611. Les notables revenus au pays : sortir du pays pour que le pays s’en sorte

Ce qui est en jeu ici, est la construction d’un engagement local comme choix de vie, à partir d’une appartenance locale héritée. Autrement dit, il s’agit de ’mettre à distance’ le lieu d’origine pour revenir en y construisant sa place. Cette mise à distance vécue comme nécessité et clé de réussite est éclairée dans ses principes par l’analyse de L. Marty283. L’enracinement sans mobilité peut devenir source de ’proximité incestueuse’. Les avantages et les valeurs qui incitent certains autochtones à quitter un milieu rural et isolé, où les occasions d’échange sont limitées et l’interconnaissance forte, sont ceux de l’ouverture au monde de l’échange (alliance) avec d’autres milieux. Pour être d’ici, non simplement parce qu’on y est né (droit du sang) mais parce qu’on a voulu y vivre (droit du sol), il faut être suffisamment allé ailleurs. Et loin d’être contraire à l’engagement dans le lieu, le départ semble préparer les conditions de réussite du retour, car le lieu se trouve alors rattaché au monde par les réseaux tissés durant la migration.

Ce qui marque ces trois élus locaux est en effet l’articulation entre un fort ancrage local et une ouverture sur l’extérieur. Nés ici comme leurs parents (vieilles familles locales), leur ancrage n’a pas pour autant été un destin hérité. Deux d’entre eux ont fait le choix du retour après une formation et une insertion professionnelle à l’extérieur, tandis que le troisième, devenu instituteur, a décidé d’exercer sa profession ici plutôt qu’ailleurs. Choisir de rester vivre dans un pays dévitalisé et abandonné par ses forces vives, tout en ayant soi-même les possibilités d’en partir, relève dès lors d’un engagement local. Mais, contrairement aux migrants ’attachés’ au Diois, cet engagement n’est synonyme ni de renoncement à une carrière -l’ouverture sur l’extérieur ayant permis leur ascension sociale-, ni de rupture avec leur milieu d’origine, cette ascension s’étant appuyée sur le retour au pays.

Monsieur Monfavet, fils d’agriculteur aubergiste dans une zone reculée du Haut Diois a monté, à partir de là, un hôtel-restaurant trois étoiles, qu’il a transmis à ses enfants.

  • ’Je suis parti à 15 ans faire le tour de France, en tant qu’apprenti cuisinier. Donc tout cela ça coulait de source, mon père me disait : ’puisque le lycée ça se passe bien, tu vas en apprentissage’. On est allé au comité départemental du tourisme où mon père avait quelques connaissances, dont un m’avait tracé une route déjà pour m’envoyer en apprentissage et me suivre sur l’extérieur. J’ai été embauché par un patron qui avait deux établissements : je faisais l’hiver à l’Alpes d’Huez et l’été en Normandie. ça m’a permis déjà de voir deux styles différents, de m’ouvrir encore plus à différents climats de France, différentes régions de France. Puis j’ai fait un an dans une entreprise à Moirans dans l’Isère puis une année à la brasserie Dapé à Grenoble. Après j’ai fait une saison sur Lyon. Puis trois ans d’armée en Algérie, j’ai été cuisinier particulier d’un PC opérationnel dans le désert, donc j’ai fait toute l’Algérie jusqu’en Tunisie. J’ai beaucoup voyagé. Je suis rentré en France en 62 et là j’ai rattaqué les stations’.

  • Relance : Et le choix de revenir ici ?

  • ’Ben vous savez je pense que justement comme j’avais pas mal bourlingué d’un côté ou de l’autre, je me suis aperçu que dans le fond celui qui avait envie de faire quelque chose -la destination avait peu d’importance, tout était dans l’envie de réussir- et je suis toujours parti de ce principe, au moins le problème quel qu’il soit n’en est pas un à partir du moment où on a la volonté de réussir, la volonté d’atteindre son objectif’.

  • Relance : Donc en fait la localisation a peu d’importance ?

  • ’Je le pense, c’est sûr qu’il faut pas vouloir réaliser n’importe quoi, c’est valable quand même pour des gens qui sont un peu sensés. Mais enfin déjà la preuve d’une entreprise qui existe dans un coin aussi retiré est, je pense, une preuve de volonté parce que j’ai beaucoup de mes amis et collègues et des amis de mon père à l’époque qui l’ont traité de ... de dingue’.

