Conclusion

L’attachement traduit, par l’errance ou l’enracinement, la dépendance forte à des lieux et/ou à des liens qui demeurent fragiles ou incertains. L’immersion dans un espace où il n’y a pas d’ailleurs n’est pas forcément le gage d’une sociabilité intense. Plus fragiles au contraire sont les liens qui s’entretiennent dans la proximité. La solitude frappe alors, lorsque les siens partis sont remplacés par des étrangers. La même solitude, doublée d’une certaine précarité, marque ceux qui s’exilent en terrain étranger.

L’attachement expose à une certaine violence symbolique, celle qu’exercent, souvent sans le savoir, ceux qui maîtrisent davantage leurs ancrages et leurs mobilités. Il n’y a ni lieu à soi, ni lien assuré, sauf à ériger des frontières bien étanches face à l’étranger. C’est ainsi qu’il faut comprendre les phénomènes de rejet et l’acharnement à construire une frontière, sans cesse remise en question par Autrui. Et, dans cette lutte, il serait bien excessif, sinon illusoire, de parler de ’territoire’ pour décrire les espaces de refuge ou les enclaves où se maintiennent ces figures d’appartenance.

Ce chapitre, consacré aux figures de l’attachement, peut laisser l’impression d’une lecture fort déterministe du social. Il ne s’agit pas pour autant de nier toute marge de manoeuvre à ces personnes, mais plutôt de mettre en évidence le degré différent d’autonomie des acteurs sociaux. Il ne présente qu’un segment de la société : celui dont les acteurs sont les plus dépendants des liens et des lieux de leur histoire familiale et de leur quotidien.

L’attache est une chaîne (professionnelle, familiale, locale...) qui maintient à distance ou empêche la prise de distance. L’attachement n’est pas un état qui se transmet simplement de génération en génération. L’analyse des lignées montre comment l’évolution du contexte général vient diluer les liens et les lieux dans les milieux populaires notamment (ouvriers, et paysans), en les exposant aux risques d’une dispersion des parentèles ou à celui d’une dépossession de leur terroir. L’espace joue ici un rôle particulier dans la socialisation : celui de l’assignation, résidentielle, sociale, professionnelle. Il est approprié comme une enclave de sécurité, comme le lieu qui désigne la place que l’on doit reprendre et transmettre, hors duquel c’est l’errance et la marginalisation.

C’est aussi parfois l’absence de continuité, la rupture avec le milieu d’origine et l’incertitude pesant sur l’avenir, qui marquent ces figures de l’attachement. La capacité à maintenir des liens et des lieux à soi, malgré la distance, et dans la coexistence avec des groupes fort hétérogènes semble le facteur essentiel de discrimination sociale. Et cette capacité n’est pas donnée une fois pour toute, mais redéfinie, dans une certaine mesure, au fil des migrations et des rencontres. Dans une certaine mesure seulement car, nous allons le voir dans les chapitres suivants, la migration, n’ouvre pas les mêmes portes à tous les groupes sociaux. Si elle redéfinit les ressources disponibles, elle le fait généralement de manière cumulative. Le déplacement dans l’espace géographiquement n’implique pas pour tous le même déplacement dans l’espace social.

Pour renforcer ce propos, nous présentons à la suite de ce chapitre consacré aux formes d’attachement, les figures de l’engagement, opposées en tous points aux premières.