7223. Entrepreneurs des lieux génériques

Ces trois personnes sont, par leur position professionnelle et leur parcours, à l’opposé de l’échelle sociale et vivent dans un monde tout à fait différent des précédentes. Il s’agit de figures importantes sur la zone d’étude, économiquement et symboliquement. On les retrouve à la tête d’entreprises et à l’origine d’initiatives culturelles, à fortes retombées au niveau de l’emploi local. Ils sont repris comme exemple par le District qui porte le projet de territoire (cf. supra). Créateurs d’entreprises, non originaires du milieu, ils incarnent un certain modèle de réussite et symbolisent le potentiel existant en termes de développement économique sur la zone. Pourtant – et c’est là toute l’interrogation à mener sur la dynamique territoriale – ils sont les entrepreneurs-habitants d’un lieu générique.

D’origines sociales et géographiques très diverses, ils sont arrivés sur la zone avec une expérience professionnelle antérieure et l’idée d’y créer une activité. Ce sont des entrepreneurs-nés. Deux d’entre eux n’ont pas fait d’études, et le troisième estime ’avoir traîné quelques temps ses guêtres à l’université’ (philosophie et droit) avant d’entrer vraiment dans la vie active, par la ’petite porte’. Ils ont gravi les échelons des entreprises où ils ont été employés (cadre, puis responsable commercial par exemple) ou ont créé leur propre activité. Leur arrivée sur la zone conjugue le hasard et la nécessité, la rationalité économique et le choix d’un cadre de vie.

Les deux premiers sont arrivés par ’réseaux’, à une étape de réorientation de leur carrière professionnelle.

Monsieur Gladisse, artisan dans la région de Vaison La Romaine (lieu d’origine de la famille) est venu s’installer dans le Diois où sa mère (divorcée) s’était établie quelques années auparavant car elle y avait ’un vague cousin’. Lui-même, avec un CAP de carreleur en poche, a monté sa première entreprise à l’âge de 23 ans et se dit ’une âme d’entrepreneur’. Il décide de changer d’activité suite à des problèmes de santé et envisage alors de monter un camping dans la région de Serre-Ponçon (Alpes). Mais face à la réticence des mairies et la rareté des terrains, il se replie sur Die, connue à l’occasion de ses visites familiales (auprès de sa mère) et ’où tout restait à faire au niveau tourisme’. Il prospecte le terrain qui lui semble le plus approprié – c’est-à-dire en face du Glandasse et en amont de Die, là où la rivière Drôme n’est pas encore polluée (anticipant une activité possible de location de canoës). Après quelques négociations de prix, il obtient de l’agriculteur concerné, la vente du terrain où il crée ’de A à Z’, la structure qui compte aujourd’hui plus de 170 places de camping, une piscine, un snack et une location de canoës.

Monsieur Tippe est arrivé ’par hasard’ en 1967 en suivant les traces d’un ami déjà installé (réseau de migration parisien). Il commence par donner quelques cours sur le patrimoine auprès de stagiaires du GRETA et obtient peu après des financements du Ministère de la Culture pour organiser des stages de réhabilitation du patrimoine local. Avec son frère (professeur d’histoire), il initie et organise l’une des premières Opérations Programmées d’Amélioration de l’Habitat sur la région. Il devient, en 1983, conseiller culturel auprès du Parc du Vercors. Il développe depuis de nombreux projets de valorisation du patrimoine local dont certains ont déjà abouti (manifestations culturelles notamment). Suite à un problème de santé, il réoriente son activité professionnelle et crée la première maison d’édition sur la zone. Il ajoute à celle-ci une autre maison d’édition sur Grenoble, où il travaille également comme conseiller auprès du Musée.

Monsieur Vinnier, ayant fait quelques études (philosophie et droit) avant d’entrer dans de grandes entreprises de l’industrie agro-alimentaire et d’y gravir les échelons hiérarchiques arrive ainsi sur la zone :

Monsieur Vinnier - Directeur d’une des plus importantes entreprises de la zone.

