Conclusion

Les différences entre les échelles d’espace et de temps de référence des groupes convergeant sur la zone d’étude sont à l’origine des conflits d’usage et des alliances locales. La ligne de partage entre originaires et non originaires semble moins importante que celle qui sépare les permanents et les non permanents.

L’une des communes du Diois constitue une ’figure de lieu’ permettant de rendre compte de la dynamique des alliances et conflits locaux. Il s’agit de G., commune du Haut Diois où nous avons rencontré plusieurs personnes, emblématiques, pour chacune d’elles, d’une tranche d’histoire locale.

Monsieur Férreni, ancien maire du village, ainsi que le maire actuel ont tous deux connu la migration depuis l’exode de leur lieu d’origine : le premier, pour faire carrière dans de grandes entreprises, et le second, pour entrer dans la fonction publique. Exilés dans de grandes villes durant leur vie active, ils sont restés attachés à ce pôle, où ils sont revenus en ’résidence secondaire’. La commune de G. est donc pour eux un lieu ’conservatoire’, un lieu de mémoire et de patrimonialisation ostentatoire. Il en va de même pour Madame Yourkhénof, Messieurs Maléserbe et Gaspard, résidents secondaires et non originaires du lieu. Ils ont, nous l’avons vu, connu l’exil loin de leur pays d’origine, l’exode de leur région natale vers la banlieue parisienne ou la requalification sociale de leur quartier d’origine populaire. Or, avant que les premiers exilés ne reviennent au pays et que les seconds n’arrivent en résidence secondaire, d’autres ont occupé la place vide (néo-ruraux). Les premiers ayant gardé leur patrimoine familial situé dans le village-centre, les néo-ruraux se sont installés en marge du village dans les deux hameaux d’altitude désertés par la population locale. Deux filières d’immigration ont contribué à repeupler ces hameaux. Le premier a été réinvesti à l’époque du ’retour à la terre’ (1970). L’un de ces pionniers, bien établi et sensible à la revitalisation de son hameau, a facilité l’installation de nouveaux migrants, en créant une association pastorale pour le rachat et la location des terres agricoles qui risquaient de partir en résidence secondaire. Des annonces dans la presse ont permis de faire connaître le lieu et d’y installer, avec des aides publiques (DJA notamment), de jeunes couples. Madame Bordas (néo-rurale restée au front) en est un exemple. Nous avons vu qu’elle jouait à son tour le rôle de passeur de frontière, en transmettant son activité à de nouveaux arrivants avec un arrangement financier.

L’autre hameau a été investi dès les années 1950 par un journaliste parisien avec le projet d’y créer un institut médico-pédagogique (comme dans la commune de Monsieur Grilet). Après l’échec de différents projets, refusés par la DDASS, de nouveaux couples arrivent dans les années 1970 (dont Madame Noisy). Ils reprennent le flambeau en y accueillant en famille des enfants en difficulté. A partir d’eux, s’établissent d’autres migrants, amis ou parents, selon la logique de ’colonie’. L’histoire similaire de ces couples est révélatrice des enjeux familiaux de l’installation ’néo-rurale’. Tous se sont séparés, et toutes les femmes sont restées ’attachées’ à ce front pionnier, avec le double défi de s’accrocher ici et de réussir. L’accueil d’enfants a été dès lors abandonné au profit d’un accueil touristique saisonnier, plus lucratif et conciliable avec l’exercice d’une autre profession à l’extérieure. Cette distanciation du milieu local a été favorisée, en outre, par les conflits les opposant aux autres villageois et ayant abouti à leur éviction du pouvoir local par une alliance entre les résidents secondaires et les retraités, originaires et extérieurs du village. Après s’être investis dans l’animation locale (cinéma itinérant, associations) et face à l’absence de reconnaissance locale, certains sont redescendus dans la vallée, à Die notamment, où ils ont retrouvé une sociabilité plus urbaine (brassage de populations) et des voies de promotion sociale (l’ancien boulanger du hameau est ainsi devenu écrivain public à Die).

Le rapport au lieu n’est donc pas consensuel, et c’est parce qu’il est occasion de conflits qu’il est producteur d’une dynamique territoriale. Cette dynamique territoriale naît de l’interaction entre deux forces principales : les forces ’instituantes’, c’est-à-dire les populations qui convergent sur la zone, et les forces ’instituées’ (minorité active). C’est de cette minorité active et du modèle de développement local qu’elle a progressivement élaboré dont nous allons à présent analyser les ressorts.