521. Pionnières restées au front néo-rural : s’accrocher au lieu et y maintenir son autonomie

Les représentantes de cette figure se distinguent des précédents migrants, par le fait qu’elles sont bien intégrées localement. Contrairement aux ouvriers des champs, elles investissent leurs efforts dans la sociabilité plutôt que dans la profession, qui est avant tout une occupation, source de revenu permettant de ’s’accrocher’ ici. Ayant fait le ’retour’ à la campagne au côté d’un compagnon, elles sont, pour trois d’entre elles, restées au ’front’ après la rupture du couple. D’origine sociale plus élevée que les acteurs précédents, ces quatre femmes sont nées dans une grande ville, ont suivi des études, et pour certaines, ont eu une activité professionnelle antérieure à leur départ. L’itinéraire de migration prend des allures différentes selon les générations et les réseaux de migration.

Projet de couple et migration, rupture du couple et attachement.

La première (Madame Chat) est arrivée du Val de Marne dans les années 1980 pour s’installer seule avec sa mère. Celle-ci, fille d’une famille de la noblesse hongroise réfugiée en France, a rompu avec son milieu. Mère célibataire, elle a dérogé aux règles du milieu, en passant des concours et en entrant dans la vie active (fonction publique). Sa fille, comme nous le verrons, forte de ce modèle maternel, va poursuivre la quête d’autonomie sur d’autres terres et en d’autres milieux professionnels. Ayant depuis l’enfance rêvé de devenir ’paysanne’, elle suit une formation agricole, et prépare avec sa mère le projet du départ à la campagne. Le projet de l’installation est précipité par l’opération à coeur ouvert que doit subir sa mère : le projet ayant été construit à deux, il faut qu’il aboutisse du vivant de sa mère. Elle s’installe donc en 1972 en tant que ’profession connexe à l’agriculture’, avec un élevage de chèvres angora. Le choix de la région s’effectue au hasard des réseaux maternels, avec pour critère la proximité d’un centre de convalescence permettant d’y accueillir sa mère après son opération. Une fois rétablie, sa mère reprend son emploi à Paris. Madame Chat se marie avec un ami d’enfance (mécanicien en région parisienne), qui a ’voulu tenter l’expérience’. Marqué par une forte instabilité professionnelle selon Madame Chat, celui-ci ne trouvera pas sa place dans le milieu local et repartira en région parisienne. Quatre ans après son arrivée et avec deux enfants à charge, c’est donc le divorce et l’échec du projet agricole. Sa mère, alors en retraite, reprend sa place au côté de sa fille, reformant le couple initial.

La seconde (Madame Genèsse) est arrivée sur la zone dans les années 1990 à près de quarante ans, après avoir été photographe à Bruxelles (dont elle est originaire). De 28 à 38 ans, elle mène une vie de célibataire et d’artiste, dans le luxe que lui permet son statut d’indépendante et sa notoriété professionnelle. Elle quitte pour la première fois sa ville natale pour suivre le conjoint qu’elle vient de rencontrer. S’en suit un périple à travers les Etats Unis pour y mener à bien le projet du conjoint d’y créer un restaurant, projet qui se solde par un échec. Ils se tournent alors vers le sud de la France, avec pour ’point de chute’ des amis dans le Vaucluse. Ils prospectent à partir de là, et trouvent une affaire à reprendre sur la zone d’étude. Faisant le pas définitif, elle décide de vendre l’ensemble de ses biens à Bruxelles (maison, voiture..) pour financer l’achat du restaurant, qu’ils ouvrent en 1990 après de lourd investissements leur permettant d’afficher trois étoiles. Elle évolue dans le faste et le luxe qu’elle a jusque là connu sous une nouvelle identité: femme d’un grand restaurateur. Mais deux ans plus tard, c’est le divorce, le départ du conjoint qui laisse les dettes derrière lui, la précarité et la disqualification pour la conjointe qui reste ici avec deux enfants à charge sans pension alimentaire.

La troisième (Madame Bordas) plus jeune (35 ans) et arrivée sur la zone à la fin des années 1980, après un parcours d’études supérieures marqué par des réorientations successives, dans des filières littéraires et de l’animation. Elle connaît une phase d’insertion difficile, évoluant avec son conjoint de station en station sur des emplois précaires. Las, l’un comme l’autre, du monde des ’saisonniers’, ils décident de s’installer sur la zone à la faveur d’une annonce passée dans un hebdomadaire par une commune de montagne (en dévitalisation) cherchant à installer un jeune couple sur une activité de gîte équestre. Après une formation agricole, elle bénéficie des aides à l’installation et commence l’activité de gîte au côté de son conjoint qui s’occupe de la partie équestre. Mais, il sombre dans l’alcoolisme, l’activité décline, et il met fin à ses jours, laissant la conjointe seule avec deux enfants et un gîte équestre à faire tourner seule.

