8214. D’un ’bassin de survie à un bassin envié’ : quand le retard devient une avance

Avec la transformation en 1995 de l’ancien Syndicat en District Rural de Développement du Diois (DRDD), l’orientation vers une intercommunalité de ’projet’, amorcée auparavant, est renforcée. Ce passage, nous l’avons vu, occasionne une perte considérable : celle du canton de Saillans qui constitue son propre syndicat et monnaye, depuis lors, son adhésion en jouant sur deux tableaux (intégration au Diois ou au Crétois343, entre lesquels il est situé). Néanmoins, en se dotant d’une telle structure, les acteurs locaux renforcent leur pouvoir institutionnel et élargissent la base de la participation locale. Une dizaine de commissions sont constituées 344 et rassemblent plus de 150 personnes oeuvrant au développement local. Cette structure, dotée d’une fiscalité propre, a des compétences élargies345 : la collecte des ordures ménagères, la réalisation de travaux pour le compte des communes (important levier d’action sur le plan du logement locatif et de la création d’activités), et enfin, chose plus rare, la réalisation d’un projet de territoire. La professionnalisation de l’intercommunalité est par ailleurs renforcée avec le recrutement d’un directeur ayant eu des fonctions administratives à d’autres échelons (départemental et régional) et d’une équipe de techniciens et d’agents administratifs.

Le district, unique structure de développement local sur la zone, comprenait en 1998 : 7 agents statutaires, 6 agents contractuels, 2 personnes en Contrat Emploi Consolidé et un objecteur de conscience. Ils se répartissaient entre l’administration, l’animation, l’exécution, sans compter quatre autres agents mis à disposition du district par convention (le directeur de l’Office du tourisme de Die, deux animateurs d’une structure d’insertion et une personne du Comité d’Action Logement de la Drôme.

Son organigramme est celui d’un petit ’gouvernement’.

L’exécutif comprend le Président et les vice-présidents de quatre commissions qui couvrent, en plus des missions initiales, l’ensemble des domaines liés à l’aménagement et au développement de la zone

la gestion des ordures ménagères et du budget (dont le vice-président est un néo-rural notabilisé) ;

l’économie et tourisme (dont le vice-président est un notable revenu au pays après migration) ;

l’agriculture et l’aménagement du territoire (dont le vice-président est un néo-rural notabilisé) ;

le cadre de vie (dont le vice-président est un garde-fou néo-rural).

Ce bureau prépare les dossiers et en assure l’exécution une fois votés. Son action est centrale, car la préparation des dossiers détermine largement la réception qui en sera faite en assemblée et donc leur vote. Ces personnes sont aidées par les techniciens du district (tous migrants) et s’entourent également d’autres conseillers, appartenant au tissu associatif et socioprofessionnel.

Le bureau districal compte 20 représentants élus issus du comité districal, et examine les dossiers.

Le comité districal compte 65 membres représentant l’ensemble des communes du Diois, il se réunit en assemblée et procède au vote des dossiers qui lui sont présentés par le bureau districal.

Enfin, les 10 commissions thématiques, citées plus haut, se réunissent sur invitation de leur président.

La forte mobilisation des acteurs du développement local, et leur démarche volontaire dans l’élaboration d’un projet de territoire, avant même que la LOADDT (1999) ne se mette en place, est sans doute le corollaire d’une identité territoriale qui est loin d’être partagée et univoque346, ce qui suppose une démarche volontaire pour favoriser la mobilisation collective autour de l’avenir de la zone et du développement local347. La recherche de reconnaissance constitue dès lors l’une des priorités de l’action du district : il s’agit de trouver sa place au milieu des autres structures qui entourent le district348, et de se faire reconnaître autant par les Diois que par les partenaires publics. D’où la politique de communication qui a accompagné la mise en place de cette structure, avec notamment l’édition d’une lettre mensuelle dans le journal local. La première, adressée par le président du District (ancien président du SAD) à tous les Diois illustre assez bien cette volonté de rassemblement et de mobilisation autour de l’avenir du Diois et du district qui en porte désormais la responsabilité : ’‘Le DRDD est donc maintenant en ordre de marche et reste une structure légère, mais il ne peut fonctionner en vase clos. Il a besoin de l’appui et de la participation de tous les habitants de nos quatre cantons, et d’une collaboration avec les organismes voisins et avec les collectivités partenaires (Conseil général et Région en particulier’’349. Nous développerons plus loin ce fait intéressant, d’un territoire que certains acteurs locaux tentent de faire exister auprès de la population locale, en l’associant à la définition de son ’projet’ (chapitre IX). Nous en resterons ici à l’analyse des deux documents rédigés à cette occasion350 et des sens que revêtent les ’images guide’ de la mobilité et de la ville.

