9121. Un espace de zonage à géométrie variable : de la nécessité de s’allier ...

L’enclavement : marqueur ou stigmate territorial ?

Les arguments s‘appuyant sur la géomorphologie sont largement utilisés dans la charte de pays pour définir, délimiter et légitimer, l’identité et l’unité territoriale de la zone. Or ces mêmes éléments peuvent se ’retourner’ contre ceux-là même qui les revendiquent comme marqueur territorial, lorsqu’ils sont perçus de l’extérieur.

En effet, la Région Rhône-Alpes refuse pour l’instant de reconnaître le périmètre d’étude définis à partir des quatre cantons du DRDD. Elle estime qu’il s’agit d’une échelle trop réduite, que sa taille démographique et économique est insuffisante pour porter une dynamique de développement. Les acteurs locaux reprennent les mêmes arguments, pour affirmer l’échelle ’à taille humaine’ du Diois correspondant aux limites d’une ’démocratie locale effective, et d’un bassin de vie’.

Il n’est pas dans notre propos de nier la pertinence de l’échelle définie par le district, mais plutôt d’attirer l’attention sur le caractère de ’construits historiques’ des frontières, aussi ’naturels et géographiques’ que soient les éléments avancés. A d’autres échelles, d’ailleurs, la géographie a souvent servi à justifier la défense ou l’avancée de frontières dont les guerres ont fini par trancher de l’endroit ’le plus approprié’ pour les établir.

Sur le site étudié, les éléments géographiques n’ont pas toujours eu le même sens, selon les moyens techniques dont on disposait pour les franchir et les parcourir. Par un curieux paradoxe de l’histoire, la diffusion des moyens de transport modernes (l’automobile) a fait des cols, des frontières peu engageantes, et des plaines, des axes routiers incomparablement plus ’avantageux’ et ’rapides’ que les chemins à flanc de montagne. Ce fond de vallée est devenu à l’époque des réseaux autoroutiers, une ’enclave coincée’ entre le Vercors, les Hautes Alpes et la Provence, dont la renommée fait de l’ombre à ce pays naissant, en recherche d’images territoriales. Les sept cols qui bordent ce ’bassin versant’ de la Drôme sont pour les uns des frontières territoriales et pour les autres des barrières enclavantes. La montagne du Glandasse, symbole du Diois pour les uns, n’est que le prolongement du Vercors voisin pour les autres.

Un espace à ’géométrie variable’ selon les procédures et les zonages

Outre les enjeux de mobilisation collective, le projet de territoire engagé par les acteurs locaux vise aussi la reconnaissance du ’pays’ comme échelle pertinente d’action auprès des partenaires publics. Il s’agit ainsi de franchir une étape supplémentaire dans la maîtrise du développement local. Jusqu’à présent en effet, l’octroi de crédits publics a été soumis à un seuil démographique et le district a dû s’entendre avec les structures voisines pour toute opération de développement d’envergure. Cette obligation d’alliance a limité d’autant la marge de manoeuvre des acteurs locaux (conventionnement, coordination de la mise en oeuvre des actions...), dans la politique de construction territoriale.

Les propos de Monsieur Diffas, (responsable du développement touristique, ayant participé à de nombreux programmes de développement sur la zone) résument assez bien ces enjeux et montrent, en outre, l’imbrication étroite entre l’accès à une autonomie d’action et le renforcement de l’image d’un territoire, singulier et cohérent.

Monsieur Diffas

  • ’Alors le projet de territoire, alors à mon avis je vais vous dire ce que je comprends. D’abord c’est d’affirmer que le Diois est un ensemble cohérent et pas forcément un sous pays du reste. Ca fait quelques années que je gère les procédures de développement, bon une fois on est Die Crest Valence avec le contrat de développement touristique, après on est souvent avec le Vercors, sur la frange qui est sur le Vercors. Là avec le programme Leader on est avec les Baronnies, Dieulefit, Bourdeau même pas Crest. Après y’a le niveau départemental bien sur. Mais le Diois n’a jamais été reconnu comme une entité pertinente parce qu’on n’a pas assez d’habitants et à Bruxelles ça doit pas rentrer dans les cases. Euh on n’a pas les mêmes problèmes qu’à Livron. Même quand on travaille sur la vallée de la Drome, le tourisme à Livron, à Valence, même les problèmes des habitants, les thèmes sur lesquels on travaille dans la vallée de la Drôme, sont pas les mêmes que chez nous, c’est évident. Et travailler avec les Baronnies c’est sûr on a la même structure mais il nous faut 2 heures et demie pour aller voir mes collègues là bas. Donc on a autour de Die quand même un bassin, où les gens viennent à Die, où on a une petite capitale, où il y a une logique. Et le projet de territoire c’est déjà d’affirmer qu’il y a une cohérence, une volonté de travailler à ce niveau là c’est déjà important. C’est de dire aussi au niveau communication touristique - comme la communication touristique est souvent payée par les subventions de l’extérieur - une fois on communique vallée de la Drôme, une fois on communique Pré-Alpes, une fois on communique Vercors, et on communique très rarement Diois. Sauf quand on se le paye soi-même, mais on n’a pas assez de sous pour le faire. Euh, voilà, aussi pouvoir dire le Diois et même, maintenant : le pays de Die parce que c’est le pays de Die, de la clairette de Die. Donc ça existe.’

