524. Les ’pièces uniques du territoire’ (six personnes)

Elles se distinguent des précédentes personnes, par le fait qu’elles ont profité de la position ’enclavée’ dans la zone pour y construire leur activité professionnelle.

Toutes sont arrivées par glissement progressif vers la zone au sein de réseaux ou structures organisés à d’autres échelles (internationale, nationale, départementale ou régionale). Ce ’glissement’ n’a pas toujours été linéaire, et leur parcours montre les relations étroites entre la dynamique d’attachement aux lieux, et celle d’attachement aux liens. Certaines personnes sont arrivées en suivant des proches ou des réseaux et se sont progressivement attachées au lieu. D’autres ont choisi le lieu (lieu refuge après un échec professionnel, lieu exploratoire et faire valoir d’un savoir particulier) puis ont fait souche en y tissant des liens. L’ensemble de ces migrants, se sont construit une ’niche professionnelle’ en jouant sur une double reconnaissance, locale et extérieure.

Seuls représentants d’une activité sur la zone, ils ne sont pas soumis à la concurrence locale comme les migrants de la précédente figure, mais ils partagent avec eux l’attachement au lieu, dont dépend étroitement leur reconnaissance. La dépendance au milieu local est dynamique : ayant construit leur activité en s’appuyant sur certaines spécificités territoriales, ils cultivent, par leur activité, cette spécificité.

Monsieur Diffas, d’origine étrangère (nordique), arrivé dans le Diois dans les années 1980 par les réseaux étrangers à partir desquels il a travaillé sur divers projets (chantiers à visée pédagogique) et dans différentes régions. Il est responsable d’un office local d’une structure fédérative.

Plus que les autres encore, ils contribuent à construire la spécificité territoriale, mais selon un registre différent. C’est en référence à l’image d’un front pionnier qu’ils s’investissent ici, en référence à une zone ’vierge’ qui n’a pas encore été ’explorée’ ou à une zone ’enclavée’ qui n’est pas pourvue du service ou de l’activité qu’ils proposent.

Monsieur Bréviaire, pionnier d’une zone vierge

Il a demandé à être muté dans le Diois au début de sa carrière d’enseignant, pour y laisser libre cour à sa passion pour l’archéologie. Sur une zone encore inexplorée, il a pu y jouer un rôle et y acquérir une reconnaissance, qu’il n’aurait pu obtenir en restant à Lyon où il a été formé.

Monsieur Tourel, diplômé de l’enseignement supérieur, devenu responsable d’un projet de développement social sur le Diois, qu’il a lui-même élaboré.

Leur position de pièce unique se construit dans l’articulation du dedans et du dehors. Représentants locaux d’une structure décentralisée pour les habitants de la zone, ils sont aussi les représentants d’une ’zone enclavée’, à l’extérieur (auprès de visiteurs occasionnels ou auprès de leur structure et de leurs collègues). C’est ainsi dans l’échange avec ces derniers, qu’ils construisent une certaine spécificité territoriale. Ce qui était un front pionnier à défricher à leur arrivée, devient au fil de leur attachement, une frontière-miroir qui permet de voir depuis l’extérieur ce qu’il y a au dedans, et de voir au dedans, ce qui est différent à l’extérieur.

Madame Aséma : Responsable d’une antenne locale d’une structure départementale d’insertion des jeunes, son travail en partenariat avec ses collègues intervenant sur d’autres zones, l’amène à mettre en évidence la spécificité ’dioise’.

Madame Trémini : Responsable à mi temps sur deux structures de développement économique, l’une étant basée sur la zone, et l’autre englobant toute la vallée.

Leur activité professionnelle (et leur attachement au territoire) se construit en relation assez directe avec la mobilité géographique. Qu’ils exercent dans le champ de l’insertion, du développement économique (aide aux créateurs d’entreprise), du tourisme ou de la culture, ils ont tous à faire à des publics ’extérieurs’. Ces relations plus ou moins quotidiennes engendrent des formes de typification particulières. Ils n’appartiennent pas à une communauté, mais à un collectif hétérogène. L’étranger fait parti de leur quotidien. Et partant de là, leur appréhension de l’appartenance territoriale n’est pas hiérarchisée selon les clivages originaires/non originaires, permanents/non permanents. Chacun produit des différenciations très fines de son public, et définit une gradation d’appartenance territoriale à l’égard de groupes que d’autres figures, considèrent comme étrangers.

Madame Aséma. Le Diois : l’image d’une liberté, qui attire des jeunes, sur les traces des Soixante-huitards

Monsieur Diffas : les vrais et les faux touristes

Leur vision de l’évolution de la zone est également liée à la mobilité géographique. L’évocation de son histoire se fait à partir des vagues successives de migrants, qui sont partis, revenus ou arrivés ici ou de visiteurs qui ont été attirés ici. Le territoire est mobilité. C’est un ’espace de liberté’ (Madame Aséma) permettant à des populations marginales de s’y exprimer, une ’zone blanche’ (Monsieur Diffas) sur la carte permettant d’y associer les images et les définitions les plus variées selon les attentes des clientèles touristiques, ou encore un ’truc à géométrie variable selon les époques’ (Monsieur Bréviaire). Les délimitations territoriales sont ’morphologiques’ : elles épousent les formes et l’intensité des liens sociaux qui s’y tissent parmi les habitants et usagers, plus ou moins nombreux selon les époques de l’année et de son histoire. Mais le territoire n’attire et ne repousse pas n’importe qui. Le territoire est constitué de réseaux : réseaux d’exode (des jeunes diplômés, des fils de paysans..), réseaux de migration (jeunes marginaux arrivants sur les traces des ’hippy’, porteurs de projet...), réseaux d’ancrage secondaire (touristes fidélisés, résidents secondaires revenant au pays...). Leur sociabilité elle-même est réticulaire. Ayant fait souche ici, ils ont, à partir de là, développé des liens qui s’étalent bien au-delà du territoire. Et lorsqu’ils accueillent et orientent leur public sur le territoire, ils le font aussi à partir des réseaux qu’ils ont tissés localement.

Leur temporalité est linéaire. Ayant fait souche ici, ils se projettent durablement sur la zone. Ils évoquent le ’pays diois’ comme un territoire en devenir, étant eux-mêmes des pionniers apportant une pierre à l’édifice.