  • Relance : Et comment ça s’est passé quand vous êtes revenu ?

  • ’Quand je suis rentré de station et que j’ai voulu piquer là en permanence, j’avais dis à mon père : Ok je reste là mais il faut reconsidérer les choses. J’allais pas rester avec 3 chambres : cuisinier de métier, donc certaines envies à réaliser, après avoir fait pas mal de stations, la vie megèvane à l’époque était une vie sociale haut-de-gamme, donc on avait envie, en brassant au milieu de tout ça, d’avancer. J’ai décidé de rester là autour de 32 ans, en continuant les stations l’hiver. Donc pendant que je faisais les stations l’hiver j’avais calculé ce que je voulais faire ici. Donc pendant mes absences l’hiver l’architecte était au travail. On avait commencé avec mon père, à agrandir. Donc de ce fait les deux derniers hivers, on a fait une douzaine de chambres là et on a agrandi la salle à manger’.

  • [...]

  • Relance : Et vos enfants ont donc repris l’affaire ?

  • ’J’avais mon fils qui était toujours fichu avec moi en cuisine, ma fille qui ne se faisait pas tirer l’oreille du tout pour aider sa mère au restaurant. Vous savez on est tombé dans la marmite, et on évolue avec, et le bouillon se fait tout seul. Ça suivait son cours sans trop se demander pourquoi et puis le jour où on a demandé aux enfants : ’qu’est-ce que vous voulez faire ?’, mon fils m’a dit ’Moi je veux faire l’école hôtelière’ ma fille c’était pareil. Moi j’étais de métier donc j’avais pas mal de contact déjà pas mal de relations professionnelles. J’en avais pas mal dans le groupe Accor ce qui m’a permis de lancer mes deux enfants dans le groupe, et c’est vrai que ça les pas mal aidés à s’orienter avec pas mal de facilité au niveau de l’étranger. Donc ils sont partis, ils ont fait leur tour de France, pendant 4 –5 ans. [ ] Ma fille a fait l’école hôtelière de Lyon, après elle est partie sur le groupe Accor toujours à Lyon, après elle est partie en Angleterre au Sofitel de Londres, un an et demi, après elle est redescendue sur Paris, après elle est partie sur Genève, toujours avec le groupe Accor. Elle était au bout de 3 ans responsable de groupe au Sofitel, et elle a pris une très grande assurance. Mon fils ça a été pareil : il a fait la Suisse, Neuchâtel, après il est parti en Angleterre, après il est monté sur Paris et il a terminé chez Lenotre à Paris. Il faisait les déplacements pour Lenôtre, sur Bordeaux, sur Toulouse, dans les relais châteaux’.

L’enracinement local n’est vivable et possible que sous condition d’ouverture, parce que ’il faut savoir en sortir’ pour reprendre l’expression de l’un d’eux. Savoir en sortir s’entend ici à tous les niveaux. Au niveau de leur vie quotidienne, cela implique de ’sortir du Diois’ pour garder une ouverture sur l’extérieur (sorties culturelles dans les villes proches, voyages touristiques, visites à des amis ou des parents). Au niveau de leur engagement politique, cela implique de sortir d’une vision fataliste du sous-développement local. Enfin, d’un point de vue biographique, il leur a fallu quitter ce ’lieu d’exil’284 pour sortir de leur condition d’origine modeste (agriculteurs, veille famille désargentée). Par la migration et l’intégration dans des structures verticales élargissant leur échelle de référence (parti politique), ils sont allés chercher ailleurs ce qu’ils ne pouvaient acquérir ici (les référentiels culturels universitaires ou politiques, les expériences professionnelles dans des entreprises performantes, les occasions de côtoyer des milieux aisés, et d’y tisser des réseaux de relations). Tendue vers la recherche d’une promotion sociale, et vers le projet politique du développement et de la reconnaissance de leur ’pays’, leur temporalité est celle du progrès et non de la reproduction. Leur appartenance est territoriale et non simplement locale. C’est à l’échelle du ’pays’ Diois qu’ils raisonnent et qu’ils s’identifient, et c’est à travers le projet de territoire qu’ils construisent leurs engagements politiques.

