Chapitre IX : Frontières et mobilités : la dynamique d’un territoire rural

Introduction

Le précédent chapitre a tenté de rendre compte de l’émergence progressive d’une minorité active et de sa démarche, visant à faire reconnaître le ’territoire diois’. Le présent chapitre s’appliquera à analyser la construction de ses frontières. L’idée avancée ici, dans le prolongement des développements antérieurs, est que les flux de mobilité constituent des forces instituantes dans la mise en oeuvre de ces frontières.

Nous avons vu plus haut que le passage à une société marquée par la ’mobilité dominante’ engendrait des réactions visant à ériger ou renforcer des frontières défensives face à une identité (ethnique, nationale, régionale ...) perçue comme ’assiégée’ ou ’en danger’. Ici, à une autre échelle, l’édification de frontières constitue pour partie une force d’opposition, de résistance, vis-à-vis des flux de mobilité à l’oeuvre sur l’espace en question.

Mais les frontières, dans le cas étudié, ne ressortent pas uniquement ou simplement de mécanismes défensifs ou de revendications autonomistes qui s’observent dans certaines régions (Bretagne, Pays Basque par exemple). Zone ancienne de refuge protestant et terre d’élection des néo-ruraux dans les années 1970, l’ouverture fait aussi partie de la tradition locale.

On ne peut donc rapporter l’édification des frontières locales à de simples ’réactions identitaires’ sans réduire et déformer les motivations profondes qui les sous-tendent. Le modèle d’appartenance locale, qui semble émerger à travers la mise en place des frontières, associe un certain ’attachement territorial’ à la recherche d’une ouverture sur l’extérieur, conditionné par une morale de la ’responsabilité territoriale’. Celle-ci conjugue le souci du respect de l’environnement, du cadre de vie, et la volonté de hiérarchiser les usages de l’espace (priorité aux habitants permanents et aux candidats à l’installation vis-à-vis des usagers secondaires) et l’incitation forte à s’impliquer localement. Cette ’morale’ est en quelque sorte une traduction locale et rurale, des mouvements actuels qui s’engagent sur le front ’anti-mondialisation’. La revendication est, au fond, la même : s’opposer à la forme d’appartenance ’extérieure’ où la distanciation prime sur l’engagement, où la localisation découle d’une rationalité instrumentale (substituabilité des lieux), et où l’espace est approprié comme un support géométrique. Cependant cette ’morale’ peut aussi avoir ses revers – conservatisme et ostracisme - et comme nous l’avons vu, l’équilibre entre ouverture et fermeture reste fragile. D’où l’enjeu des frontières, qui peuvent être des barrières à l’entrée ou des ponts vers l’extérieur.

L’édification des frontières territoriales passe ici par deux mouvements : la recherche d’une cohésion interne, et la différenciation vis-à-vis de l’extérieur. Si l’un et l’autre sont interdépendants, les enjeux visés ne sont pas tout à fait les mêmes et les outils utilisés sont différents.

La mise en place de ’frontières territoriales’ passe par la mise en oeuvre d’une démarche de mobilisation qui consiste à ’faire exister le territoire par son projet’ (section 91). L’édification de ’frontières sociales’, permettant une ouverture négociée sur l’extérieur, implique, quant à elle, la mise en place d’outils d’installation et d’intégration sélectifs (section 92).