Conclusion

La mobilité et l’expérience de la migration, loin d’engendrer la rupture des appartenances locales, peuvent être au contraire les éléments fondateurs d’un engagement dans le ’local’. Mais si la localité demeure un support important de l’engagement, les usagers en présence sur cet ’espace de convergence’ n’appartiennent pas tous au même lieu. Enfin, l’engagement peut être construit en dehors de toute référence à des lieux. Ainsi, avons-nous distingué deux types d’engagements : ceux pour lesquels ce sont les lieux qui font liens, et ceux pour lesquels ce sont les liens qui font lieux. La figure de l’élite en exil, à la lisière des formes d’appartenance de l’extériorité et de la tension (chapitre suivant), montre ’en creux’, que l’engagement suppose un certain équilibre entre l’ancrage et la mobilité. Lorsque les lieux deviennent trop nombreux ou qu’ils font défaut (élite en exil), l’appartenance se construit par un engagement dans les liens, et les lieux sont appropriés comme simple support d’ancrage toujours substituable.

Dans l’appartenance engagée, l’ici est mis à distance par la fréquentation d’autres lieux ou par l’expérience de la migration. Pour autant, cette distanciation n’est pas synonyme de mise à distance systématique, ni de relativisme absolu (impliquant l’idée d’une substituabilité totale des lieux et des liens). L’expérience d’un ailleurs, par la migration et la mobilité est l’expérience fondatrice de l’engagement dans un lieu de vie choisi. L’ancrage sur le lieu de vie n’est pas un héritage que l’on a dû assumer, mais une décision que l’on a pu prendre en connaissance de cause. L’engagement semble alors se construire dans cette liberté, toujours relative mais bien réelle comparativement aux figures de l’attachement, et dans cette marge de manoeuvre limitée mais toujours possible.

Partie d’un questionnement sur la localité comme lieu d’engagement dans un contexte où de multiples usagers y convergent, nous parvenons à la conclusion de l’existence de localités plurielles. L’expérience d’un ailleurs comme base d’engagement dans un lieu relie celui-ci à des réseaux multiples (liées à la migration, à l’entretien des relations tissées ailleurs), si bien que chaque figure d’engagement entretient un rapport au lieu qui lui est propre. Si l’on s’engage toujours sur ou depuis un lieu, on ne s’engage pas toujours pour un lieu. De là surgit la question de leur articulation à l’ordre ’territorial’, c’est-à-dire, dans le cas qui nous préoccupe, à celui du Diois. La ’localisation de l’engagement’, pour reprendre les termes du questionnement d’A. Bourdin (1996, pp.48-49), n’engendre pas forcément une action collective localisée : on peut inscrire son action en un lieu en la référant à des enjeux et des normes globales comme le montrent les militants ’du local au global’. Dans ce cadre, le lieu reste potentiellement substituable à d’autres et ouvre sur un double questionnement : celui des bases nécessaires à la pérennité de la confiance entre acteurs permettant leur constitution en ’collectif localisé’, et celui, par voie de conséquence des mécanismes en jeu dans l’institutionnalisation d’un territoire’ (ici le Diois). En comparant les figures de l’engagement avec celles de l’attachement, on en vient à reformuler l’hypothèse avancée par A. Bourdin quant à la localisation comme stratégie de constitution de ’ressources spécifiques’ (reconnaissance professionnelle, savoirs autochtones, réseaux de sociabilité). C’est bien dans l’attachement (et notamment parmi les figures de ’pièces uniques du territoire’ et de ’néo-notabilisés’) que s’élaborent de telles ressources spécifiques. Et leur spécification engendre une dépendance vis-à-vis du lieu qui devient donc non substituable et nécessaire au maintien et à la valorisation sociale de ces ressources. Si la localisation peut relever d’un choix à un moment donné de la trajectoire, elle relève ensuite d’une certaine ’obligation’. L’attachement implique l’idée d’obligation et de devoir (se sentir attaché à un lieu, c’est être ’redevable’ à son égard).

La localisation de l’engagement ne garantit pas la constitution d’un collectif d’acteurs engagés mais assure une certaine ouverture du lieu (une ’pensée opératoire’, pour reprendre l’analyse de Pellegrino, citée par A. Bourdin, p. 49), tandis que l’attachement à ce lieu garantit la pérennité des acteurs et de leur investissement (professionnel, familial, politique...) en ce lieu, mais selon une ’pensée socio-centrique’ (Pellegrino) pouvant conduire à certaines formes d’ostracisme. Comme nous le verrons dans la dernière partie, le processus de territorialisation provient de l’articulation de ces deux formes d’appartenance.