La dernière (Madame Tunnis), à la lisière de cette figure, n’a pas connu de rupture conjugale. Son itinéraire est exemplaire du poids des réseaux dans la constitution de nouveaux lieux d’ancrages familiaux. C’est en rendant visite à sa soeur infirmière, qui a obtenu sa mutation pour y rejoindre son conjoint installé comme architecte sur la zone, (en télétravail), qu’elle rencontre son propre conjoint. Elle-même travaille alors dans la fonction publique à Paris, son lieu de naissance. Celui-ci, ancien charcutier de Marseille ayant connu la rude concurrence des grandes surfaces, s’est installé dans la maison secondaire achetée par ses parents. Ceux-ci, eux-mêmes chasseurs, ont acquis la propriété en accompagnant des amis qui avaient pour projet de l’acheter et d’en faire une résidence secondaire poury venir à la chasse. Il s’installe donc en 1980 avec l’aide de ses parents, et commence une activitéd’élevage et de transformation (charcuterie de montagne) avec vente à la ferme. Après quelques temps d’hésitation, en 1992, Madame Tunis quitte tout (la fonction publique, son logement, sa mère) pour venir vivre et travailler avec son conjoint actuel. Après avoir été célibataire, citadine et fonctionnaire, elle devient mère de famille, et s’occupe de la partie transformation et vente des produits de la ferme, dans un hameau isolé de montagne. Mais dans son discours (et son attitude pendant l’entretien) on sent la force de l’attachement aux lieux et le regret de sa vie citadine. Ayant une génération d’écart avec son conjoint, lui-même arrivé bien avant elle sur la zone, elle a dû se faire sa place dans un environnement familial (beaux-parents), local et professionnel qui n’était pas le sien. Ayant tout quitté à Paris, elle ne peut plus vivre qu’ici. A l’évocation de ce qu’elle a perdu (les vacances, les loisirs, la sociabilité élargie), et de ce qu’elle endure ici (le ’train–train’ entre les enfants et la ferme, l’isolement géographique et social d’une commune de montagne) fait écho la valorisation de cette vie nouvelle (un métier passionnant, la beauté de l’environnement naturel). La vie dans la capitale devient un ailleurs impossible, à moins d’abandonner de nouveau tout ce qu’elle a construit ici, laissant la porte ouverte aux plus grandes incertitudes.

Toutes ces femmes ont donc en commun un lien ’conjugal’ avec la zone. Et, que ce lien soit rompu ou difficile, il y a attachement au lieu, car l’ailleurs devient inaccessible et indésirable.

Une situation professionnelle précaire ou dépendante de celle du conjoint, la charge d’enfants à élever seule ou dans un lieu difficile d’accès, et surtout la rupture avec leur vie passée, les amènent à se projeter ici selon une temporalité digitale. L’avenir est en effet source d’incertitudes. Qu’adviendra-t-il en cas de rupture du couple ? Comment trouver une activité rémunératrice permettant de s’accrocher ici ? Les aides sociales, constituant pour trois d’entre elles le seul revenu stable, seront-elles maintenues ? Comment assurera-t-on les études des enfants qui, dès le collège, devront être mis en internat, loin d’ici ?

La frontière est dès lors biographique et géographique. L’accessibilité aux équipements, services et commerces constitue la frontière de leur vie quotidienne dans un environnement isolé, où tout déplacement se heurte à la précarité des moyens. Le retour à la ville constitue leur frontière biographique. La ville pôle de référence qui a eu un rôle valorisant autrefois, a aujourd’hui perdu son sens. Son évocation ramène au souvenir d’une rupture et à l’idée d’un retour impossible. Mais la mise en récit permet de rétablir une certaine continuité dans l’itinéraire. Au constat de l’erreur d’avoir tout quitté, on oppose l’idée d’une expérience cumulative par ’essais-erreurs’. A l’évocation de tout ce que l’on a perdu en venant ici, on oppose le souvenir patrimonialisé de cette vie antérieure.

