Dans la première étape, avec la mise en place du ’Comité de défense et de développement du Diois’ en 1970, c’est l’exode qui constitue le support de cristallisation identitaire et territoriale. Ce groupe de défense est constitué des premiers migrants de retour au pays (notables locaux) et de quelques entrepreneurs restés sur place ou qui sont venus s’y installer. Le constat de la dévitalisation est l’occasion d’une première prise de conscience d’une identité territoriale : le Diois est une ’espèce d’espace’ en voie de disparition, qu’il s’agit de ’défendre’. C’est l’époque charnière où l’exode, arrivé à son terme, a fait son ’plein’ de migrants et où les vagues d’immigration, qui arriveront après, n’ont pas encore sonné l’heure de la revitalisation. Ces flux de départ ont eu pour effets non seulement une dévitalisation démographique et économique mais aussi une ’démoralisation’ de la population locale (Merlin, 1971, p. 130), ce qui a entretenu les stratégies migratoires (sur le modèle des protestants) et les comportements défensifs (dernier carré). C’est aussi l’époque de la mise en place des Plans d’Aménagement ruraux (PAR), dont il convient de resituer le contexte pour mieux comprendre leur appropriation locale. Ceux-ci correspondent à la ’contrepartie’ rurale de la Loi d’Orientation Foncière de 1968322, principalement destinée à organiser l’aménagement des villes qui connaissaient alors un développement anarchique (concentration, développement des périphéries). La ville constitue alors l’enjeu prioritaire des politiques publiques, car elle est porteuse du dynamisme économique et démographique du pays. Mais celles-ci, alors centralisées et fondées sur le principe d’égalité (accès aux services et équipement), s’étendent aussi aux zones rurales qui doivent, à terme, ’rattraper’ la ville grâce à leur modernisation. Portés par le ministère de l’agriculture, les PAR ont pour principaux objectifs : la poursuite et l’achèvement de l’équipements des campagnes au niveau des infrastructures et des réseaux des campagnes (eau, voirie, électrification, téléphone) ; la modernisation de l’agriculture (remembrement, équipements coopératifs) ; le développement de nouvelles activités (tourisme, PME, artisanat) et le recours à la formation comme levier de diffusion du progrès323.
C’est cette occasion que va saisir le ’Comité de défense’ du Diois pour réaliser la première étude sur la zone (constitution d’une mémoire collective) et définir un plan d’action pour contrer son déclin (projection dans l’avenir). Le périmètre d’étude concerne alors cinq cantons, dont l’un d’eux (le canton de Saillans) se désengagera plus tard de l’intercommunalité dioise (cf. chapitre III).
L’étude et la rédaction du Livre blanc diois324 qui en a résulté ont été confiées à un bureau d’étude extérieur325. Mais les membres du comité y ont pris une part active. L’introduction rédigée par leur président révèle la prise de conscience locale et la première démarche collective que cette étude a permise326. Une ’minorité active’ se met alors en place, premier noyau du pouvoir associant des élus et des acteurs socioprofessionnels. La situation de dévitalisation, révélée par l’étude, est telle que ’l’union sacrée’ impose de dépasser les clivages politiques et les divisions communales ou géographiques (entre Haut Diois et plaine) pour rassembler toutes les forces vives. La consultation élargie de la population locale est aussi l’occasion d’une première mobilisation collective et d’une sensibilisation à l’identité territoriale dioise. Le ’Diois’ est alors associé à l’image d’une région naturelle (bien délimitée au niveau géomorphologique), et à celle d’une communauté de destin.
La notion d’’attachement’ - à un pays en déclin, à la tâche de le maintenir vivant - est utilisée à plusieurs reprises dans un sens où se mêlent un sentiment identitaire local et la volonté de d’intégration et de reconnaissance à l’échelle nationale : ’‘Car, en travaillant au développement du Diois nous avons conscience de travailler certes pour nous-mêmes, attachés à une région que nous aimons, mais aussi pour l’ensemble de la collectivité nationale, et pour le maintien d’un équilibre économique, social, et humain dont ne pourra se passer le monde de demain’’.
Trois orientations principales se distinguent dans ce premier pavé posé dans la construction du territoire diois : la lutte contre la dévitalisation et l’accès à une certaine parité avec la ville ; l’affirmation d’une ’utilité’ à la collectivité contre le modèle de domination urbaine ; une démarche pédagogique visant à concilier la ’diffusion du progrès’ et la prévention des comportements défensifs (dernier carré). Reprenons ces trois points.