Le contrat global de développement initié en 1996 avec la Région est l’un des exemples de cette ’nécessaire alliance’, puisqu’il concernait l’ensemble de la vallée de la Drôme et associait, outre le DRDD (Diois), le DAVD (zone de Livron et Loriol, communes industrielles situées dans la vallée du Rhône) et la communauté de communes du Crétois (autour de Crest, en aval du Diois).

Les objectifs et les méthodes définis par la Région paraissent quelque peu en décalage avec leur interprétation et leur mise en oeuvre locale. L’élaboration de cette politique par la Région s’inscrivait dans la perspective ’d’un territoire mieux maîtrisé et d’une organisation plus efficace de ses différents ’bassins de vie’’. Il s’agissait de favoriser le ’développement durable’ (au niveau économique, social, et culturel) à l’échelle des ’espaces du quotidien’ dont le périmètre devait couvrir un territoire ’identifiable et repérable par rapport à l’ensemble régional’. Or ce qui est ’identifiable’ au niveau régional ne correspond pas toujours avec ce qui est identifié comme ’territoire’ au niveau local. C’est ainsi que la vallée de la Drôme a été identifiée comme ’échelle pertinente’ et ’bassin de vie’ par la Région alors que les trois structures intercommunales concernées se sont démarquées en tant que ’territoires’ ayant chacun leurs caractéristiques propres.

Dans le document de présentation de la stratégie de développement proposé dans le cadre de ce contrat, le Diois est clairement distingué des deux autres entités. Le ’Val de Drôme’380 est présenté comme ’un pays de plaine’, regroupant l’essentiel de la population (3/4) et des emplois, tandis que le Diois est identifié comme un ’pays de montagne’, peu peuplé (62% de la surface de la zone du contrat pour ¼ de la population). Les problématiques des deux premières sont celles des espaces ruraux sous influences urbaines (déclin industriel et chômage, influence des pôles urbains rendant difficile le positionnement des petites villes). Celle du Diois est spécifique des espaces ruraux isolés (désertification, vieillissement de la population, faiblesse du tissu économique).

Le constat de départ -des territoires différents ayant leur problématique propre- fonde la démarche : trouver des enjeux communs permettant de profiter de cette aide au développement. La méthodologie élaborée au niveau régional381 a été adaptée à ce contexte tripartite. Chaque territoire a fait son propre bilan et les problématiques communes ont servi de base d’identification à une politique globale. La rivière Drôme constitue le véritable trait d’union entre ces trois territoires et la démarche aboutira à la mise en place d’un contrat de rivière. Le second axe principal, qui débouchera sur des réalisations concrètes, concerne l’économie. Un objectif commun a été défini (mise en place de dispositifs d’accueil d’entreprises et d’appui aux porteurs de projets) ainsi qu’une déclinaison ’territoriale’. Sur les deux premiers (Val de Drôme), l’attention est portée sur les grandes entreprises, susceptibles de se délocaliser vers ces zones du couloir rhodanien, disposant encore d’espace d’accueil. Le Diois affirme par contre son statut d’arrière pays préservé, en s’orientant vers l’accueil de petites entreprises, notamment de l’industrie agro-alimentaire, avec une préférence marquée pour les ’produits de qualité, ainsi que les plats cuisinés de terroir’. Cultivant sa différence, il définit en outre un second axe orienté vers le développement d’activités complémentaires aux manifestations culturelles existantes (festival Est-Ouest, fête de la transhumance) et d’activités de valorisation du patrimoine (’relevant de l’extraordinaire milieu naturel, ex : astronomie, biodiversité et de la richesse des cultures qui s’y sont succédées’).

Depuis le contrat, la politique économique ’dioise’ a fait son chemin, comme nous le verrons plus bas, avec la mise en place d’outils d’accueil et d’aide à la création d’entreprises. Madame Trémini, agent du district chargée de la coordination de cette politique sur le Diois et à l’échelle de la vallée, exprime ainsi son opinion sur le niveau de pertinence de cette échelle d’action.

Madame Trémini

  • Relance : Vous pensez qu’il y a une pertinence d’action sur ce pays ?

  • ’Moi je dis que les territoires ils dépendent des actions, c’est tout. Tout dépend de ce qu’on a envie de faire. C’est vrai que parfois, il faut savoir coller l’action au territoire imposé au niveau de la procédure, mais il faut savoir le faire uniquement quand on y voit un intérêt, c’est vrai que pour la plate-forme382 j’y ai vu tout de suite un intérêt. Mais c’est vrai que pour d’autres choses, on a tout intérêt à rester pur diois’.

  • Relance : Parce qu’il y a une typicité ?

  • ’Ah oui c’est sûr. Le Diois c’est un pays en tant que tel, c’est évident, c’est évident mais le problème, c’est évident : on fait pas le poids quoi. On est souvent limite au niveau du nombre de communes et plus particulièrement au niveau du nombre d’habitants’.