Madame Genèsse

  • Relance : Vous auriez su, vous seriez venu plus tôt ?

  • ’Non, parce que je suis très heureuse, jusqu’à mes 38 ans à Bruxelles, et mon séjour aux USA je le regrette pas, même si j’y ai perdu énormément, parce que c’est une expérience , même le restaurant je le regrette pas, parce que je le prends comme une expérience, mais là je recommence pas non plus. Non je veux rester ici, mais j’aimerais, en fait je me fais pas d’illusion, j’crois que vivre de la photo ici, je le pourrai jamais. Admettons je trouverais un job sur Valence ou Grenoble, mais je le veux pas, je veux rester ici. J’veux bien aller travailler à Chatillon, aller travailler à gauche à droite, mais en ville je ne peux plus. Alors que c’est pas ici que je vais vendre [ses photographies], j’en suis consciente’.

  • Relance : Alors comment vous voyez les choses ?

  • ’Je ne sais pas, parce que si c’est pour même aller à Die, pour ce que je vais faire à Die, carrément alors retourner à Bruxelles où là je suis sûre de retravailler, seulement ce serait dommage pour le petit et pour moi aussi : je suis beaucoup mieux ici’.

  • Relance : Ca ne vous manque pas les femmes de ménage, la grande maison, tout ça..?

  • ’Non parce que je l’ai eu et tout le monde n’a pas eu tout ça. Je suis très contente de l’avoir eu, on peut pas me l’enlever ’.

La rupture conjugale, comme l’explique J. Charbonneau (1998), plonge ces femmes dans une forme de ’chaos’, où l’existence et l’identité entière doivent être réorganisées. Comparativement à l’échantillon étudié par cet auteur, les femmes ici concernées présentent une particularité : celle de ne pas avoir quitté le lieu douloureux de la rupture, mais aux contraire de s’y être accroché. Faisant le deuil de cette relation autant que du projet professionnel initial, elles concentrent tous leurs efforts sur un nouveau projet : celui de rester ici. Parvenir à vivre seule ici permet d’inverser le sens de la rupture conjugale. L’échec est porté par l’autre, celui qui n’ayant pas tenu le coup, a abandonné son poste et quitté le navire, dont elles sont devenues capitaines. Parties du même point (rupture conjugale) et suivant le même cap au moment de l’entretien (s’accrocher ici), leur cheminement sur la zone dévoile des stratégies néanmoins différentes. J. Charbonneau (1998, p. 410) à partir de cet état chaotique initial met en lumière certains moteurs de réorganisation de la vie sociale après une rupture conjugale. Trois éléments entrent en ligne de compte : le maintien du lien entre la mère et l’enfant par la monoparentalité (célibat pour Madame Genèse et Madame Chat) ou la réinscription dans le cycle familial traditionnel par une nouvelle mise en couple (Madame Bordas); le rapport au projet initial (ajournement temporaire du projet pour les deux célibataires, réorientation totale du projet initial en tenant compte de l’articulation avec la vie de couple pour Madame Bordas) ; et le sens accordé à l’autonomie et à la dépendance qui s’avère dans les trois cas très important.

Le maintien du célibat permet de revenir à l’identité sociale antérieure à l’installation et de construire une certaine légitimité locale en relation à leur rôle de mère isolée. Le recours à des réseaux d’entraide, à des aides sociales et à des activités déqualifiées (ouvrière saisonnière dans les travaux agricoles, femme de ménage,...) est justifié par l’importance accordée à l’éducation des enfants. Ces relations de dépendance ne sont que la contrepartie du maintien de leur autonomie en tant que chef de ménage. L’abandon d’un projet professionnel personnel et le rapport alimentaire à des activités diverses n’est qu’une phase transitoire, permettant de s’accrocher ici et de tisser des réseaux qui seront réinvestis dans un nouveau projet, après que l’éducation des enfants ait été assurée. Ce nouveau projet fait le lien entre le passé et le présent, il marque un pallier dans l’histoire de vie, celui où l’on accepte d’abandonner certaines illusions pour vivre ici. Madame Genèsse reprend ainsi son ancienne activité de photographe indépendante, sans plus se faire d’illusion quant à la possibilité d’atteindre le niveau de vie et de notoriété qu’elle avait eu à Bruxelles. Madame Chat tire un trait sur le projet agricole initial, en s’orientant vers l’officialisation de son activité d’accueil à la ferme, développée au fil de ses ’galères’, comme revenu d’appoint.

