9112. Participation et mobilisation autour du projet de territoire

La démocratie locale et participative, que les instigateurs de la Loi sur les pays (1999) ont appelée récemment de leurs voeux, a été mise en place dès 1996 sur le Diois. La mise en oeuvre de cette démarche, outre l’invitation faite à chacun de se prononcer sur ’un projet de territoire’, a d’autres objectifs.

Son déroulement montre la volonté de substituer aux oppositions : ’permanents/non permanents’ et ’originaires/non originaires’, une autre hiérarchie d’appartenance territoriale, celle qui distingue ceux qui sont parties prenantes du territoire et de son avenir, de ceux qui lui demeurent ’extérieurs’.

Cette méthode a pour principe la participation la plus large possible des habitants et des élus à l’élaboration du projet de territoire (état des lieux, objectifs, propositions d’actions), par l’organisation de réunions publiques et de groupes de travail. Le lancement de cette opération a été l’occasion pour les acteurs qui l’ont initiée de revenir sur la notion d’échelle. Si l’enjeu de l’élaboration de la charte de territoire est bien de montrer la pertinence de l’échelle territoriale, la pratique incite à revenir à un niveau communal. Selon les auteurs de la charte eux-mêmes, il s’avère difficile de travailler ’à l’échelle de 52 communes sur 1 200km²’ lorsqu’il s’agit de faire participer activement un maximum d’habitants, en inscrivant les débats au coeur de leur vie quotidienne. Cette démarche a par ailleurs été l’occasion de proposer aux maires de composer eux-mêmes les ’micro-regroupements intercommunaux’ qu’ils souhaitaient avec les communes voisines pour former des ’commissions locales’. Au total, huit commissions locales ont été formées, couvrant l’ensemble du territoire, tandis que douze communes se sont engagées dans une Programmation d’Objectifs Communaux par les Habitants et les Elus (PROCHE). Cette démarche proposée par le district, avec un appui en matière d’animation, est ouverte à tous les habitants pour la discussion de l’état des lieux communal et la constitution de groupes de travail sur les actions à mettre en place. Au total, 650 personnes ont assisté aux réunions publiques des commissions locales, à l’occasion desquelles 110 personnes se sont engagées dans des groupes de travail. Les réunions publiques organisées à l’échelle des 12 communes ont mobilisé 485 personnes et les groupes de travail y ont impliqué 140 personnes. On voit ici que l’échelle de la commune reste la plus prégnante au niveau de la participation et de l’implication dans des projets de développement.

L’une des premières communes adhérentes à la démarche présente une configuration particulièrement intéressante au niveau des différences d’échelle de référence de ses usagers. Le croisement conflictuel de ces échelles de référence marque autant la vie politique locale que la vie quotidienne de la commune. Sur le plan politique, les anciens originaires voient avec quelque inquiétude l’arrivée au pouvoir de néo-ruraux qui n’ont pas le même espace de référence professionnelle – l’agriculture pour les premiers, le tourisme et le commerce pour les seconds- ni la même légitimité territoriale – l’enracinement familial pour les uns, l’ancrage résidentiel plus récent pour les autres. Le maire, que nous avons rencontré (Monsieur Barnabé, figure de ’garde-fou néo-rural’), est arrivé récemment au pouvoir. En outre, la commune connaît un changement de population et d’occupation de l’espace important. La baisse du nombre des agriculteurs et l’installation de jeunes ménages sur les parcelles périphériques, laissent le centre du village libre pour l’installation de résidents secondaires, tandis que la moitié des actifs partent au dehors pour travailler. Du fait de cette configuration, l’implication dans une PROCHE s’est avérée nécessaire pour revenir au plus près des revendications locales. D’après le maire, la participation à des commissions locales à l’échelle d’un bassin élargi s’est avérée peu féconde : d’une part, parce qu’elles ne correspondaient pas à la ’réalité vécue’ des habitants de sa commune ; d’autre part, parce qu’à ce niveau de prise de parole publique (réunions rassemblant 80 personnes), il n’est pas toujours aisé, pour tous, de s’exprimer. Le retour à l’échelle communale a permis une mise en confiance réciproque des participants, y compris pour le maire, qui a pu ainsi montrer sa volonté de prendre en compte les inquiétudes et aspirations des ’anciens’ face à l’arrivée des ’nouveaux’. Ce fut l’occasion d’une sensibilisation élargie aux enjeux de la commune, à savoir l’importance de la politique d’accueil pour pérenniser le développement et la qualité de vie des habitants actuels. Certaines actions concrètes qui en ont résultées montrent comment, à partir d’une démarche très ’localisée’, peuvent s’articuler des échelles de référence très différentes. Ainsi, un résident secondaire, qui avait renoncé à louer sa maison car ses enfants étaient susceptibles d’y venir, a finalement décidé de la louer à un artisan récemment installé par la commune. Un autre propriétaire, n’occupant plus sa maison de famille, en a fait don à la commune. Un troisième, dont la maison était à vendre depuis sept ans, a accepté d’en baisser considérablement le prix, pour que la mairie puisse la racheter et la louer à un artisan extérieur, candidat à une installation locale.

Mais cette présentation, quelque peu ’idyllique’ de la démarche, ne saurait être complète sans prendre en compte également les ’absents’ et les ’silencieux’. En effet, et de l’avis même de Monsieur Barnabé, ce type de ’démocratie’ locale’ ne peut atteindre tout à fait ses objectifs, pour trois raisons essentielles. Tout d’abord, la proximité et l’absence d’anonymat dans les discussions ne facilitent pas forcément la sérénité des débats ni la participation ’libre’ de tous, dans un contexte d’interconnaissance où les querelles anciennes et les conflits d’usages sont nombreux. Plusieurs habitants permanents, néo-ruraux notamment, nous ont fait part de ces difficultés d’expression et de la participation ’de contrôle’ de certains villageois sur ce que d’autres pouvaient y exprimer. Ensuite, ceux qui se sont investis sont ceux qui sont déjà les plus impliqués dans la vie sociale et associative, et bien souvent, les mieux intégrés du point de vue socioprofessionnel. Enfin, ceux qui prennent la parole pour exprimer leurs souhaits (ou critiques), ceux qui s’expriment le plus sont ceux qui se sentent socialement les plus légitimes à le faire, ou ceux qui, étant minoritaires, sont aussi les plus revendicatifs (ici en l’occurrence les résidents secondaires). D’ailleurs, sur l’ensemble des communes impliquées, la participation des résidents secondaires a été forte et jugée ’trop importante’ (compte-rendu des rencontres des territoires du réseau Mairie-conseils). Ainsi en témoigne l’opinion de Monsieur Barnabé sur l’une des premières réunions qui s’est déroulée en ’commission de bassin’ : ‘Les gens qui sont intervenus c’était... déjà les maires n’avaient pas le droit à la parole, on leur avait dit vous laissez la parole au peuple. Alors moi je suis pour, mais dans des trucs comme ça, la parole a été monopolisée par quelques personnes, en plus des résidents secondaires qui ont fait part de leur préoccupation par rapport aux sentiers de randonnée, à l’entretien des bords de rivière pour pouvoir se baigner. Y’a une femme à un moment donné qui est intervenue pour dire il faudrait quand même parler du logement et du travail’ . On rejoint ici l’autre enjeu du projet de territoire, celui de l’édification de frontières sélectives que nous aborderons plus bas (section 92).