Conclusion Du difficile équilibre entre distance et engagement

Aussi différents soient-ils, ces deux modes d’appartenance -tension et extériorité- nous semblent tout à fait emblématiques des effets et enjeux du régime de mobilité dominante actuel.

La ’tension’ est le corollaire du modèle de promotion par la migration qui s’est diffusé parmi l’ensemble des groupes sociaux. L’extériorité est l’aboutissement du processus de distanciation, qui ne permet plus l’engagement. Déracinement pour les uns, désenchantement pour les autres : voici les deux rançons exigées par l’appropriation du mode de vie et des valeurs sous-tendus par le régime de mobilité dominante. La liberté de circuler entre lieux et liens, d’en changer lorsque d’autres s’avèrent plus propices, en est le principe ultime. Cette liberté prend néanmoins un sens particulier lorsqu’elle est érigée en modèle de comportement. Elle n’est pas un objectif en soi, mais le moyen de parvenir à un idéal ultime -la réussite sociale ou l’épanouissement personnel- dans une société où dominent les valeurs individualistes caractéristiques de la Modernité. La liberté telle qu’elle est définie ici, vient soutenir une morale de responsabilité individuelle. Elle représente un devoir sur le chemin de la réussite sociale qui marque les parcours des figures en tension. Elle constitue un outil au service de l’épanouissement personnel que recherchent les figures de l’extériorité.

Mais cette liberté a pour corollaire une gestion individuelle, et non plus socialisée des incertitudes, liées à l’existence humaine. ’L’invention de l’individu’ évoquée par J. Lévy (1994), en fait un être autonome mais en même temps responsable de sa destinée. D’où la plus forte réversibilité qui marque les positions et les parcours des individus investis d’une telle responsabilité. Libre à chacun d’eux d’emprunter le bon chemin sur la route de la réussite ou de l’épanouissement. Route semée d’embûches et de détours pour atteindre l’idéal de l’épanouissement personnel que se sont fixé les figures en extériorité. Cap vers la réussite sociale et professionnelle qu’il faut tenir, quel que soit le prix du déracinement, que doivent payer les figures en tension.

L’extériorité est en quelque sorte une forme d’appartenance ’inversée’ par rapport à celle de la tension. Il n’y a pas tension mais dépassement de tout engagement et de toute attache. Dans une perspective durkheimienne, on pourrait dire que l’excès de distance engendre une forme d’anomie. Dans une perspective simmelienne, on pourrait ajouter que l’accessibilité et la variété, sans limites, des lieux et des rencontres, engendre des êtres blasés. Plus précisément, on rejoint ici la problématique développée par J. Rémy (1998, p.367) du mode mineur et du mode majeur. Le premier concerne les espaces-temps où l’individu exprime le sérieux de ses engagements, le second permet au contraire d’expérimenter l’altérité, le jeu et la distance au rôle, nécessaires pour soutenir la tension vécue dans le premier. ’L’inexistence de mode mineur risque d’engendrer une anxiété dramatique’ : les figures de la tension précédemment évoquées en sont, dans une certaine mesure, l’incarnation. ’L’absence de mode majeur aboutit à la figure du blasé’, comme nous l’avons vu, sous des angles différents, avec les figures de l’extériorité.

Enfin, toutes ces figures, aussi diverses soient-elles du point de vue de leurs origines et de leurs horizons, ont un point d’ancrage dans le Diois. Concernant des catégories d’usagers tels que des résidents secondaires, des touristes, des retraités, des entrepreneurs, nombreuses ou importantes sur ce lieu, on en arrive à poser la question de la dynamique territoriale qui peut en résulter. Si pour les uns, le Diois est un lieu d’attache généalogique et mémorial, si pour les autres, il est un lieu toujours substituable à terme, peut-il faire sens comme support d’engagement dans la dynamique territoriale à l’oeuvre ?

L’analyse de la construction territoriale du Diois dans la troisième partie, permettra d’y répondre par une mise en perspective.