un second temps (les quatre chapitres suivants), nous présenterons les différentes formes d’appartenance à partir des figures en présence sur la zone d’étude. Un lexique (en annexe du chapitre IV) ordonne l’ensemble des personnes citées dans les chapitres suivants en fonction des figures et des formes d’appartenance auxquelles elles correspondent.
Nous utilisons cette expression entre guillemets pour marquer notre distance.