La remise en couple, après une longue période de célibat où l’on observe les mêmes stratégies de maintien (recours aux aides sociales et aux réseaux d’entraide locaux), amène madame Bordas vers une autre transaction biographique. Recommencer une nouvelle vie de couple suppose de tirer les leçons de l’expérience antérieure malheureuse. Jugeant que l’imbrication trop étroite entre la vie de couple et l’activité d’accueil à la ferme a été à l’origine de la rupture, elle s’oriente alors vers un projet agricole (élevage de lapins et transformation avec vente à la ferme, sur le modèle de madame Tunnis qu’elle connaît). Celui-ci doit, selon elle, préserver davantage l’intimité familiale.

D’extraction sociale plus aisée que les précédents migrants (ouvriers des champs), et avec un bagage scolaire plus élevé, qui leur a permis de saisir l’importance du milieu local comme ressource potentielle et réseau de survie, elles ont cherché à tenir compte des normes locales, et ont su se faire accepter dans une marginalité assumée.

Madame Chat

Arrivée sur la zone avec une projet agricole, d’élevage biologique, restée après le divorce et le départ de son conjoint, en exerçant de multiples petites activités.

  • Relance : Et la S. [société fournissant et achetant en intégration, pour l’élevage industriel], vous aviez trouvé comment ?

  • ’Oh parce que dans le coin c’était ce qui se faisait le plus facilement en fait, donc on a travaillé comme ça’.

  • Relance : C’était en système intégré [réponse: oui] et vous étiez propriétaire ?

  • ’Des lapins oui, parce que à ce moment j’avais déjà un projet bio, donc déjà à l’époque c’était suffisamment difficile d’ouvrir la bouche en disant je veux faire du bio, donc là j’avais ma façade en fait. Ma façade c’était l’élevage de lapins comme tout le monde ici, donc c’était aussi une manière de faire accepter mon projet, voilà. Il fallait aussi que je vive, en plus donc j’étais aussi ouvrière saisonnière, castrage du maïs, soit tomates, tout ce que je trouvais je le faisais. Plus des stages chez les fermiers du coin pour apprendre à travailler’.

Ne revendiquant pas l’identité agricole, ni même une identité professionnelle, leur rapport au travail s’exprime en termes d’activité, d’occupation permettant de vivre ici. Elles n’apparaissent pas, localement, comme des concurrentes ou des représentantes illégitimes de la profession (contrairement aux ouvriers des champs). Elles font figure de personnes fragiles et courageuses qui s’accrochent là où il n’est pas facile de vivre, avec ’les moyens du bord’ (aide sociale, travail au noir, emplois saisonniers). Leur pragmatisme, mais aussi leur précarité financière, les amènent à prendre ce qui vient, et à adapter leurs projets aux conditions locales en tissant des réseaux qui offrent des soutiens importants, et des points d’appui à leur construction identitaire.

Madame Bordas, évoquant le soutien villageois à l’occasion du décès de son conjoint

  • ’Je me suis retrouvée 3 hivers à me dépatouiller seule avec les chevaux, sachant que c’était pas ma partie, c’est vrai que j’ai toujours su, j’ai toujours pu aller demander des coups de main. L’hiver dernier j’étais enceinte, c’est sûr que j’allais pas décharger seule les ballots. Sinon, la même histoire dans un village où il y a avait pas d’entraide, je gardais pas les chevaux, je restais pas là... C’est vrai que je n’ai pu rester dans le hameau que parce que j’ai été beaucoup soutenue au niveau matériel et moral’.

Leur espace vécu, partant de la commune, s’étend bien au-delà à travers ses réseaux ’alternatifs’. Localement, elles évoluent dans les ’interstices’ des petits boulots, des réseaux d’entraide, du travail au noir, qui se sont développés au fils des vagues successives de migration et de leur mise en réseaux. Impliquées dans de multiples associations, et parfois dans les structures communales et intercommunales, elles ne sont pas marquées par la solitude des précédentes figures, mais plutôt par l’isolement géographique, qu’elles essaient de briser en attirant les autres à elles. Elles font feu de tout bois pour pérenniser, malgré l’attachement à un lieu rural et enclavé, la sociabilité élargie de leur ancien univers citadin. En se maintenant à distance de leur ancien lieu de vie, elles dressent une barrière les protégeant des effets de stigmatisation sociale. Elles tentent alors, par une activité d’accueil ou de vente à la ferme, de ramener la ville à elles. En attirant chez elles les citadins, touristes ou anciens amis, pour profiter de leur univers rural, elles donnent à leur attachement au lieu, un sens plus valorisant. A la marge des hiérarchies autochtones d’appartenance (fondées sur l’origine), elles ouvrent les frontières à l’étranger, qui leur permet de rester vivre ici.

