9111. La mobilité comme mythe fondateur et mobilisateur

Tout territoire, toute collectivité a besoin d’un mythe sur lequel asseoir son identité, inscrire son origine, projeter sa destinée. Le Diois a le sien : la mobilité369. Lorsque l’on parle de l’histoire du Diois, on fait référence aux Protestants venus s’y réfugier durant les guerres de religion, de l’exode rural qui a vidé le pays de ses forces vives. Quand on évoque le passé plus récent et le présent, on parle surtout de ceux qui arrivent, de retour au pays (en retraite ou en résidence secondaire), de ’retour à la terre’ (les néo-ruraux) en fuyant la ville. Ceux qui ont pris en charge le projet de territoire envisagent l’avenir du pays également à travers la mobilité et son contrôle, qu’il s’agisse de la maîtrise du développement touristique et des usages résidentiels du Diois ou de l’intégration de nouveaux actifs travaillant sur la zone. Ici, la mobilité, par son évocation, prend le sens d’un mythe mobilisateur.

La valeur mythique d’un discours ne tient pas à sa dimension irréelle, imaginaire ou déconnectée de toute réalité, mais à l’utilisation qui en est faite pour fonder une origine commune, délimiter une frontière avec autrui, donner une direction, un fils conducteur (une histoire et un avenir) à la collectivité ou au territoire en question. Ainsi en est-il dans le Diois où les acteurs ’fondateurs du territoire’ (minorité active) invoquent la mobilité pour mobiliser l’ensemble des habitants autour d’un projet commun, celui de ’prendre en main leur territoire’.

Son évocation tient lieu de rhétorique : son importance numérique est tour à tour minorée et majorée selon les enjeux identitaires auxquels elle correspond. Le discours des acteurs de la minorité active sur la mobilité comprend trois arguments : les flux d’arrivée sur la zone montrent la ’valeur’ du Diois dont l’histoire tient à sa ’tradition d’accueil’ ; ils constituent un potentiel de développement et de renouvellement pouvant assurer l’avenir de la zone ; mais ils peuvent devenir source d’envahissement et ’dénaturer’ le territoire.

La référence à la mobilité devient dès lors un ’mythe mobilisateur’, comme le montre l’extrait d’entretien avec Monsieur Terrot. Si la mobilité est importante pour le pays diois, ce n’est pas tant au niveau de ses effectifs qu’au niveau des enjeux d’identification et d’adhésion que son évocation sous-tend. Dire que le Diois est un ’pays’ qui attire, mais qui se mérite, c’est donner un sens valorisant à l’attachement local, autant pour soi que pour les autres membres de cette communauté en devenir.

Monsieur Terrot - agriculteur néo-rural, vice-président du district, responsable du projet de territoire.

  • ’Quand je parle de réponse à la demande sociale c’est par rapport à des flux de migrants, c’est surtout par rapport à des utilisateurs occasionnels, c’est à dire faire de ces milieux ruraux des zones de récréation et des agriculteurs des jardiniers de l’espace, ça ça me paraît vraiment un danger. Le problème migratoire ça peut en être un à un moment donné s’il est indigeste par rapport à son nombre mais pour l’instant c’est pas le cas’.

  • Relance : Quand vous dite migratoire ...

  • ’Des nouveaux venus qui viennent s’installer. Bon yen a quelques-uns mais c’est un flux tout à fait acceptable. Sur le projet de territoire, on est un peu près d’accord pour être un peu plus nombreux. Etre un peu plus nombreux dans le Diois, c’est pas être 10 000 mais 11000 ou 12000 dans les 15 ans qui viennent ben c’est la condition pour ne pas remettre en cause et l’hôpital et le lycée, et la maternité et la perception tout ça. Donc on est à peu près d’accord malgré tous les clivages politiques, territoriaux, sociaux, socioprofessionnels ou socioculturels tout le monde est d’accord pour dire ben oui si on était un peu plus nombreux ça serait pas plus mal. Si on disait dans le projet de territoire, il faut être beaucoup plus nombreux c’est à dire être 50 000 personnes comme en 1850 c’est pas sûr que ça fasse l’unanimité, moins nombreux non plus, mais un peu plus nombreux c’est le bon terme’.

Son évocation relève aussi d’un autre enjeu : positionner le Diois dans le débat national sur l’avenir des espaces ruraux, faire entendre la ’voix’ d’une enclave longtemps considérée comme ’périphérique’ (par les ’espaces majeurs’ urbains et les centres de décision). En montrant la réappropriation dont il fait l’objet par de multiples usagers extérieurs, les acteurs locaux requalifient sa ’place’ au sein de l’espace national français. De zone marginale, le Diois passe au statut d’espace à enjeux. Comme le précise un des agents du district, les motivations des élus à initier une démarche de projet de territoire tiennent au fait ’qu’ils ont pris conscience de l’évolution de la place des zones rurales par rapport aux besoins de la société (fonctions de production, résidentielle, de conservation du patrimoine naturel et culturel, liées à la qualité de la vie, d’accueil touristique, pédagogique ou sanitaire, etc.) qui rendait nécessaire une démarche permettant d’éviter que le territoire ne passe d’un statut d’espace ’à enjeux’ à celui tellement plus simple de ’terrain de jeu 370 ’.

Dans la charte de territoire l’évocation de la mobilité sous-tend les même principes : il s’agit de valoriser l’identité territoriale, en renversant les images d’enclavement et de pôle d’exode qui sont encore associées à la zone par une partie de la population.

A l’état des lieux plutôt négatif (isolement, difficultés de revitalisation), dressé par les participants (habitants, élus ...) des commissions locales, le District oppose l’image d’un ’arrière-pays qui attire 371 ’.

La présentation ordonnée des objectifs, évoqués ’pêle-mêle’372 dans les commissions, montre la volonté du district de rendre interdépendants les enjeux contradictoires (ou conflictuels) de ce territoire. Les deux thèmes à partir desquels sont classés les objectifs reprennent les enjeux cités plus haut (préservation et développement). Il faut, d’une part, ’maintenir la vie dans les villages’, ce qui suppose de ’permettre de rester et de s’installer’ et de ’maintenir et développer les activités (faire de la place aux autres )’ et, d’autre part, ’respecter et améliorer le cadre de vie’ ce qui implique l’entretien de l’environnement naturel, bâti, le ’développement d’une agriculture de qualité’, mais aussi ’de créer des occasions de rencontres’, ’d’être ouvert vis-à-vis des nouveaux habitants’, et ’d’informer et former à la vie dans le Diois’.

Notes
369.

Nous évoquons ici, les propos recueillis auprès des personnes interviewées.

370.

MEJEAN P., et al., 1997, op. cit., p.127.

371.

Voir en annexe n° 2 : la Charte du Pays Diois : Un arrière pays qui attire.

372.

Nous reprenons ce terme utilisé localement pour définir l’une des techniques d’animation employée au cours des commissions et des réunions communales. Il s’agit de laisser s’exprimer les participants sur un thème, et de noter ’pêle-mêle’ les différents termes employés pour les organiser et les traduire ensuite en ’objectifs’ et en ’actions’.