422. Les rapports au temps et les qualités des liens sociaux

Toute société (ou tout groupe) tente à travers les formes de cohésion entre ses membres qu’elle (ou il) organise, de se prémunir des incertitudes liées à l’existence humaine. La représentation du temps en vigueur dans cette société (ou ce groupe), est elle-même liée au degré de maîtrise de l’espace (maîtrise technique de la nature, mode de déplacement, sécurité alimentaire, édification des frontières entre pays).

Ainsi dans la temporalité circulaire, la reproduction du passé constitue une manière de se prémunir contre les incertitudes, portant principalement sur le présent.

La référence au passé sert de principe d’organisation des liens, et fait du futur un recommencement. L’individu règle sa conduite présente sur une tradition héritée ou reprise à d’autres ou sur ses expériences passées. Les liens sociaux sont resserrés, au sein de groupes dont la cohésion est forte, et la prégnance des normes, importante. L’individu est donc le membre d’une ’communauté’ d’appartenance où les relations sont fondées sur la reproduction d’un ordre existant. Ainsi observe-t-on parmi les personnes de ce type, une assez grande reproduction intergénérationnelle, qu’il s’agisse d’une culture migratoire ou professionnelle, de lieu d’ancrage ou de rituels temporels de retrouvailles.

Dans la temporalité linéaire, caractéristique de la Modernité, la référence à l’avenir sert à régler les conduites présentes, selon l’idée d’un progrès. Celui-ci peut passer par la mise en oeuvre d’une stratégie de promotion sociale par la migration ; l’ancrage permettant de faire souche dans un lieu plus attrayant que celui que l’on a quitté ou le retour au pays pour y faire fructifier les ressources acquises durant la migration. Le temps est une ressource relativement maîtrisable. On peut en gagner ou en perdre, le tout étant de s’y projeter suffisamment loin pour apprécier les possibilités d’y cheminer au mieux. Il donne prise à la prévision et à une certaine programmation. Les relations sont durables. Elles s’organisent autour de quelques noyaux durs (la famille notamment mais pas exclusivement) à partir desquels se tissent des réseaux plus ou moins étendus dans l’espace social et géographique. L’individu fait ici parti d’un ’collectif’ d’appartenance, où les relations sont contractuelles ou institutionnalisées. La figure pourrait en être le ’militant’. Impliqué dans des institutions qui le transcendent et lui survivront, il est assuré d’une certaine continuité de son action, et oriente celle-ci en référence à la croyance en un avenir meilleur.

Dans la temporalité ’digitale’ l’incertitude marque à la fois le présent et l’avenir. Il n’y a plus croyance en un progrès ou une certaine continuité de l’existence et des liens, mais conscience de leur réversibilité. Pour reprendre l’image de H.G. Brose245, le présent devient ’digital’. Il ne s’inscrit plus dans la continuité, comme l’affichage analogique d’une horloge où le déroulement du temps est symbolisé par la ’trotteuse’, qui suit sa course selon un ordre où le présent devient passé, et l’avenir, présent. Le présent est au contraire suspendu à chaque seconde, comme le donnent à voir les montres à affichage digital ’où outre la durée, la discontinuité est simultanément présentée par le staccato visuel des secondes’. L’individu vit alors dans un présent permanent, qui redéfinit sans cesse le sens du passé, et l’orientation du futur. Cette ’ouverture du présent’ peut, selon les personnes, être source d’incertitude ou d’opportunités. On constate ainsi dans ce type, des parcours marqués par des ’bifurcations’. Exil, rupture avec le milieu d’origine, changement d’orientation durant le parcours de formation, changement de carrière, migration inter-régionale et isolement, en sont les déclinaisons observées. Les liens sont eux aussi soumis au risque de la réversibilité ou à la possibilité d’une révision. L’association entre individus ne se fait plus selon des modèles et des ancrages hérités ou que l’on s’efforce de reproduire et de maintenir, ni selon des relations construites dans la durée que l’on tente d’élargir ou d’approfondir, mais selon ce que l’on partage en ’commun’ à un moment donné avec des groupes à géométrie variable. Les passagers d’un transport en commun en sont les figures. Partageant pour une durée indéterminée le même chemin et le même lieu chacun peut, à tout moment, descendre et prendre une autre direction, sans qu’aucun connaisse ni la provenance ni la destination des autres.