Dans ce ’livre blanc diois’- premier manifeste d’une ’région qui ne veut pas mourir’- la ville fonctionne comme référence positive (revendications d’égalité d’accès aux équipements et aux services). Le diagnostic territorial est celui, assez alarmiste, d’une zone en voie de ’désertification’327. Les jeunes partent, la population vieillit, et ceux qui arrivent sont des personnes âgées. Le cercle vicieux de l’exode risque d’entraîner la disparition irréversible des plus petites communes328, dont la population est confrontée à l’isolement social (personnes âgées, agriculteurs célibataires) et à l’enclavement géographique. La situation de l’emploi, qui seule pourrait retenir les forces vives (les jeunes) et en attirer de nouvelles, ne laisse rien augurer de meilleur. Le taux d’activité, en dessous de la moyenne régionale (33 % contre 41 % pour Rhône-Alpes), reflète le vieillissement de la population et la faible dynamique économique de la zone, qui reste encore essentiellement liée à l’agriculture (1 actif sur 2 a une activité agricole ou para-agricole). Les autres emplois locaux sont peu qualifiés, et les salariés, nombreux dans la population active (près de la moitié), considèrent le passage par la zone comme un début de carrière obligé qu’ils espèrent transitoire (notamment parmi les fonctionnaires). Dans ce contexte, le regroupement de la population locale observé sur Die (en provenance des communes de montagne) n’est qu’une étape avant une émigration définitive de la région.
Les activités économiques, liées notamment aux commerces et aux services, périclitent. L’agriculture, présente des atouts certains (production diversifiée et de qualité avec appellation d’origine contrôlée), mais son renouvellement n’est pas assuré et la commercialisation de ses produits non organisée. La part des exploitations sans successeurs est importante et laisse présager l’avancée des friches dans les années à venir.
Les équipements et les réseaux (eau, électricité, assainissement et téléphone) sont insuffisants durant la période estivale où l’afflux de visiteurs occasionnels augmente les besoins. Ceux-ci, néanmoins, ne sont pas estimés ’trop nombreux’. Ils témoignent au contraire de ’l’utilité’ du Diois à la collectivité nationale, et justifient l’aide en équipement demandée aux responsables publics pour lui permettre de remplir ce rôle sans remettre en question la qualité de vie de ses habitants permanents. Le maintien des services publics (lycée, hôpital et lignes SNCF, notamment) qui fait l’objet de remise en question régulière, est une condition essentielle de la revitalisation du lieu (livre blanc diois, p. 81). D’une manière générale, le constat est celui de l’interdépendance entre le maintien de la population locale et la qualité de l’accueil de visiteurs occasionnels (entretien des paysages, présence des commerces et services...) et de populations nouvelles.
L’avenir du Diois se décide en grande partie à l’extérieur de celui-ci (selon le paradigme de la domination urbaine sur les zones rurales, cf. chapitre II). On évoque ainsi les différents échelons du pouvoir central dont les services sont cloisonnés et les découpages administratifs déconnectés des ’réalités territoriales rurales’329. On s’inquiète aussi des stratégies de délocalisation de certaines entreprises, importantes dans la dynamique locale (dans l’agroalimentaire notamment) dont le siège est situé dans des grandes villes et qui se préoccupent peu de l’avenir de la zone. Face à ce contexte, le morcellement des communes ne permet ni d’enrayer le déclin ni de constituer une force locale de proposition. D’où la nécessité impérieuse, soulignée alors, de passer à une gestion intercommunale pour bâtir des programmes d’équipement répondant aux besoins de la population et aux enjeux de développement.
A cette domination urbaine qui vide les campagnes de ses hommes, on propose de substituer une ’complémentarité ville-campagne’ On mise en effet sur le développement industriel et urbain de la vallée du Rhône (mis en place du port de Fos, de l’axe Rhin-Rhône, du réseau autoroutier alpin) et sur l’afflux de nombreux travailleurs sur le Diois qui s’offre alors à eux comme ’espace de loisirs et de tourisme’. L’argumentation vise donc à justifier son développement, et l’aide extérieure que cela suppose, par la contrepartie proposée : ’‘la population locale permanente contribue à l’édification et à l’entretien du patrimoine immobilier et des équipements publics (routes, adduction d’eau, électrification) dont le maintien conditionne les possibilités d’utilisation de cet espace, à des fins touristiques en particulier’’. L’appartenance locale qui se dessine alors est celle d’une collectivité rurale intégrée par la ville, et insérée dans une collectivité globale, celle de la société française et de la République. L’identité revendiquée mêle un sentiment de fierté (d’être resté) et d’infériorité (les meilleurs partent en ville), typique des habitants des zones rurales qui se pensent alors comme des collectivités spécifiques mais en voie de disparition (Mendras, 1976) : ’‘La population et ses caractéristiques propres représentent un patrimoine sociologique qu’il faut sauvegarder’’ (livre blanc diois, p. 94).
