Introduction

Le présent chapitre a pour objet d’éclaircir l’un des paradoxes marquant, au-delà de la zone étudiée, un certain nombre d’espaces ruraux. La mise en place des ’pays’, dont la ’cohésion géographique, culturelle, économique ou sociale’ est une des conditions de reconnaissance (LOADDT, 1999), s’effectue dans un contexte où les multiples flux traversant les espaces ruraux rendent plus problématiques leurs frontières avec le monde urbain et leur cohésion interne. On peut alors difficilement continuer à parler de ’collectivités rurales’ ou de ’localités’, mais plutôt d’espaces partagés ’en commun’ par des usagers et des habitants dont les origines et les horizons sont divers.

Dans le cas précis du Diois, la mobilité et les multiples vagues de migration dont il fut et fait l’objet posent la question des bases communes susceptibles de favoriser son institutionnalisation territoriale. Zone de refuge protestant au 16ème siècle et terre d’élection des ’néo-ruraux’ dans les années 1970, le Diois n’est pas un espace peuplé de paysans non instruits et renfermés sur eux-mêmes, nous prévient-on lorsqu’on y pénètre. Il véhicule l’image d’une terre habitée par des ’âmes fortes’305, mais aussi par des ’esprits éclairés’ ayant fréquenté pour certains d’entre eux, les bancs de l’université (les ’néo-ruraux’) et ayant largement suivi, pour les autres, les voies ouvertes par l’Ecole Publique, en donnant à la République un bataillon important d’instituteurs306. On peut y rencontrer des universitaires (en résidence secondaire ou délocalisés grâce aux possibilités offertes par l’informatique et la télématique) autant que des marginaux ou des ’exclus de la ville’. Enfin, la plupart des entreprises créées le sont par des porteurs de projet extérieurs attirés par les aménités naturelles et le cadre de vie307.

Plutôt que d’une ’société locale’, on doit parler ici de ’strates de population’ dont la sédimentation est un processus non achevé. Les habitants, plus ou moins anciens, et les usagers, plus ou moins occasionnels, convergeant sur la zone, ne partagent pas les mêmes échelles de référence ni les mêmes modes d’appartenance locale.

A cet égard, l’analyse de l’institutionnalisation territoriale de cet ’espace commun’ permet d’éclairer plusieurs questions : celle du rapport à la ruralité et à la géographie et celle de la construction sociale de la confiance. La ruralité, comme catégorie de la pratique, sera interrogée à partir des différences d’usage de l’espace local. La géographie du Diois sera appréhendée à partir des perceptions et pratiques migratoires des différents groupes locaux. La construction de la confiance entre acteurs locaux sera analysée à partir de leurs modes d’appartenance et de leur rapport aux frontières.

Nous analyserons, dans un premier temps, les vagues de migrations et de mobilité qui font de la zone un espace de convergence géographique entre groupes différents. Nous serons amenée alors à montrer les interrelations entre elles et le rôle qu’elles ont joué dans la revalorisation symbolique de cette enclave rurale.

Le second temps de la réflexion sera consacré à l’analyse des bases sur lesquelles s’est construite la confiance entre acteurs locaux. Ce sera aussi l’occasion d’étudier comment s’est progressivement élaboré un modèle de développement local en référence aux représentations locales de la mobilité géographique et de la ville.

Notes
305.

L’action du roman de Jean Giono (1949) se situe en partie sur la zone d’étude, et l’on s’identifie localement à ses personnages. Cet auteur a donné son nom à un circuit forestier récemment aménagé aux abords de Châtillon en Diois.

306.

La commune de Valdrôme située dans le Haut-Diois, en amont de la vallée, fortement marquée par le protestantisme, est réputée pour avoir engendré plusieurs générations d’instituteurs et de fonctionnaires.

307.

PERRIET-CORNET P. (coord.) 1997 - Rapport final, fascicule 2 : Le tissu des entreprises et son renouvellement. INRA-ENESAD, Dijon, p. 13.