Dans un contexte où les flux d’arrivée démographique et touristique s’accentuent et où les rapports ville-campagne évoluent, c’est la différenciation du modèle urbain qui s’affirme pour aboutir à la revendication d’un ’territoire interstitiel’. Nous recourrons à la notion d’interstice dans le sens où l’utilise H. Hatzfeld351 pour qualifier certains quartiers périphériques des villes. Les espaces interstitiels participent, selon l’auteur, doublement de la dynamique de ’l’espace majeur’ qu’est le centre-ville (où sont définies les normes dominantes de production, d’habitat, de sociabilité, de participation à la vie collective). Comme toute ’marge’, ils délimitent ce qui fait le centre géographique et la norme sociale et économique de la ville. Interstices spatiaux et temporels352, ils permettent d’accueillir et d’intégrer ce que la ville ne sait pas intégrer à son propre mouvement : des activités nouvelles et des flux d’immigrants.

Dans le Diois, ce caractère interstitiel se traduit par une plus forte ’centration’ du projet et de l’identité territoriale revendiquée. Cette centration n’est pas synonyme de fermeture, mais plutôt d’une ouverture négociée et d’un positionnement plus affirmé de son modèle de développement face à ’l’ordre urbain’. C’est aussi à partir du moment où l’homogénéité des conditions de vie atteint un niveau suffisant que se développe, dans les campagnes dynamiques, l’affirmation d’une différence sur fond de continuité avec la ville. Les acteurs ruraux qui en portent la revendication ’‘savent que les autres les définissent comme périphériques de la ville, mais ils se démarquent sans problème et se construisent une image d’eux-mêmes à partir de leur position d’interstice’ (J. Rémy, 1998, p. 270).

La stratégie de développement fondée sur la recherche de ’qualité’ est rendue possible par le contexte où l’environnement, le cadre de vie, les loisirs deviennent des valeurs dominantes et font l’objet de pratiques distinctives pour ceux qui peuvent y accéder - ce dont les acteurs locaux sont profondément conscients : ‘’Par ces temps de ’renaissance du rural’, nous ne nous faisons pas trop d’illusions sur cette habilité que nous aurions eu hier à remettre le navire à flot. Nous savons que le bon sens a peu de chances de succès s’il n’est pas dans le sens de l’histoire. Aujourd’hui, alors que sur 20 % du territoire français, 80 % de la population éprouvent des difficultés en essayant de gagner du temps et de l’espace, n’y aurait-il pas une place pour des pays où l’on se donne du temps et un cadre de vie de qualité ? Plus que tout financement, c’est ce genre d’ouverture conjoncturelle qui, si elle se confirme, pèsera lourd sur les résultats de notre projet de territoire’ (DRDD, dossier de candidature, pays diois, 1998, p. 2). Ce territoire a commencé d’exister ’en creux’ à l’époque de l’exode, il prend aujourd’hui, avec l’inversion des flux de migration, une autre valeur. L’historique, par lequel débute la Charte du pays Diois, retrace d’ailleurs ces flux de migration, montrant que la mobilité dans ses facettes successives a été constitutive du pays diois353. Le changement des rapports de force entre la ville et la campagne ’autorise’ les acteurs locaux à prendre la parole pour : ’dire quel Diois nous souhaitons pour demain’. La ruralité et l’enclavement deviennent alors des images valorisantes, des marques distinctives, pour ceux qui ont su se tenir à l’écart des formes de développement urbain et industriel qui font aujourd’hui l’objet de critiques et de remises en question.

Il ne s’agit plus d’atteindre une taille démographique et un niveau de développement économique correspondant à la norme urbaine. L’enjeu est plutôt de mieux définir les populations et les activités que l’on veut voir s’installer en fonction de normes internes basées sur la qualité (ce que nous développerons davantage dans le chapitre 9). Il s’agit aussi de se situer par rapport aux nouvelles attentes de la société globale en affirmant ’le passage du statut d’arrière pays de l’époque productiviste à celui d’avant pays de l’époque qualité354. Saisir les opportunités qu’offre ce nouveau contexte implique de se situer dans le double jeu de la complémentarité avec la ville (pour les ’visiteurs occasionnels’) et d’une alternative à son mode de vie (pour ceux franchissent le cap de l’installation définitive).