Ces deux lectures, verticale et horizontale, nous amènent à présenter le résultat de leur croisement, c’est-à-dire les douze types spatio-temporels que nous avons dégagés. Trois grands types génériques (la racine, l’arbre, le navire) ont été définis en fonction des formes de temporalité et des qualités des liens sociaux propres à chacun d’eux. Et quatre ’espèces’ de navire, de racine, et d’arbre ont été définies en fonction des rapports à l’espace et des formes d’appartenance que nous avons pu mettre en lumière. Ainsi, un navire peut être tout aussi dépendant de son milieu qu’une racine (rapport immergé à l’espace), mais le temps du ’voyage’ (temps digital) ne présente pas la régularité de celui des saisons (temps circulaire). Présentons maintenant ces différents types en les comparant les uns aux autres.

Le type de la racine profonde est attaché aux lieux et aux liens. Il n’y a pas d’ailleurs possible, et la prévoyance contre l’incertitude, implique de se référer au passé pour maintenir au mieux le terreau sur lequel on a développé une aire de relative sécurité. L’image de la racine profonde implique l’idée d’une immobilité géographique. Mais l’expérience de l’ailleurs et de l’altérité est marquée du seau de l’imprévisible, et de l’étranger. La frontière est protectrice, et l’identité est construite en référence à un milieu qui peut présenter une certaine hétérogénéité, mais qui est toujours paré des traits du familier. L’altérité vient perturber la vie quotidienne régulièrement rythmée, et risque de mettre à mal l’effort de préservation, de transmission, de reproduction des lieux d’ancrage, du patrimoine, des valeurs ou des savoir-faire, hérités ou patiemment appris.

Faire souche, c’est s’inscrire dans une temporalité plus linéaire. Faire d’un ailleurs, un ici, suppose de franchir une frontière, celle de l’altérité (changer de lieu de vie, de milieu professionnel). On s’attache de nouveau à cet ici, en conjuguant le déracinement vis-à-vis du milieu de vie antérieur, et l’ouverture à ce nouvel environnement. Nécessaire mais bénéfique, la migration s’inscrit dans une certaine continuité (temporalité linéaire) et elle est source de progrès (accomplissement familial, professionnel). A défaut de maîtriser ces rapports à l’espace, on tente de s’adapter aux exigences de mobilité et d’intégration dans ce nouveau milieu.

La souche ne se confond pas néanmoins avec le type de ’l’arbre et ses fruits’, car elle n’est pas tendue entre deux ’ici’, celui de son origine, et celui de son quotidien.

La souche ne se confond pas davantage avec le navire à la dérive, car pour ce dernier, la mobilité ou l’ancrage, sont sources d’incertitudes. Captif dans un environnement qu’il ne maîtrise pas (précarité du travail, isolement social et familial) ou ballotté par les exigences de mobilité (lié à la recherche d’emploi, à la rupture avec son milieu d’origine), ce type de navire, dérive vers une destination incertaine. Marqué par une temporalité digitale, il est ’attachés’ aux lieux et aux liens, sans que ceux-ci ne lui soient jamais acquis. Il ne peut, contrairement à la racine, se prémunir contre les incertitudes par le recours au passé ou le marquage d’une frontière protectrice dans un environnement familier. En l’absence de la stabilité familiale ou professionnelle qui caractérise la souche, le changement ici imprévisible, ne prête ni à l’adaptation ni à la conciliation. Incompréhensible ou inquiétant, il empêche de se projeter dans l’avenir, et confine à vivre dans l’ici et le maintenant.

L’arbre et ses fruits (ses enfants) s’inscrivent comme la souche, dans une temporalité linéaire, mais la migration des enfants, condition de promotion sociale, n’efface pas l’attachement au lieu d’origine, (le village ou la maison familiale). L’arbre demeure le point d’ancrage central, le pôle de référence de la lignée familiale. Le départ des enfants, est une épreuve douloureuse mais nécessaire car elle conditionne la réussite. La temporalité est linéaire, car les générations qui se succèdent sont tendues vers l’idéale de la promotion par la migration. Et cette migration redistribue les ressources accessibles aux membres de la parentèle, et leur ouvre de nouveaux horizons tant professionnels, familiaux, que géographiques.