Madame Bordas

  • ’Alors au niveau association, je fais partie du réseau accueil paysan, dès le départ : c’est lié à une partie de mon activité professionnelle, mais c’est quand même un engagement qui est militant, parce que dans notre charte collective, on dit bien que c’est pensé et organisé par ceux qui en vivent. Donc le gros morceau: c’est ça. C’est des engagements au niveau associatif dans des projets locaux, sur le hameau, sur la vallée de B. : dernièrement il y a des gens qui sont venus s’installer, une famille qui reprend l’activité équestre, qui ne fonctionnait plus, que moi je pouvais pas faire fonctionner’.

Madame Tunnis

Les touristes et résidents secondaires représentent une part important de sa clientèle, et pour elle, un lien important avec l’extérieur. Ayant eu, dans son ancienne fonction, la responsabilité d’organiser des séminaires, elle a cherché, une fois installée sur la zone à s’inscrire dans divers réseaux et associations permettant de maintenir le contact malgré une situation très isolée (la commune de montagne où elle réside ayant été coupée du monde suite à un éboulement de terrain). Elle fait partie d’un réseau départemental organisant des journées d’accueil à la ferme, et projette la création d’une association avec des amis parisiens et résidents secondaires.

  • ’Oui parce qu’en plus, parce que moi je suis assez partante pour ce genre de chose. On n’avait plus le tunnel, plus de route d’accès facile, donc il a fallu se battre pour faire venir les gens chez nous, enfin les clients chez nous. Donc toute forme de manifestation de ce genre était la bienvenue, parce que à partir de 95 j’ai fait des foires, j’ai fait ça pour rappeler aux gens qu’on existait quoi [...]

  • Nous on a essayé de faire des manifestations tout au long de l’année. Ben oui mais y a des manifestions culturelles que l’été, euh nous on vit aussi le reste de l’année. Il faut penser aussi à ceux qui restent euh qui vivent tout le temps ici, faut pas penser que aux touristes’.

  • .../...

  • Relance : Et c’est quoi cette association ?

  • ’Ben elle est pas créée encore, c’est pour essayer de faire venir le tourisme’.

  • Relance : c’est avec qui ?

  • ’Ben (rire) justement c’est que des parisiens alors. Pour le moment c’est un parisien qui veut venir d’ici deux trois ans s’installer ici et euh lui est fou d’astronomie et il veut pouvoir vivre ici, donc essayer de ... et moi je veux créer des manifestations parce que j’aime organiser des choses’.

Les trois autres figures de migrants ici concernées évoluent à proximité, sinon au centre, de ’l’espace majeur’ de la zone d’étude. Ayant d’une manière ou d’une autre ’fait le retour à la nature’ ou le choix d’une vie en marge de l’univers urbain, elles se sont progressivement ’installées’ et ont accédé au pouvoir central local. On y retrouve les nombreux profils mis à jour par B. Hervieu et D. Léger (1979), des utopistes universitaires en recherche d’expérience communautaire aux éducateurs révoltés, mais aussi de simples fonctionnaires arrivés par le hasard d’une mutation, ou encore, phénomène plus récent, des échoués de la ville en reconversion professionnelle. Les uns comme les autres ont en commun un attachement au lieu. Que leur installation sur la zone ait été ’un choix’, ’un hasard’, ’un refuge’, ’une expérience’, il n’y a plus d’ailleurs souhaitable.

La figure des néo-notabilisés (quatre personnes) est proche, par son rapport au temps (circulaire) et à la mobilité (envahissement), de celle des paysans du cru. La figure de la ’pièce unique du territoire’ (six personnes) s’en distingue par un rapport au temps linéaire et une plus grande ouverture sur l’extérieur. A la lisière des deux, le ’garde fou’ (deux personnes) prend part au pouvoir local, en cultivant le regard critique vis-à-vis de la ’notabilisation’.

Participants au premier plan à l’édification du ’pays’ et à la reconnaissance de ses frontières, nous aborderons ici leur itinéraire migratoire et leur processus d’attachement local, réservant pour la dernière partie leur pratiques territoriales.