Les objectifs de développement, affichés dans la charte de pays, peuvent se résumer ainsi : préserver la qualité de vie locale afin d’attirer et d’accueillir une population (touristique et active) de qualité ; articuler le maintien du cadre de vie local (sites naturels, services, festivités) avec l’ouverture sur l’extérieur (nouveaux habitants et touristes).

Le type d’économie proposé est orienté vers la valorisation des produits de terroir (clairette, plantes aromatiques et médicinales, agneau, fromage) et du patrimoine en général à destination d’un accueil touristique opposé au modèle du ’tourisme de masse’ (tourisme diffus, carte d’hôte...). L’agriculture, qui reste l’un des piliers de l’économie, dispose d’une avance : positionnée sur des produits à forte valeur ajoutée (label, AOC), engagée dans une démarche de respect de l’environnement (10% des exploitants convertis en agriculture biologique), et ayant intégré l’entretien de l’espace comme activité complémentaire et apport financier (opération agri-environementale), elle peut répondre aux aspirations et demandes nouvelles de la société.

La présentation de la charte en fiches d’action en fait un ’guide pratique’ destiné autant aux habitants du Diois ou visiteurs occasionnels (’bénéficier de services’, ’se rencontrer’) qu’aux candidats éventuels à l’installation (’travailler’, ’se loger’). Les ’grands oubliés’ sont les résidents secondaires, dont on ne parle qu’au passé. S’ils ont permis de maintenir et revaloriser le patrimoine local (p. 2, fiche ’se loger’), l’avenir appartient à ceux qui ’font vivre le pays, en y travaillant ou en y séjournant sans bloquer à l’année le foncier. On assiste ici à la définition d’un modèle de référence -vivre et travailler au pays- et d’une hiérarchie des usagers (habitants et candidats à l’installation>touristes>résidents secondaires) et des appartenances (attachement ou engagement local versus extériorité au pays).

Cette charte est aussi le résultat d’une alliance entre groupes aux origines et profils très variés. Nous l’avons vu plus haut, l’un des enjeux de ce type de territoire est la construction sociale de la confiance à partir d’une convergence d’acteurs ayant a priori peu de chose en commun, si ce n’est le partage d’un même espace. Venons-en à présent à l’explicitation de cette alliance.

Notes
343.

Le Crétois correspond à la zone située autour de la ville de Crest et organisée en communauté de communes.

344.

Finances, socio-culturel et cadre de vie, culture-sport, aménagement du territoire, ordures ménagères, agriculture, artisanat – commerce PME-PMI, tourisme, appels d’offres.

345.

Voir en annexe n° 5 du chapitre VIII : les statuts du District.

346.

Nous avons vu plus haut la diversité des échelles de référence et des modes d’appartenance des différents usagers du Diois.

347.

DESTOT V., 1996 - Le projet de territoire du Diois - politique publique de développement local et représentation territoriale – DEA de géographie, Institut de géographie alpine, Université Joseph Fourier, 73 p.

348.

Voir en annexe n° 8 du chapitre VIII : la carte de l’environnement intercommunal du Diois

349.

MONGE C., 1995 – Lettre du District rural de développement du Diois, n° 0, décembre. Ed. DRDD, Die.

350.

DRDD, 1998 – Appui aux chartes de pays – dossier de candidature Pays Diois (Drôme). Appel à projets du ministère de l’Aménagement du territoire et de l’environnement ; DRDD, 2000 – Charte de pays Diois.

351.

HATZFELD H., 1997 - Interstices urbains et nouveaux types d’emplois. IDACTE-Interstices, Programme ’ville et emplois’ du plan urbain, 112p.

352.

Leur situation à l’écart des grands pôles de développement et leur configuration urbanistique (proximité des gares, friches, espaces vides, logements peu onéreux,...) permettent le développement de formes hybrides d’emploi et d’une économie plus ou moins intégrée à ’l’espace majeur’. Concentrant des traces du passé et des dynamiques nouvelles, ils sont associés à des connotations contradictoires : ’insalubres’ ou ’mal famés’, ils sont aussi des ’laboratoires d’expériences’ ou des ’lieux d’avant-garde’.

353.

Voir en annexe n° 7 du chapitre VIII : la Charte du Pays Diois - La déclaration d’intention.

354.

Dossier de candidature de la charte de territoire, DRDD, 1998.