Voici résumés les enjeux de la reconnaissance locale et la politique pragmatique adoptée par le district pour concilier de multiples échelles d’intervention et le renforcement de la cohésion territoriale. Les principes et les modalités de ce pragmatisme politique ont été traités longuement lors de la rencontre des territoires de Mairie-conseils, dans l’atelier intitulé :

L’articulation des projets avec les territoires voisins, quelle convention ?’. La réponse élaborée localement pour la place de conventions revient à distinguer deux types d’espaces383 :

  • - des territoires de mobilisation où chacun peut participer à l’élaboration d’un projet collectif s’il le souhaite. (Le Pays Diois, par exemple est une échelle pertinente de définition et d’accompagnement d’un projet. Un territoire plus grand avec des temps de trajet pour se rencontrer supérieurs à une heure et une trop grande diversité géographique ne permettrait plus de mobiliser.) ;
    et

  • - des espaces de programmation : plusieurs territoires de mobilisation, voisins ou éloignés, peuvent réaliser ensemble des projets qu’ils ont en commun. Un même territoire de mobilisation peut appartenir à différents espaces de programmation. Ces espaces doivent permettre une optimisation des procédures à mettre en face des projets de territoire de mobilisation trop morcelés aux yeux des financeurs.’

Toutes les actions menées en partenariat avec d’autres territoires et échelons sont ainsi réinvesties dans le projet de territoire. C’est le principe de ’faire-faire par d’autres plus compétents ou pouvant offrir un service à un prix plus compétitif’. On peut penser que la Charte du pays Diois viendra soutenir cette ’centration’ car elle est présentée par les acteurs du district comme une ’convention morale’ servant de référence à l’ensemble des partenaires éventuels qui devront respecter ’‘les objectifs prioritaires du territoire et les prendre éventuellement en compte dans leur stratégie propre’’ (DRDD, 1999).

On comprend également l’importance des démarches de développement ’global’ sur les espaces ’périphériques’ permettant d’émarger à un grand nombre de procédures et de financement.

Les recommandations faites par F.Clément (animateur de Mairie-conseils) à l’issue de la rencontre de Fabrégas semblent ici avoir porté leurs fruits : ‘En conclusion, il faut souligner le fait que les territoires qui n’auront pas de projet risquent de souffrir d’une pénurie de crédits dans les années à venir. [... ] Il est bien évident que, de moins en moins, ces aides ne pourront être saupoudrées et qu’elles iront préférentiellement aux territoires qui auront su s’organiser et construire des projets de qualité384’.

C’est cette ligne directrice qui a guidé les acteurs du District dans la mise en oeuvre d’une convention avec le Parc Naturel Régional du Vercors (PNRV) et qui a permis de résoudre le délicat problème du chevauchement de territoires. Treize communes du District385 font également partie du Parc. Lors de la mise en place du périmètre d’étude du pays diois, le problème de l’articulation de leurs politiques respectives et celui de la répartition des compétences entre les deux structures porteuses se sont posés. Par ailleurs, ce chevauchement ne facilite pas la reconnaissance extérieure du Diois à côté de ce ’poids lourd’ institutionnel de renommée nationale. D’où l’enjeu de cette convention. Une politique de ’communication réciproque’ auprès des publics et des partenaires de chaque structure a été mise en place. Outre la hausse de fréquentation touristique potentielle du Diois, cette collaboration a d’autres avantages. En effet, les politiques environnementales et patrimoniales développées par le Parc correspondent tout à fait aux orientations du DRDD du Diois386. Cette collaboration permet ainsi de renforcer son image d’espace naturel et préservé en contrepoint des alliances ’forcées’ avec les zones plus industrielles de la Vallée du Rhône (Livron – Loriol).

On voit qu’un élément ’centrifuge’ peut, sous certaines conditions (convention, reconnaissance mutuelle) constituer un outil permettant de renforcer une image territoriale.

Notes
380.

Correspondant au DAVD et à la communauté des communes du Crétois.

381.

La mise en place d’une démarche participative avec consultation de la population, la phase de diagnostic et l’élaboration d’un projet de développement durable devaient renforcer le fonctionnement intercommunal et engendrer une dynamique territoriale au niveau ainsi défini.

382.

Plate-forme de développement local, initiée sur la vallée de la Drome, consacrée à l’aide à la création d’entreprises ; cf. infra.

383.

DRDD, 1999 - Document de présentation des ateliers, Rencontres des territoires du réseau Mairie-Conseils, atelier n° 6, p.1.

384.

CLEMENT F., 1998 – Conclusion, in : Compte rendu des travaux des Rencontres de Fabrégas, 3 et 4 octobre, DRDD, Die, p. 26.

385.

Situées sur la bordure orientale du Diois.

386.

Les trois autres domaines de collaboration concernent : la préservation et gestion des milieux naturels et paysage ; la valorisation économique et culturelle des patrimoines ; l’expérimentation et le soutien aux projets novateurs (en matière d’échanges de système d’information, de développement des nouvelles technologies).