La racine coupée conjugue, elle aussi, l’attachement au lieu d’origine avec l’expérience de la migration. Mais contrairement au précédent, elle s’inscrit dans une temporalité circulaire. Bien installé dans la vie ou parvenu à l’âge de la retraite, ce type préfigure ce que deviendront peut-être certains des ’fruits’ de l’arbre précédemment évoqué. Coupée car son engagement professionnel et familial l’a conduite ailleurs, cette racine se maintient par le retour au pays (plus précisément dans la maison familiale). Le pôle d’engagement est ’ailleurs’, là où l’on a trouvé alliance et métier, reconnaissance sociale et professionnelle. L’ici est un lieu secondaire où l’on ne peut rien faire, mais l’ici est aussi le lieu d’origine contre lequel on ne peut rien faire, qui rappelle à lui. L’identité est duale. Il est acteur dans un ailleurs où il construit ses engagements familiaux et professionnels, il est membre d’une communauté (lignée) dans un ici où il vient se soumettre aux rites de célébration de la mémoire et d’entretien des racines (de la maison aux sépultures). Lieu où l’on naît, lieu où l’on se fait enterrer, cet ici inscrit les deux extrémités de sa vie dans un cercle dont il se doit de sortir pour construire sa vie ailleurs.

Le navire en cale sèche, est un bateau qui n’a pas pu partir du fait des vicissitudes de la vie (décès des parents, héritage précoce d’une exploitation à reprendre). Cet idéal de promotion par la migration, transmis par les parents demeure néanmoins ancré dans la mémoire, et donne aux rapports au lieu d’ancrage, cette tension singulière, que n’a pas la racine profonde. Sans enfant, ce rêve ne peut davantage se réaliser dans l’avenir, et l’ancrage a alors un goût d’amertume. La recherche de promotion sociale dans un milieu qui n’en offre pas pour soi-même les possibilités (attaché à une exploitation vieillissante, n’ayant pu suivre des études), passe alors par l’alliance avec plus diplômé que soi (remariage à un âge avancé, après un veuvage sans enfant). Type pour le moins inattendu, il conjugue l’ancrage traditionnel à la terre et un rapport conjugal moderne, dans lequel c’est la conjointe qui fixe le lieu de résidence, le conjoint acceptant la migration quotidienne vers son exploitation. Le temps est néanmoins digital car en l’absence d’enfant pour poursuivre le chemin plus loin, l’avenir parait bouché. Comme un navire prêt à ’prendre la mer’ que l’on a maintenu toute sa vie au port, la retraite aura un air de déshérence et non pas celui du retour mérité au pays après une vie bien accomplie (la racine coupée). L’engagement dans le métier de paysan a beau être fort, il est vain et ne mérite pas sa transmission parce qu’il s’exerce en un lieu promis à la dévitalisation, traditionnellement pauvre et sur une exploitation fragile.

Marqué par le même ancrage au lieu d’origine, ’l’arbre et ses branches’ a réussi l’idéal de promotion par la migration. Mais contrairement à la racine coupée, l’engagement s’effectue ’ici’ et durant la vie active. La migration est une phase d’apprentissage, celle où l’on fait ses armes ailleurs, avant d’en réinvestir les ressources ici. L’arbre reste ainsi ancré mais entretient (par ses branches) l’ouverture sur l’extérieur à travers les réseaux construits ailleurs. Le parcours de formation durant la migration, et le maintien d’une ouverture sur l’extérieur permettent une promotion sociale et assurent, par le biais des ressources réinvesties dans son milieu, une reconnaissance locale forte. La migration et l’ouverture, permettant de prendre de la distance vis-à-vis de son enracinement, donnent à celui-ci la saveur d’un choix de vie. On ne peut vivre ici qu’en restant ouvert ailleurs, et cet ailleurs se justifie aussi par les ressources qu’il apporte ici.

