8213. Valorisation patrimoniale d’un bien commun à usage interne et externe et orientation vers une intercommunalité de projet.

Le renversement des flux démographiques, qui apparaît acquis à partir du recensement de population de 1990, va produire ses effets auprès des acteurs locaux. Certes, depuis le recensement précédent (1982), quelques signes avant-coureur étaient parvenus aux responsables locaux, mais les derniers résultats sont beaucoup plus significatifs. Les variations de population montrent dans la dernière période (1982-1990) un regain démographique (+3,7%), beaucoup plus net qu’au cours de la période précédente (+0,2% entre 1975 et 1982) et, qui plus est, du essentiellement à l’apport migratoire ( bilan naturel : -,5% ; solde migratoire : +5%)333.

G. Barbichon (1983) a souligné les effets importants de l’inversion des flux migratoires sur les zones rurales d’exode ancien. Il renforce parmi leurs habitants l’attachement au pays avec l’idée que le maintien sur place est envisageable dans la mesure où d’autres, venus d’ailleurs, font le chemin jusqu’ici pour y vivre. Ces effets prennent sens dans le contexte de l’évolution des rapports ville-campagne. La ville n’est plus le modèle de référence, symbole de modernisation et de progrès ; elle est traversée par le problème du chômage et des ’banlieues’, celui de la pollution, de l’insécurité et du ’cadre de vie’. Dans ce jeu de miroir, la campagne n’apparaît plus sous l’angle de son retard, mais sous celui de son patrimoine naturel préservé, de ses valeurs d’authenticité, et ses lieux de mémoire.

C’est dans cet esprit que le syndicat intercommunal du Diois a élaboré en 1994 son premier ’Schéma d’intention’ définissant les ’axes stratégiques du projet de territoire du Diois’. On s’oriente alors plus nettement encore vers l’intercommunalité de projet. Les idées développées dans la proposition de projet de territoire prennent deux grandes directions, marquant une phase de transition vers un nouveau modèle de développement. Entre l’époque où l’exode était l’élément dominant par rapport auquel on recherchait la parité avec la ville et la période suivante où l’inversion des flux démographiques sera suffisamment forte pour afficher un modèle plus autocentré, on conjugue ici deux tendances.

Avec le constat d’un espace plus attractif, la ruralité de la zone n’est plus présentée à travers ses ’manques’, elle devient la marque d’un territoire au cadre de vie et à l’environnement préservés. Les qualités du Diois, à l’état de potentiel soumis au pouvoir urbain dans le livre blanc, deviennent sous l’effet des flux d’arrivée, des réalités concrètes : ‘Situé dans le quart sud-est de Rhône-Alpes, le Diois considéré comme une des zones les plus défavorisées du pays montre, par le renouveau de sa population, par son dynamisme et par la volonté de ses responsables locaux, qu’il n’entend pas se laisser ’mourir’, car conscient que ce qui a été pendant longtemps qualifié de contraintes il peut en faire des atouts’ (Schéma d’intention. Axes stratégiques du projet de territoire p. 21).

La présentation des éléments naturels et climatiques a également changé. A l’époque du livre blanc diois où les espaces ruraux avaient une vocation avant tout agricole, le climat sec de la zone était perçu comme une contrainte et un handicap334. Avec le changement de vocation des espaces ruraux (touristique, résidentielle), ce même climat devient un atout335.