Les ressources acquises à l’extérieur, durant la migration ou par l’engagement politique, sont réinvesties localement, autant pour servir à leur ascension sociale qu’au développement du pays. L’engagement prend le sens, non d’un sacrifice au service du pays, mais d’un échange réciproque. On a réussi en revenant au pays, on s’engage à ce que le pays s’en sorte. Et dans ce projet politique, on est soi-même mieux placé que quiconque, car on a la légitimité locale et les réseaux extérieurs. De fait, ces acteurs ont acquis des fonctions électives importantes, en s’appuyant sur la double légitimité acquise par la migration et l’ancrage : ’‘A la fois j’étais bien une dioise, j’étais reconnue par les Diois mais aussi par les non Diois, en étant suffisamment allée ailleurs’. Incarnations parfaites du type de ’l’arbre et de ses branches’’, ils ont toujours eu un pied ici et un oeil ailleurs. Les propos de l’un d’eux illustrent bien comment l’engagement local se construit par la mise à distance de ce lieu : ’ ‘Je suis enracinée mais dans le bon sens du terme, enracinée avec des branches qui vont voir à l’extérieur. C’est indispensable, sinon j’pense qu’on ... j’pense qu’on ne peut même pas concevoir un projet de maintien, de développement du Diois’ .

L’appartenance territoriale commune à ces trois élus, sous la forme d’un engagement ouvert sur l’extérieur, dépasse largement leurs clivages politiques. Si l’un est de droite, l’autre socialiste, et le troisième communiste, tous articulent leur enracinement local avec un devoir de migration et d’ouverture.

Si leur espace d’appartenance est le Diois, leur espace de référence (lieu de la pratique professionnelle et politique) s’étend au-delà des limites de la vallée par leurs réseaux extérieurs et s’articule aux différents échelons du pouvoir politique (département, région, nation). Lorsqu’ils cumulent plusieurs mandats, c’est là encore en référence à la nécessité de l’ouverture et de la distanciation, nécessité qui semble plus impérieuse ici qu’ailleurs, car le pays, par sa beauté et son enclavement, incite à l’attachement et à l’immersion.

Madame Beauchaine, élue locale

  • Relance : Et vous vous êtes du Diois ?

  • ’Oui, avec toute la réflexion faut être du Diois mais en être suffisamment sorti. Faut être suffisamment mobile pour pas se faire enterrer, faut en être suffisamment sorti pour avoir vu autre chose, parce que, il faut être ouvert quoi’.

  • Relance: Et c’est votre cas, vous êtes partie et vous êtes revenue ?

  • ’Je pense oui euh... je pense mais aujourd’hui encore j’me pose toujours la question parce que si j’ai d’autres mandats et la question des cumuls, c’est aussi pour avoir d’autres niveaux de référence et d’autres niveaux de réflexion et d’action parce que sinon on peut s’enfermer. On peut s’enfermer et rester enfermé et penser que c’est et le plus beau coin du monde et le coin où y’a le plus grand nombre de problèmes du monde, donc voilà’.

La frontière n’est pas ici une barrière étanche, mais un pont qui les amène vers l’extérieur, et une limite territoriale dont ils revendiquent la reconnaissance (le pays diois existe) tout en rappelant la tradition locale d’accueil et d’ouverture (le Diois fut une zone refuge pour les protestants, et son salut viendra de sa capacité à attirer de la population). Leurs mandats électifs les incitent sans doute à rechercher l’unité plutôt qu’à attiser les clivages. Mais plus fondamentalement, cette recherche d’unité prend aussi son origine dans l’articulation de leur parcours biographique et de leur positionnement politique et professionnel.

Typifications, rapport au territoire et à l’extérieur

Madame Beauchaine, élue locale

Sa propre expérience de la migration et de l’engagement politique local l’amène à définir une hiérarchie d’appartenance territoriale liée à la ’notion d’engagement’ et déconnectée de la référence à l’autochtonie. Certains diois de souche, en effet, ont ’vendu leur pays’, et d’autres n’ayant pas fait le choix de rester ici, ne sont pas acteurs du Diois.

  • ’Ce qu’il y a c’est que, bon moi je suis vraiment dioise, mais c’est pour dire qu’à un moment donné c’est quand même bien les Diois qui ont vendu leur pays quoi [en référence aux chasses privées et aux résidents secondaires] Et ça pour venir là dessus ... c’est pas simple. C’était au moment où y’avait cette déperdition de population et où on était aussi attiré par les finances, et donc on a aujourd’hui à Die comme ailleurs, un prix de terrain et de maison qui est déjà très fort, qui du coup génère des problèmes pour exercer une activité économique, parce que, à mon avis on pourrait développer beaucoup plus de choses si on n’était moins cher à la base déjà, et ça c’est un frein.’