Le rhizome est marqué par une même réticularité des liens, mais les parcours intergénérationnels sont davantage tournés vers la reproduction (des lieux d’ancrages, des positions socioprofessionnelles, d’une culture). Le rhizome évolue au sein d’un espace à géométrie variable. Il est plus ou moins étendu dans l’espace, et plus ou moins dense selon les temporalités sociales, ce qui confère au groupe les caractéristiques du nomadisme. A l’image des sociétés esquimaudes observées par M. Mauss, sa morphologie varie selon des rythmes étroitement réglés. Deux temporalités s’alternent. L’une où chaque noeud (noyau familial) vaque aux activités quotidienne ’chez soi’, dans une proximité relative avec les autres noeuds (visite chez les uns et les autres) en déployant des liens à l’extérieur (professionnels, associatifs, ...). L’autre constitue un temps fort d’unité du groupe, en un lieu qui peut varier mais selon une périodicité précise.

Le navire ancré est assez proche de ces deux derniers types, mais s’en distingue par son parcours de migration. Il y a rupture avec le lieu d’origine, et engagement vis-à-vis de liens sociaux, situés ailleurs. S’il y a ’ancrage’ à un moment donné, en fonction des liens tissés dans un lieu, il n’y a pas ’attachement’ définitif à ce lieu. Ceci engendre une temporalité plus digitale. L’engagement dans des liens implique de s’investir, là où ces liens prennent corps (ce qui implique des relations de proximité, et une prise en comte de leur environnement ) mais aussi, là où ils prennent sens (mise en relation du niveau local et national ou global, à travers l’intégration dans des structures verticales, telle que la fonction publique, les partis, les syndicats, des fédérations d’associations). Le proche et le lointain sont donc liés, ce qui fait que les lieux ne sont pas de simples supports d’action substituables les uns aux autres, mais des ’ports d’ancrage’ depuis lesquels s’effectue l’engagement, et sur lesquels cet engagement trouve une résonance forte.

C’est en cela que ce type se distingue des autres, marqués par une certaine extériorité des personnes vis-à-vis des liens et des lieux, labiles pour les premiers, substituables pour les seconds.

Le navire en course solitaire se distingue du navire ancré, car la distanciation vis-à-vis des lieux les rend substituables, et non pas équivalents. Substituables parce qu’à tout moment, il peut reprendre sa route s’il s’avère plus intéressant d’aller ailleurs (au niveau de la carrière professionnel, de l’agrément du lieu de vie, des rencontres qui peuvent être faites). Non équivalents parce que si l’on est ici, c’est qu’en l’état actuel des choses, on ne peut être ailleurs. L’ici ne peut être, aujourd’hui ailleurs, parce que l’ici présente aujourd’hui tous les attraits (sur le plan de la qualité de vie, de la carrière professionnelle, de l’épanouissement personnel) que l’on ne pense pas pouvoir trouver ailleurs. Les liens sont eux aussi labiles. Solitaire (mais pas isolé), le navire poursuit sa course solitaire au gré des migrations résidentielles, et des mobilités touristiques et professionnelles. Chaque nouvelle relation, chaque lieu découvert, ouvrent de nouveaux horizons, et préparent à de nouvelles destinations. Les liens familiaux rompus ou entretenus à forte distance et à faible fréquence, ne constituent pas une attache qui rappelle au lieu d’origine, ni un devoir d’engagement qui incite à y réinvestir les ressources de la migration. Il n’est pas davantage question de faire souche, le présent restant ouvert à de futures opportunités. La vie se déroule sur une rivière sans retour, faite de multiples affluents et confluents, au carrefour desquels le navire peut changer de direction (changement de métiers, d’orientation dans la formation, de lieux de vie, de conjoint...)