Le Diois n’est plus un espace retardé en état de ’survie’ ou en ’voie de disparition’. Il acquiert le statut de ’territoire’ et a dorénavant un ’projet’ qui le tourne vers l’avenir. Il s’agit alors d’en montrer la cohérence, autrement que par défaut (rattrapage de la norme urbaine en termes de services et équipements) et autrement que par le vide (exode rural). Dans cette voie, que d’autres chercheurs ruralistes ont empruntée, le systémisme paraît tout à fait approprié336. On présente le ’système territoire337 avec ses éléments propres (des hommes, un cadre, des activités économiques) et ses ’interactions avec l’extérieur338. L’influence des autres entités géographiques ou politiques ainsi que les flux démographiques constituent des ’input’. Parties intégrantes du système qu’elles transforment, elles sont présentées en même temps comme des éléments extérieurs renforçant l’image d’une cohérence propre au ’territoire’. A travers la présentation d’un territoire cohérent et en relation avec l’extérieur, on s’adresse autant aux responsables extérieurs (Etat, Région, département) qu’aux habitants du Diois. Les comportements ’conservateurs’ ou ’contemplatifs ’ d’une partie des usagers de la zone sont dénoncés et leur désignation constitue les premières marques d’un modèle d’appartenance locale. Ainsi désigne-t-on comme extérieures à cette communauté en devenir (p. 26) : ’‘une frange de population qui a trouvé son petit paradis personnel’ [et] ne veut pas qu’on y touche’ (migrants et résidents secondaires sur un lieu ’conservatoire’), et une ’‘frange de population qui véhicule une ’vieille carte postale jaunie’ dans sa tête, [et] ne croit pas à un développement possible du Diois’’ (figure des protestants). Le recours à une démarche participative et pédagogique vise autant le développement d’un sursaut identitaire de la population locale que la prise en main du contrôle territorial339. Dans le contexte de l’arrivée de population, la volonté des responsables locaux, encore marqués par la longue période de l’exode, est avant tout de savoir accueillir et retenir des habitants nouveaux. Il s’agit alors de maîtriser les conditions d’accueil, plus que d’endiguer ces flux, et ceci, dans l’objectif de fixer durablement ces nouveaux habitants, mais aussi afin se prémunir contre les comportements de rejet ou de fermeture de la part de ceux, déjà installées, qui pourraient se sentir ’envahis’.

On reste néanmoins conscient de la fragilité de cette reprise démographique. Le solde naturel reste négatif et les flux d’arrivées comprennent une part importante de retraités340. La densité de population demeure parmi les plus faibles de la région (8 habitants au km²) et fait du maintien des services un cheval de bataille toujours d’actualité. Si l’on évoque la transformation de la population en cours et affiche le dynamisme démographique et le rajeunissement comme des atouts, on ne parle pas de ’requalification sociale’ de la population locale. L’arrivée de chômeurs sur la zone, qui constituent, pourtant, une partie non négligeable de l’apport migratoire341, est passée sous silence. On évoque par contre pas le problème de l’intégration difficile des femmes de cadres, et l’ancrage local d’une main d’oeuvre qualifiée constitue l’un des objectifs prioritaires du développement local. L’exode et la dévitalisation ont engendré des cercles vicieux (faiblesse du bassin d’emploi, faiblesse du tissu économique) dont il ne sera pas facile de sortir, même si les signes de la reprise se font sentir. Il n’est donc pas question pour l’heure de fermer les portes mais plutôt d’en contrôler l’ouverture.

La ville devient un modèle vis-à-vis duquel on commence à se distancier au niveau qualitatif (valorisation des paysages préservés, du cadre de vie) mais vers lequel on tend encore sur le plan quantitatif (taille démographique, niveau d’activité économique, efficacité du ’fonctionnement territorial’...). Le Diois est présenté comme un patrimoine riche, précieux mais encore fragile, qu’il s’agit de valoriser au mieux pour attirer sur un ’bassin en vie’. Les deux scénarios qui sont présentés342 montrent la volonté d’utiliser les flux migratoires et touristiques comme levier de mobilisation locale et de renforcement de l’identité territoriale. Tous les éléments sont réunis pour enrayer durablement le déclin (un cadre de vie de qualité, un patrimoine naturel préservé) en intégrant de nouvelles populations, mais en l’absence de mobilisation et d’organisation de l’accueil, ces éléments échapperont au contrôle local et seront ’récupérés par le monde urbain’ qui en fera son ’son terrain de jeu’.

