9211. Le territoire en représentation : maîtriser l’image du territoire définie à l’extérieur

Dans le contexte de la publicisation de la campagne, la construction de frontières sociales passe par la maîtrise de l’image que l’on entend diffuser à l’extérieur.

Deux domaines sont concernés : la politique touristique et la communication en direction des porteurs de projets.

La politique touristique : partager son pays et non le vendre

Le tourisme constitue un enjeu, non seulement économique mais aussi identitaire. Avec 320 millions de francs de chiffre d’affaire par an, selon la Charte du Pays Diois, le tourisme fait figure de pilier de l’économie locale. On prend alors conscience du potentiel de développement qu’il représente, au regard de sa faible structuration actuelle405. Les enjeux du tourisme, tels qu’ils se présentent localement, sont significatifs de certaines dynamiques actuelles. Le poids des touristes hébergés par des proches montre comment se recomposent le proche et le lointain, en brouillant les frontières entre l’autochtone et l’étranger. La faible structuration de l’offre reflète les enjeux identitaires et économiques de l’accueil pour les opérateurs touristiques. Ceux-ci, anciens néo-ruraux en grande partie, se trouvent pris en tension, entre la volonté de cultiver des relations non purement marchandes avec des hôtes fidélisés vers une destination restée jusqu’alors confidentielle, et les perspectives financières ouvertes par le secteur. Tension qui prend corps sur fond de compétition territoriale entre destinations touristiques rurales.

La solution vers laquelle on semble s’orienter aujourd’hui avait été évoquée en quelques phrases par l’un des participants aux Journées de Fabrégas (professeur au Lycée de Die, non originaire du Diois, proche de la figure de Madame Tunis): ’ ‘Le choix de l’agriculture bio a été autant éthique qu’économique. Aujourd’hui les deux se rejoignent. Pour le tourisme cela peut être la même chose’ ’.

Les élus du SAD avaient déjà compris l’importance de ce secteur pour le développement local, avec la gestion en 1994 d’un Contrat de développement touristique. Le District, bien que la gestion d’une politique touristique ne fasse pas partie de ses compétences, va reprendre le flambeau, avec la définition de principes et d’objectifs en la matière, et la mise en place d’une ’carte d’hôte’.

La stratégie définie en matière touristique406 s’articule autour des deux objectifs du projet de territoire : vivre mieux et vivre plus nombreux. Ces principes ont été élaborés en commission interne au District avec un rôle essentiel joué par Monsieur Diffas (pièce unique du territoire, chapitre V). Celui-ci, d’origine allemande, anciennement installé, joue le rôle de passeur de frontière et de médiateur entre la clientèle touristique et les acteurs locaux407. Ses propos montrent l’importance du tourisme dans la valorisation économique mais aussi symbolique du Pays : ’ ‘Avec l’arrivée de Monsieur L.408, j’me dis : ’tiens, on arrive à ce point là d’intérêt touristique qu’un type peut investir 5 millions de francs dans un camping’. Bon Michel [Monsieur L.] il avait déjà eu une carrière, il avait une vie familiale qui était plus ou moins en confiture et c’était un choix personnel aussi409. Donc si on n’a pas le choix, euh le coup de coeur qui va avec, même en ayant fait une étude de marché, on ne vient pas forcément ici. On a très peu d’investisseurs institutionnels, on n’est pas assez rentable. Donc les investisseurs ont besoin d’un coup de coeur en plus, c’est ça qui fait. Donc on a quand même ce côté ’ je suis très attaché à ce pays là’, qui fait qu’on ne fait pas forcément n’importe quoi’ .’

Ce qui apparaît derrière l’évocation de cette figure exemplaire (que d’autres acteurs du District citent également), c’est la volonté d’échapper au tourisme de masse qui ferait du Diois, et par voie de conséquence de ses habitants, un ’pays à la mode’ pour reprendre l’expression de Monsieur Terrot. Ses propos montrent les enjeux de sélection et de mobilisation de la politique d’accueil, notamment touristique :

