7213. Ecologistes

’L’écologisme’ qui caractérise les deux personnes ici concernées, ne signifie pas seulement qu’elles sont d’ardents défenseurs de la nature, mais aussi que leur forme d’appropriation de l’espace est proche de la territorialité animale.

Monsieur Loup est biologiste de formation (40 ans, divorcé et remarié) et employé par le Parc du Vercors, avec pour mission, la réintroduction du vautour fauve. Originaire d’une banlieue lyonnaise, ayant fait ses études à Grenoble, il a choisi de vivre dans le Diois parce qu’il est ’un échantillon presque exhaustif de toutes les espèces. Au nord, c’est le Vercors, au sud c’est les oliviers, et ici, si je fais les composantes faune ou flore, chaque composante à l’état pur, sans problème, je trouve plus riche ailleurs, mais je trouve tout ici sur des courtes distances.’

Il l’a connu, lorsqu’il était étudiant (DEA) à Grenoble, en venant donner quelques cours dans la communauté pédagogique de Vercheny (voir Monsieur Grilet, chapitre VI) pour arrondir ses fins de mois. Il y a vécu de 1973 à 1985 ’en communauté’, avant de quitter ce milieu ’trop oppressant’. Il rencontre alors sa première femme, chirurgienne hollandaise, à Roman (Drôme, hors Diois). Il s’installe avec elle et connaît une certaine précarité d’emploi (alternance de ’contrats d’études’ et de périodes de chômage). C’est en 1989, qu’il a trouvé son emploi actuel – chargé de mission pour la réintroduction du vautour fauve. Il s’installe alors à J. (commune du Diois). Divorcé, il a la garde de son enfant, dont il entreprend l’enseignement de la langue néerlandaise sur internet. Il rencontre ainsi sa seconde femme, grâce à l’échange initié entre leurs enfants respectifs (elle-même divorcée avec un enfant). Celle-ci étant kinésithérapeute en Hollande, il la convainc de venir s’installer à J. en utilisant là encore l’argument du ’territoire animal’ : ’elle en tant que kiné peut exercer n’importe où, mais moi en tant que biologiste, que voulez-vous que j’aille faire en Hollande?’

Il reste ancré sur ce ’territoire’, tout en voyageant à travers les ’espèces d’espace’ (selon les pays du monde présentant des intérêts de la faune et de la flore).

Madame Smith, professeur d’anglais à la retraite, vit seule dans le Diois. Elle connaît Monsieur Loup, dont elle suit les conférences sur le vautour fauve avec grand intérêt. Elle est membre de plusieurs associations de défense de l’environnement. Elle a choisi de s’établir dans le Diois pour sa retraite, après avoir ’voyagé’ dans la France entière lorsqu’elle était en activité. Ici, elle n’a pourtant aucune famille, mais des souvenirs d’une étape : elle a demandé sa mutation à Die, dont le climat, lui avait-on dit, serait excellent pour sa santé fragile, et dont le cadre naturel satisferait son goût pour la randonnée. Après quelques années en poste, elle est repartie vers de nouveaux lieux à découvrir, laissant les liens tissés sans regret. Elle savait en trouver d’autres à travers le tissu associatif qu’elle a toujours investi comme un moyen d’intégration. Ayant occupé son premier poste à Calais, elle parvient au fil de l’avancement de carrière à descendre plus au sud, vers des régions de plus en plus belles. Et, au terme de sa carrière, le Diois, dont elle a apprécié les paysages et le climat, devient terre d’élection pour sa retraite. Elle ne s’installe pas à Die, où elle avait enseigné, mais à l’écart dans une commune voisine, parce que ’Die c’est la ville, avec le béton sans les avantages de la grande ville’.