  • [ ]

  • ’ J’pense qu’y en a certains, non ils ne vont pas voir ailleurs et du coup ils considèrent que vraiment ici...c’est curieux parce que j’en connais un grand nombre qui sont très heureux de vivre ici, et j’en connais un grand nombre, et peut-être une partie des mêmes, qui se plaignent sans arrêt d’un certain nombre de choses au quotidien.’

  • [...]

  • Relance : Comment ça se passe entre ces trois types de population, moi pour l’instant c’est un peu les catégories que je fais, les locaux de souche, les néo-ruraux déjà bien installés et puis les gens qui s’installent plus récemment ?

  • ’C’est-à-dire que moi maintenant je vois peut-être plus tellement comment ça se passe, je pars maintenant du principe que chacun...celui qui choisit de s’installer dans le Diois est diois quoi, voilà. Donc c’est vrai que je me pose même plus toutes ces questions, parce qu’elles ont tellement, ces questions, elles ont tellement été posées et tellement.. c’est vrai que moi j’les pose plus, c’est-à-dire que je considère que ... ouais c’est çà : quand on choisit quelque chose, de rester dans le Diois ou de venir y vivre ben on est diois. Voilà, c’qui fait que je fais même plus tellement attention quoi pis sinon j’pourrais plus rien faire, moi j’pourrais plus rien faire’.

  • Relance : Vous dites, quand on choisit, donc y’a des personnes qui ne font pas vraiment un choix ?

  • ’Euh... bien sur y’a des personnes qui ne font pas le choix, et de rester notamment, ils font pas le choix. Alors, soit ils se sont pas posés la question, soit ils ont pas fait le choix. Mais j’pense qu’une partie de la dynamique du Diois est due au fait que les gens ont fait des choix ... d’être ici. Et ça c’est un élément très important parce que d’abord ça donne des caractères pas toujours faciles (rire) mais ça donne aussi quand même une, pour nous, pour moi c’est plutôt une dynamique, c’est-à-dire qu’on n’est pas contraint, qu’on assume un certain nombre de choses. Ça c’est important’.

Monsieur Faucilliat, élu local

  • ’Il faut être intégré depuis de nombreuses années. Mais sur le plan de la solidarité, on tolère la différence : c’est ancien il faut remonter à l’Edit de Nantes. Die a été université protestante, et évêché. C’est un aspect de tolérance qui s’est mis en place et s’est manifesté à plusieurs reprises : durant la guerre d’Espagne, on a eu des réfugiés espagnols.

  • [...] ’Je crois que ça tient à l’histoire : le protestantisme, la solidarité de l’accueil, je parlais des réfugiés espagnols mais il y a eu également les Lorrains pendant la guerre de 39-40, et la résistance qui a amené un brassage, et puis ce mouvement dans les services publics, et le festival du pied s’inscrit bien là dedans finalement puisque les gens acceptent bien d’accueillir, et puis Die est jumelé avec plusieurs pays.’

  • ’Les résidents secondaires c’est aussi lié au fait que les Diois sont allés travailler à l’extérieur et comptent bien y prendre leur retraite. On le voit bien entre Die et Valence : pour une grande part ce sont des gens qui travaillent sur Valence, sur Lyon, et une autre part sont intéressés d’y prendre leur retraite mais sont de Paris ou du Nord’.

  • Relance : Pour vous c’est à freiner ?

  • ’Moi je pense que il faut garder un équilibre entre tout, parce que les personnes âgées c’est 20% quand même de la population. C’est un taux élevé, en même temps c’est aussi du personnel, de l’achat, des emplois’.

Ayant vécu la dévitalisation de leur pays d’origine, ils n’ont pas la même appréhension des phénomènes de densification et ’de surpopulation’ que certains néo-ruraux ayant vécu en ville. Ayant pu mesurer, par l’expérience de la migration, les avantages d’un sang neuf pour l’avenir d’un pays, ils sont plus ouverts à l’arrivée de personnes extérieures que certains néo-ruraux ’attachés’ (cf. supra). La mobilité, synonyme pour ces derniers de flux d’arrivée menaçant l’équilibre existant, est ici perçue en référence à l’exode rural et au cercle vicieux de la dévitalisation. L’enjeu pour le Diois est de tirer son ’épingle du jeu’ de l’aménagement du territoire organisé depuis les villes, et d’obtenir des aides financières pour développer des projets et attirer de la population. Et si les flux d’arrivée sont évoqués (touristes, résidents secondaires), on met bien vite l’accent sur le caractère mythique de l’argument d’un risque d’envahissement de la zone.