Leur espace vécu s’étend bien au-delà de la zone d’étude. Leurs réseaux, professionnels, amicaux sont dispersés dans différentes régions françaises et parfois à l’étranger. La ’circulation’ fait partie de leur vie quotidienne, et de leur pratique professionnelle. Seul l’opérateur touristique s’estime ’bloqué’ sur son camping durant la haute saison, mais parvient à s’échapper sur la Côte-d’azur dès l’arrivée de la basse saison. Leurs espaces de référence sont multiples : lieu d’origine, lieux d’activité présentes, passées, futures. Ils ne s’estiment pas ’d’ici’ mais ’vivant pour l’instant ici’. L’un d’eux a déjà envisagé sa retraite ailleurs (Monsieur Gladisse), sans doute sur la côte d’azur. Les deux autres ne se projettent pas à si long terme, même si, pour l’un (Monsieur Tippe) il lui semble ’peu probable’ qu’il repartira ailleurs.

La frontière est pour eux un front et un support d’activité. L’enclavement géographique du Diois, est une limite à leur activité et pour certains, à leur recherche de reconnaissance. Les manifestations culturelles, dont deux d’entre eux sont à l’origine, font l’objet d’une forte publicité à l’extérieur et drainent des milliers de visiteurs. Il s’agit également pour chacun d’eux d’ouvrir le territoire sur une clientèle extérieure, en valorisant au mieux les ressources locales, c’est-à-dire la spécificité territoriale (frontière support d’activité).

Pour Monsieur Tippe, le patrimoine local n’est pas spécifique au territoire, et comme tout patrimoine, il est un ’produit culturel’ que l’on peut mettre en scène. Concernant ce dernier, le rapport au territoire semble plus fort que pour les deux précédents. Mais le territoire n’est qu’un lieu de projection vers l’ailleurs. Le territoire est une accroche et un support, permettant de développer des projets patrimoniaux qui dépasse largement ces limites (les Alpes, le Moyen-Orient...). Le patrimoine, rénové, valorisé, mis en scène, dans ses activités professionnelles, se réfère à une aire culturelle plus que ’territoriale’. Les ’lieux’ concernés sont des points génériques : des objets d’espèces différentes (spécificité territoriale) appartenant au même genre (aire culturelle). Ce qui explique peut-être la dimension très conflictuelle de la fête qu’il a initiée, et sa distance au milieu local dans lequel il s’estime ’travailleur immigré’.

Monsieur Tippe

Pour les deux autres, le territoire est un produit qui peut se vendre (Monsieur Vinnier et monsieur Gladisse). L’authenticité, la naturalité correspondent à la demande actuelle qu’il s’agit de capter.

Monsieur Vinnier

Leur conception du développement local est avant tout ’économique’. Leur terrain est celui de l’innovation. Leur perception du milieu local, est celui d’un cercle trop replié sur lui, qui ignore les bienfaits de l’ouverture. Le faible développement local est perçu comme un signe de stagnation, de passéisme, de manque d’audaces et de dynamisme, typique du milieu rural. Innovateurs dans un monde conservateur, ils sont ici sans en être, comme ’accoucheurs d’une destinée’ qu’ils sont les seuls à percevoir.

Monsieur Vinnier

Monsieur Tippe

Ils ont intégré cependant les attentes ’du milieu’ en terme de ’préservation de la qualité de vie’, dont ils ressentent également l’intérêt à le conserver. Mais tout est affaire de communication et d’organisation. Il s’agit donc de vaincre les réticences locales au développement en proposant de ’bons projets’. Le projet de territoire doit être mené comme un projet économique et non pas politique. Le temps ici est trop lent : rien ne se fait, tout prend trop de temps. Ils vivent au rythme de l’innovation, de la prise de risque, et du défi. Le temps de ’négociation’, de maturation propre au politique constitue pour eux un temps perdu. C’est en faisant que l’on avance, c’est en avançant que l’on obtient l’adhésion de la population locale.

Monsieur Vinnier

On voit ici que les thèmes de l’environnement et du patrimoine peuvent correspondre à des valeurs et à des enjeux différents, entre les néo-ruraux qui ont fait le retour à la terre et entendent préserver leur ’pays’ et ces nouveaux entrepreneurs ruraux qui ont choisi en venant ici un ’cadre de vie rurale’ et un support à leur créativité et à leur goût de l’entrepreneuriat.

Notes
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Il s’agit d’une réflexion engagée entre l’office du Tourisme de Die et le District du Diois. La formule retenue ’Le pays de Die et de la Haute vallée de la Drôme’ est un consensus auquel sont parvenus ses différents acteurs afin d’engager une politique ’marketing’ (pays de Die) tout en préservant l’intégrité du territoire du District, et en ménageant la susceptibilité des élus de l’arrière-pays (’et de la Haute Vallée de la Drôme’).