L’enjeu est de rassembler, au-delà des clivages, l’ensemble de ceux qui utilisent ce territoire, de sensibiliser à l’idée de préservation et de ’responsabilité territoriale’.

Le territoire est alors présenté comme un ’bien commun’ dont les deux axes d’aménagement doivent permettre d’assurer le ’respect mutuel entre utilisateurs’. On prévoit en effet : ’l’aménagement de ’l’espace quotidien’ pour les habitants du territoire’ et ’l’aménagement de ’l’espace d’accueil’, de ’l’espace récréatif’ pour les ’personnes extérieures au Diois’.

Les actions de développement témoignent de cette vision patrimoniale de l’espace : opération de réhabilitation du bâti, programme inter-coopératif de développement de l’agriculture biologique, contrat de Rivière, plan Paysage, mise aux normes de l’hébergement touristique, ateliers relais pour l’accueil d’entreprises. Il est à noter que l’industrie ne fait l’objet d’aucune action : le temps où la modernisation des espaces ruraux passait par leur intégration au modèle économique urbain est révolu. Le patrimoine (naturel, paysager, ’de terroir’, architectural) a maintenant son ’économie’, et sa valorisation à des fins touristiques semble ouvrir davantage de perspectives à ces zones rurales enclavées qu’un développement industriel, qui risquerait en outre de remettre en question la ’qualité de vie’ que bon nombre de migrants sont venus chercher ici. A cette époque en effet, les néo-notabilisés, les pièces uniques du territoire, et les migrants enracinés accèdent à différents leviers de pourvoir local : politique, économique, culturel, associatif.

Notes
333.

PERRIER-CORNET P., 1997 (coord.), Les bassins d’emploi ruraux du Diois et de la Vallée de l’Eyrieux. Eléments d’analyse, Dijon, Inra Unité d’Economie et de Sociologie Rurales, pp. 2-3.

334.

’Faible disponibilité en eau pour l’irrigation ; faible valeur ajoutée de la végétation naturelle ; choix limité des espèces susceptibles d’être utilisées dans les reboisements’. Livre blanc diois, 1971, p. 14.

335.

’Une région montagneuse au climat sec et ensoleillé’, avec un ’climat de transition entre le régime semi-continental alpin et le régime méditerranéen’. Schéma d’intention. Axe stratégiques du projet de territoire, 1994, p. 21.

336.

M. Bodiguel, 1986 (p. 76) et M. Robert, 1986 (p. 99) ont mis en évidence les relations entre le recours au systémisme par les ruralistes et leur volonté de mettre en exergue la cohésion et la dimension communautaire des zones étudiées.

337.

Voir en annexe n° 3 du chapitre VIII : Le système territoire. extrait du Schéma d’intention cité plus haut.

338.

A la même époque, M. Le Berre (1995, p. 609) définit le ’système spatial’ comme une ’une entité organisée qui évolue dans un environnement en fonction des interactions entre le groupe social et son territoire’.

339.

’[...] La présence sur le Diois de ressources humaines importantes et de qualité peut permettre de porter un projet d’envergure. Cependant, le chemin est encore long à parcourir et barré de ressauts parfois difficiles à franchir: l’individualisme, les anciennes querelles, les problèmes de pouvoir, une évolution non maîtrisée font que beaucoup se sont retranchés dans des citadelles. Un travail de fond et de longue haleine reste donc à faire, en particulier sur l’apprentissage à une meilleure communication’.

340.

Les retraités qui représentaient 23,5 de la population en 1982, en constituent 27 % en 1990.

341.

Parmi la population active, la part de ceux n’ayant pas d’emploi est passée de 3,7 % en 1982, à 4,2 % en 1990.

342.

Voir en annexe n° 4 du chapitre VIII : Les deux scénarios possibles du Diois. : extrait du Schéma d’intention.