La greffe vit en quelque sorte hors du monde (environnent) et hors du temps. Ce type se greffe sur un milieu de vie qui n’est pas le sien (non originaire du lieu, exerçant des activités en retrait de la vie locale). La maison qui en est le lieu d’inscription, est branchée sur le monde extérieur mais coupée du milieu environnant. C’est dans ce lieu circonscrit qu’elle développe une frontière permettant d’y maîtriser le temps (temps de travail, temps de loisir, temps partagé en commun avec les autres membres du groupe) et l’espace où se déroule la majeure partie de la vie quotidienne du groupe domestique. Les liens extérieurs à ce noyau dur, qui constitue une unité de vie, sont labiles. Chaque membre peut cependant déployer ses activités par une connexion à distance avec ses lieux et liens propres, mais chacun est également investi d’une tâche précise selon une division du travail bien réglée. La localisation de l’habitat est importante. Elle fait l’objet d’un choix selon des critères tenant compte de qualités paysagères et climatiques, du voisinage, de l’accessibilité aux services, équipements et voies de communication. La propriété, (maison et terrain), fait l’objet d’un investissement important (rénovation, aménagement) pour y rendre la vie agréable et l’activité la plus efficace possible. Le rapport au lieu porte sur ce que l’on peut obtenir (de qualité de vie, de travail) sur ce lieu, et non sur le milieu qui y vit aux alentours. D’autres lieux peuvent devenir plus attrayants, et donc substituables, à un moment donné (parce que l’environnement proche se dégrade, ou que d’autres lieux plus intéressants, deviennent accessibles ou sont portés à la connaissance des personnes). La différence avec le type du navire ancré, qui s’exprimerait ainsi : ’ça pourrait être ailleurs, mais c’est ici’, est que le type de la greffe parlerait ainsi : ’ça ne peut être qu’ici, mais ça pourra être ailleurs’.

Le type du rejet associe une temporalité circulaire, à une certaine extériorité au milieu environnant, moins forte cependant que dans le modèle précédent. Il est marqué par une bipolarité rurale et urbaine entre deux lieux de résidences substituables (aucune n’étant définie comme principale). La vie s’organise dans un va-et-vient circulaire (plutôt que dans un aller-retour qui impliquerait l’idée d’un pôle principal). L’extériorité est construite par la bi-localisation permettant de se maintenir ’hors’ des engagements et du contrôle social qu’impliqueraient une trop grande familiarité et une proximité durable avec les milieux de vie. La segmentation des espaces de vie lui assure une relative liberté. La ’casquette’ que chaque milieu peut lui attribuer ne correspond qu’à l’une des facettes de son identité construite ’à cheval’ entre deux. Plusieurs lieux et milieux lui appartiennent, sans qu’il n’appartienne entièrement à aucun d’eux. A l’image des personnages de roman, il mène une double vie, et a plusieurs ’ici’ qui deviennent alternativement des ’ailleurs’. Nous utilisons aussi l’image agricole du rejet en référence à la définition du Petit Larousse illustré (Ed. 1988) : ’‘Pousse qui se développe à partir d’une tige, et provenant de bourgeons anormaux ou à partir d’une souche d’arbre coupé’.’ Nous ne reprendrons pas à notre compte la notion d’anormalité, mais plutôt l’idée d’une tige aérienne se développant à partir d’une souche d’arbre coupé. En se préservant des efforts que suppose l’appropriation de lieux nouveaux, ce type peut les concentrer sur la maîtrise du temps permettant de circuler aussi librement que possible entre et à partir de lieux domestiqués (plutôt que familiers).

La description des types spatio-temporels qui convergent sur un même espace, laisse présager de la dynamique conflictuelle de leurs relations, voire le caractère aléatoire de leur rencontre. Elle montre par delà les formes de mobilité et d’ancrage, les clivages sociaux qui traversent un espace ’en commun’. Elle permet de rendre compte, à partir de ce point focal d’observation, des formes contemporaines d’appartenance aux lieux et aux liens sociaux. Elle laisse deviner la relativité d’une expression telle que ’société locale’, même lorsqu’elle s’applique à un espace rural, enclavé, de faible densité de population, et à forte interconnaissance. Et cette relativité interpelle d’autant plus, qu’il s’agit d’une zone en cours d’institutionnalisation territoriale.

Reste à préciser comment, pour chacun des types, se définit l’ici et l’ailleurs par rapport à la zone étudiée.

Notes
245.

H.G. BROSE, 1987 -’Des nouvelles valeurs - Notes sur la modernisation du temps’ in: Revue européenne des sciences sociales, Tome 25, n° 74, pp. 91-105.