Célibataire et sans enfants, elle a rempli sa vie par de nombreux voyages à but humanitaire ou liés à sa profession. De condition modeste, la seule façon de voyager fut tout d’abord de partir en séjours scolaires ou en poste à l’étranger. Le milieu enseignant lui a ensuite ouvert une autre porte sur le monde : celui de l’investissement humanitaire et associatif. Elle a participé ainsi à de nombreux chantiers communautaires dans le tiers monde. Haïti, où elle a parrainé des enfants, est devenu son second ’port d’attache’. Elle partage son temps entre l’échange épistolaire avec ses amis éparpillés en France et à l’étranger, la participation à des associations écologistes et sa ’petite cabane’ que lui ont construit les habitants d’un village Haïtien. Elle a pu ainsi rompre sa solitude à travers ses réseaux associatifs. Elle s’est construit une nouvelle famille et un espace familier, maîtrisé à travers eux. Les liens tissés sont une manière de s’approprier des lieux. Elle voyage à travers des réseaux qui constituent les chemins les plus sûrs pour naviguer à travers les différentes ’espèces de lieux’.

Elle n’évoque pas son investissement dans le domaine humanitaire comme un engagement, une lutte sur le front de la misère, mais plutôt à travers le voyage, le plaisir à connaître de nouveaux pays, de nouvelles cultures et comme le moyen de ne pas ’voyager idiot’ comme les ’touristes en voyages organisés’.

Ses activités de randonnées pédestres au sein d’une association écologiste répondent au même désir : marcher avec un but et des gens qualifiés. L’adhésion à cette association fédérative (sur plusieurs régions) lui a permis en outre de changer de région (mutations) en trouvant partout un même repère.

On voyage à travers la terre pour découvrir l’ailleurs, à travers des réseaux, permettant de s’approprier les lieux par la connaissance des milieux qui y vivent. Etablissant des passerelles entre différents lieux, on construit ainsi un territoire familier, à la manière des oiseaux migrateurs.

Ces deux personnes ont en commun d’avoir ’rompu’ leur racines. Leur lieu d’origine a été ’rongé’ par la ville. Par deux fois, Monsieur Loup a vécu l’urbanisation de la banlieue rurale où il a vécu avec ses parents. Quant à Madame Smith, le village de ses racines dans les Deux-Sèvres :

De ce fait, l’identité n’est pas incarnée en un lieu, mais liée un ’territoire familier’. Elle se construit dans l’expérience de l’extériorité : on se sent d’ici quand on est ailleurs, autant que l’on se sent chez soi ailleurs. L’espace habité est approprié par la distanciation, un peu à la manière de certains rapaces qui survolent leur territoire de chasse.

Madame Smith

Monsieur Loup

On supporte, à la limite, la ville centre parce qu’elle offre un intérêt architectural (esthétique) et culturel, on aime particulièrement ’la nature sauvage’, mais la banlieue et la campagne banales constituent les lieux faibles, repoussoirs par excellence. L’ici ne prend sens que dans la recherche d’un ailleurs. Autrement dit, la diversité des milieux en fait leur richesse. L’espace uniformisé est un espace dénué d’intérêt. La diversité (la ’biodiversité’ de la nature et des peuples) est un patrimoine à conserver et une richesse à s’approprier (par la connaissance, le voyage).

Monsieur Loup

La frontière est un front qui sépare la ’nature’ préservée de l’urbanisation qui grignote et menace la première. D’où la temporalité digitale qui anime ces deux personnes, inquiètes pour le devenir de la planète, mais aussi de l’environnement naturel dans lequel elles vivent et que d’autres voudraient industrialiser ou livrer à la grande masse des touristes. La vision du développement, et plus globalement de l’aménagement du territoire, est orientée en un sens conservateur.

Pour Monsieur Loup, dont l’argumentaire est aussi radical que finement élaboré, la campagne ’productive’ est un mal nécessaire (pour l’alimentation) qu’il s’agit de concentrer sur des territoires les plus restreints possibles. En ce sens, la défense de la nature, de la ’biodiversité’, (réintroduction du loup, de l’ours) est une cause bien supérieure à celle du maintien de l’agriculture (peu productive sur les zones de montagne) et de ses ’moutons’ qui ne sont pas, loin s’en faut, en voie de disparition. Le tourisme, de même, est un apport de ressources qu’il ne faut pas négliger. Mais il s’agit de le canaliser, en distinguant les ’touristes de masse’ que l’on peut concentrer en certaines zones, des ’touristes verts’ sensibles et respectueux de la nature, que l’on peut et doit accueillir comme il se doit.

Monsieur Loup

Notes
301.

Fédération Rhône-Alpes de Protection de la Nature.