Monsieur Fauciliat, élu local

  • ’On a eu plusieurs phases comme tous les territoires ruraux de fort exode rural et aujourd’hui on est dans une phase de stabilisation. Mais la question est : Est-ce que cette stabilisation se fait dans tous les villages ?

  • [ ...]

  • Dans certains villages, y a un choix qui a été fait qui est de dire : ’On est assez nombreux, tel qu’on est, la terre elle n’est pas inépuisable, et il faut qu’on arrive à vivre avec ça... C’est pas la majorité. ça rejoint la question des services publics. Le maintien des écoles rurales, c’est un des enjeux. Les communes qui en ont encore une veulent bien la maintenir mais il faut des enfants donc des parents relativement jeunes, donc du logement, et là-dessus il y a eu des efforts fait avec les OPAH. Les HLM ont compris qu’on pouvait faire du logement social en milieu rural’.

Monsieur Monfavet, élu local.

  • ’ Pour assurer le maintien dans nos secteurs, il faut amener du sang nouveau. L’enjeu c’est la reprise d’entreprises, avec des chefs d’entreprises qui ont laissé vieillir leur outil.

  • Le problème aujourd’hui c’est la difficulté du monde rural à retirer son épingle du jeu dans la logique descendante, où les mesures sont faites en pourcentage de la population. Il faudrait inverser l’argument qui serait de dire que l’on donne au prorata de la population concernée, en montrant que les zones rurales sont plus sensibles en termes de population et au niveau économique. D’autant que cette logique descendante ne correspond pas au discours sur la nécessité de désengorger les villes en attirant la population en milieu rural : ce qui nécessite de l’argent pour les attirer, pour leur proposer des choses, des avantages’.

  • Relance : De quels outils vous disposez pour faire en sorte que le miel n’attire pas trop ?

  • ’Ça ne risque pas : les urbains sont découragés de toutes façons par les temps de transport trop longs pour l’accès aux services. Il faut donc des compensations. Moi, je ne crains pas qu’il y ait trop de monde dans le Diois. Je n’y crois pas, je ne pense pas faire partie des utopistes’.

  • Relance : Et pourtant le Diois a toujours attiré des populations : les protestants, les néos des années 70, les porteurs de projets aujourd’hui ...

  • ’Il ne faut pas rêver le contexte des années 70, il est passé. Allez dire à des jeunes d’aujourd’hui : ’venez vivre ici !’.

Autochtones qui sont sortis du lieu de leur origine, notables locaux ayant construit leur ascension sur une position d’intermédiaire entre le local et l’extérieur, ces figures ne relèvent pas pour autant d’une ’multi-appartenance’. Le local recouvre l’ensemble de leurs appartenances, familiale, professionnelle, politique, territoriale. Mais cette appartenance locale se construit par la migration et prend son sens en s’appuyant vers l’extérieur. La migration et l’ouverture sur l’extérieur ont permis d’élargir leurs espaces de référence, tout en confortant leur espace d’appartenance. Ils sont d’ici parce qu’ils sont allés ailleurs. Ils ont pu s’engager ici, parce qu’ils sont en relation avec le monde.

A partir d’un itinéraire inversé, d’autres migrants présentent la même forme d’appartenance locale. Certaines normes implicites, notamment celles de l’ouverture et de la migration, sont appropriées comme condition nécessaire pour éviter la ’proximité incestueuse’ (ou ’étouffante’) avec le milieu local. Cette appropriation n’est pas simple ’transmission’ ou ’reproduction’ d’une norme autochtone. Comme nous allons le voir, elle fait l’objet de transactions biographiques selon les itinéraires migratoires qui ont mené les acteurs jusqu’ici.

Notes
283.

MARTY L., 1998 – Etre d’ici et du monde. Le massif central, un espace pour entreprendre. Clermont-Ferrand, Ed. Freeway, 130 p.

284.

Au sens où F. Dubet (1992) désigne les banlieues, comme quartier d’exil, comme lieu stigmatisant et maintenant à l’écart des ressources (sociales, professionnels, symboliques) de la ville, le ’diois’ zone rurale isolée fut, et reste, un ’lieu d’exil’ pour ceux qui ne peuvent en sortir.