‘’On est plus dans ce positionnement là de communication vis-à-vis de l’extérieur pour faire venir des gens, que de fermer des frontières, hypothétiques d’ailleurs, en disant ’faut pas qu’y en ait trop qui arrivent’. Moi j’crois que de toute façon on pourra pas faire grand chose, simplement autant être d’accord sur des objectifs, sur des données, et puis on verra ce qu’on peut faire. [ ...] Donc les gens sont conscients qu’ils habitent un beau pays, un cadre de vie de qualité, ça ça génère chez eux des représentations et un comportement à mon avis de qualité, sachant que ce pays c’est, c’est ce cercle vertueux qui existe entre l’environnement de qualité, qui génère des comportements de qualité et si on pouvait dire, entre guillemets, des belles âmes. Et donc ces gens là ont tendance à produire un discours un peu consensuel sur ’ne faisons pas de gaspillage, ne faisons pas de gâchis, de ce cercle vertueux dans lequel on se trouve’, comme certains pays qui sont devenus à la mode. Là y’a une relation forte entre la prise de conscience d’un patrimoine qui faut pas gâcher ; donc ça, ça appelle une politique d’équilibre, donc un tourisme diffus, un tourisme plutôt familial, sport nature, des choses comme ça, des investissements, des infrastructures qui sont à taille du pays, c’est à dire pas du gigantisme, enfin que le pays devienne pas un terrain de manoeuvre’.’

Les principes de la politique touristique, évoqués plus haut, visent donc à concilier les enjeux identitaires sous-tendus par le thème de la ’qualité’ avec ceux du développement local sous tendus par le thème de ’l’économique’. L’accueil touristique est en effet hautement symbolique sur le plan identitaire et plus encore ici, où nous l’avons vu avec Madame Beauchaine, certains ont ’vendu leur pays’. Dans la relation marchande qu’implique le tourisme, il s’agit donc de ne pas se vendre soi-même. Le maintien de la qualité du pays et de ses habitants, passe par un accueil de qualité, c’est-à-dire une relation à autrui, définie par le partage d’un bien rare et précieux (le pays préservé) qui, in fine, reste la ’propriété’ des habitants du pays.

Le principe du passeur vise à maîtriser l’accès au pays en même temps qu’on le fait partager. Evoqué la première fois à Fabrégas, il est défini ainsi par Monsieur Diffas : ’‘Le principe du passeur, ça veut dire on aménage peu, quelques sites phares et le reste est entre guillemets confidentiel et est ouvert aux habitants du pays et à ceux qui sont accompagnés par eux, les amis du pays ou par les professionnels, donc accompagnateurs. Exemple : para- pente, on a deux sites aménagés où on peut aller, il y a une dizaine de sites où il faut marcher un peu, il faut savoir où on peut se poser parce qu’y a rien de marqué, donc pour ceux qui savent, ils peuvent, ou alors vous payez un guide qui sait aussi.’ ’.

Le principe du secret partagé défini également par Monsieur Diffas relève d’une politique de communication sélective : ‘Le principe du secret partagé : donc c’est un peu secret mais on aime bien quand les gens le partagent. Et d’autant plus que c’est secret d’autant plus que les gens s’y intéresseront. C’est un peu l’idée qu’on raconte à ses bons amis, mais on le raconte pas à tous le monde parce que sinon, on va être trop nombreux’ .’

Contre les ’cueilleurs’ sans gène qui auraient dans l’idée de s’approprier, sans autorisation, une parcelle de ce pays, on se donne les moyens de faire des ’gens d’ailleurs’, les hôtes des ’gens d’ici’. (R. Larrère, M. De La Soudière, 1985, p. 149).

Le tourisme doit également répondre à un enjeu économique, il constitue en se sens un gisement d’emplois et d’activités, et la communication s’adresse ici aux habitants permanents du Diois. Il est mentionné dans la Charte du Pays Diois comme l’un des axes de l’objectif général ’Travailler dans le Diois’. S’il s’agit de développer l’emploi local et les retombées financières sur la zone (commerces, services), on entend également en faire un levier d’aménagement du territoire et de cohésion intercommunale par une meilleure répartition de cette activité dans le temps et l’espace. La fréquentation touristique se limite à une courte période estivale (juillet-août). Les structures d’hébergement, dont la qualité et la diversité sont limitées (campings principalement), sont concentrées dans la vallée (au bord de la Drôme) et dans les bourgs-centres notamment à Die.