Tout ce que le territoire compte de richesses et de ressources, pour inverser les tendances lourdes, est un ’potentiel’ dont la mise en valeur dépend d’éléments extérieurs. On ne parle pas encore de ’développement durable’, mais ’d’aménagement volontaire’. L’enjeu est celui du maintien des activités agricoles, ce qui suppose le renouvellement des structures (installation de jeunes agriculteurs) et la valorisation et commercialisation des productions traditionnelles (lavande, clairette, élevage ovin). Mais l’axe principal reste le développement de nouvelles activités. La ville reste ici un modèle de référence positive : l’industrialisation du Diois constitue l’une des voies pour développer des emplois, diversifiés et qualifiés, et ancrer une population, permanente et active. Le développement touristique peut aussi largement y contribuer : une meilleure répartition des séjours dans l’année permettrait en effet de résoudre le problème de saisonnalité de l’activité. La création d’activités passe donc par l’attraction de nouvelles populations ce qui suppose d’améliorer les structures d’accueil (disponibilité foncière, construction de logement) et les liaisons à l’extérieur (réseaux routiers, classement en Zone d’Industrialisation Prioritaire).
Pour faire passer ce message, la démarche doit associer une pédagogie participative et l’aide à la modernisation selon l’idéologie de la ’diffusion du progrès’ (cf. Chapitre II) : ’‘Quand on parle de développement et de croissance, on envisage un nombre de modifications qui vont avoir des conséquences sur le mode de vie des habitants. [...] Il faut également veiller à ce que la population soit constamment informée préalablement et à ce que les modifications ne se fassent pas sans qu’elle ait participé aux décisions’’ (livre blanc diois, p. 110).
La formation professionnelle de la population, jugée insuffisante, doit constituer un axe prioritaire, notamment à l’égard des agriculteurs. L’apport nécessaire de populations extérieures, pour le maintien de la qualité de vie locale, est souligné : ’‘il faut considérer ces mouvements de population comme un facteur de dynamique indispensable’’. (livre blanc diois p. 107). Mais il convient de prévenir les comportements défensifs ou conservateurs en tenant compte des préoccupations de la population. On évoque ainsi ’‘le sentiment d’insécurité des agriculteurs autour de Die face à l’urbanisation, la menace de constructions touristiques anarchiques, la répercussion déjà importante sur le prix du foncier’’ (livre blanc diois p. 67). L’enjeu est déjà annoncé, qui deviendra plus tard prédominant : la reprise en main, notamment pas les communes, du contrôle sur le foncier, nerf de la guerre contre la dévitalisation du pays, puis, comme nous le verrons, contre l’envahissement du pays.
Celle-ci prévoyait notamment un ’Schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme’, avec un ’zonage’ prévoyant la répartition des différentes activités (résidentielle, industrielle...) et la mise en place de Plans d’Occupation des Sols, obligatoire pour les communes de plus 10 000 habitants.
Ces plans avaient néanmoins une lacune : l’absence de financements prévus pour donner suite aux études d’aménagement et de développement qui en résulteront.
Comité de Développement et de Défense du Diois – Direction Départementale de l’Agriculture de la Drôme, 1971 – Livre Blanc diois, Ed. Sorépi, DRDD, Die, 121 p.
Bureau d’étude d’aménagement urbain et rural, associant trois consultants, l’un grenoblois, l’autre lyonnais et le dernier, valentinois.
Voir en annexe n° 1 du chapitre VIII : Extrait du ’livre blanc diois’ : la mobilisation locale.
Voir en annexe n° 2 du chapitre VIII : Extrait du livre blanc diois : un pays en voie de dévitalisation.
26 communes (sur 62) ont moins de 50 habitants en 1971, et l’on en prévoit 33 dans les cinq ans à venir si aucune action n’est entreprise.
On prend ainsi l’exemple de St-Nazaire le Desert (Diois), qui dépend de Die pour l’hôpital et le tribunal de commerce, de Nyons (hors Diois) pour les centres scolaires et les taxes téléphoniques, de Crest (hors Diois), pour la subdivision de l’équipement et enfin de La Motte Chalencon (chef lieu de canton) et de Montélimar (circonscription électorale).