Deux outils doivent permettre d’y remédier par un meilleur aménagement du territoire et un allongement de la saison touristique : le ’pôle d’économie du patrimoine’ évoqué plus haut et la ’carte d’hôte’. Ce dernier dispositif, dont le concepteur, un cabinet d’étude grenoblois, fut invité par le District à Fabrégas, a été mis en place par le DRDD récemment (1999) avec plusieurs objectifs :

  • fédérer l’ensemble des opérateurs touristiques sous une même structure faîtière, qui n’est autre que le District ;

  • harmoniser la politique d’accueil autour d’une démarche qualité ;

  • accroître les retombées financières du tourisme par une meilleure perception de la taxe de séjour et son reversement à la structure faîtière.

Il s’agit de constituer un fonds d’investissement pour le développement touristique, mais aussi de couper cours aux réticences émises par les habitants et certains élus qui se plaignent de payer pour les services bénéficiant aussi et surtout aux touristes (par exemple les piscines et les autres équipements sportifs). En effet, d’après l’initiateur de la carte d’hôte, dès lors que l’on établit un lien entre la contribution fiscale et les services, et non plus entre la taxe et le loyer acquitté, on fait des touristes des contribuables potentiels et non des usagers abusifs.

Concrètement, elle se matérialise par une carte et un dépliant distribués aux touristes410, ce dernier leur propose un itinéraire pour chaque jour de la semaine à travers le pays, correspondant aux différentes vallées et chefs-lieux de canton, avec des avantages pour certaines activités et services (60 prestations réparties sur le territoire). Une enquête est jointe à ce dépliant, afin de mieux connaître les profils, pratiques et attentes des touristes. La formulation de certaines questions montre également la volonté d’impliquer ces derniers en les amenant à se positionner en tant qu’élus locaux : ‘’Si vous étiez maire, quels points chercheriez-vous à améliorer ?’ ’.

Le bilan de la première saison de fonctionnement, présenté lors des Rencontres des territoires du Réseau Mairie-conseils, est mitigé. Huit communes seulement (sur 52) perçoivent la taxe de séjour, ce qui limite d’autant les retombées financières. 10 000 cartes ont été distribuées (alors que le projet en prévoyait 30 000) auprès de 80 hébergeurs. Mais la fédération des opérateurs touristiques par le District est bel et bien engagée. Il reste à présent à l’étendre à l’ensemble des communes du Diois.

Le Diois ’monte à Paris’ : le salon de l’agriculture, un vivier de candidats à l’installation

S’il est un Haut-lieu de la représentation de la campagne en ville, c’est bien le salon de l’agriculture à Paris. Outre le domaine agricole, d’autres pavillons se sont développés pour répondre aux nouvelles attentes des citadins en tourisme et loisirs verts, mais aussi en matière d’installation. C’est l’objet du stand du collectif ’vivre à la campagne’ que nous avons observé durant une journée, stand d’autant plus intéressant que le Diois y était représenté en la personne de Madame Trémini (pièce unique du territoire, responsable au District du site de proximité). Ce collectif s’est constitué à l’initiative du journal ’Village Magazine’ dont l’objectif, faciliter l’installation à la campagne, a été relayé par la chaîne de télévision ’Demain’ (du réseau canal +) et son émission ’SOS campagne’. La diversité des organismes représentés411 laisse à penser que l’installation à la campagne dépasse le cadre des acteurs classiquement investis dans ces questions, mais aussi que les enjeux qu’elle revêt pour chacun d’entre eux sont différents. Entre les médias, les organismes de recherche (rattachés à l’Université), les organismes agricoles, les structures d’animation en milieu rural et la Région Limousin (ses départements étant parmi les plus dévitalisés de France), la question n’est pas en effet abordée dans les mêmes termes. En témoigne le point de vue exprimé par Madame Trémini à l’égard du ’rabattage’ médiatique autour des territoires d’accueil, susceptibles d’attirer des personnes indésirables (chômeurs, personnes en difficulté) et d’entretenir ’l’image d’une campagne vidée et prête à être investie par qui le veut’. L’enjeu de sa participation au salon et au collectif est de donner une image professionnelle de l’accueil et d’attirer des créateurs d’entreprises sérieux, à travers un outil mis en place localement (le site de proximité). La communication développée sur cet outil par Madame Trémini est similaire à celle des organismes économiques présents également ce jour là. Tandis que les médias insistent davantage sur le thème du choix de vie et du cadre agréable qu’offre la campagne. L’enjeu est bien de donner une image sérieuse du Diois, d’attirer ainsi les vrais porteurs de projets et d’échapper à l’image parfois accolée au Diois de zone rurale ensoleillée où il est plus facile de vivre avec peu. En effet, nous avons vu plus haut (chapitre III) que l’apport migratoire (entre 1982 et 1990) avait été en partie le fait de chômeurs, et la question de l’afflux des populations marginales inquiète de nombreux élus. Les discours recueillis auprès de Madame Trémini et du représentant de la Région Limousin reflètent la construction sociale d’un ’marché’ autour de l’installation à la campagne. Dans ces zones rurales fragiles, les acteurs locaux (élus, agents de développement) ont pris conscience de ce potentiel de développement, mais aussi du décalage entre les attentes des uns et des autres, ainsi que de l’hétérogénéité sociale de ces flux. Le représentant de la région Limousin nous confiait ainsi : ’‘Dans le même temps on reçoit beaucoup de demandes de la part d’urbains qui veulent s’installer à la campagne mais sans projet. Eux aussi réagissent un peu comme les territoires par rapport à la manne que représente les flux, en se disant que les campagnes attendent après eux pour revivre et donc que c’est aux territoires à faire des propositions d’activités. Or nous n’avons pas besoins d’eux, on n’attend pas après eux’ .’ Et Madame Trémini, au retour de ce salon lorsque nous l’avons interrogée dans le Diois, constatait ainsi avec regret : ’‘On se rend compte qu’il y a un déphasage complet entre les gens de la ville qui veulent venir à la campagne et la réalité des choses. Ils sont persuadés que ce qu’ils voient à la télé et divers médias, c’est ce qui se passe au quotidien. C’est à dire que depuis412, tous les jours on a des demandes d’installation vers des villages au niveau des multiples ruraux ou des choses comme ça, c’est le dernier commerce du village. [... ] Et en plus ils se font une image de ça ! Et en plus persuadés qu’ils vont être salariés de la commune, et que de toute manière y’en a besoin dans chacun des villages ! Par contre, y’a une chose qui m’a marquée aussi, c’est qu’ils ne mettent jamais leur professionnalisme en avant, c’est à dire qu’ils sont persuadés qu’ils vont pouvoir venir ici pour faire un gîte, tenir le dernier bistrot du village etc. Et quand on creuse un peu avec ces gens, on se rend compte que c’est des excellents professionnels et que des gens comme ça on en a besoin dans le rural, et on n’en trouve pas, et c’est pas ça qu’ils mettent en avant. Et on a l’impression que quand ils pètent les plombs en ville pour venir à la campagne et bien ils mettent complètement de côté leur vie antérieure et leur professionnalisme’ ’.

On voit ici combien les typifications réciproques des uns et des autres sont décalées. Au paradigme de la domination urbaine sur la campagne a succédé celui de la ’publicisation de la campagne’, où les citadins peuvent retrouver un front pionnier ou un monde préservé du modernisme.

D’où l’enjeu du développement d’une politique de communication permettant une meilleure adéquation entre les besoins du territoire et les compétences des candidats au départ, par l’influence sur ces flux de migration à la source (dans la capitale par exemple) et par l’organisation de leur arrivée. Ainsi la Région Limousin a mis en place une ’direction accueil et activité’ employant trois personnes à plein temps. Et comme nous allons le voir à présent, le Diois n’est pas en reste dans la mise en place de frontières sociales – frontières qui ne sont pas uniquement des barrières à l’entrée, mais aussi des outils de médiation entre les nouveaux arrivants et le milieu d’accueil.

Notes
405.

Selon une étude du District : 23 % seulement des nuitées s’effectuent dans des hébergements marchands, le reste étant constitué par l’hébergement chez des amis, de la famille ou des résidences secondaires.

406.

Voir en annexe n° 6 du chapitre 9 : ’Le tourisme dans le projet de territoire du Diois’

407.

Il faut préciser que la clientèle touristique d’origine nordique notamment, est souvent perçue comme consommatrice de services et d’espace, mais très peu dépensière.

408.

Porteur de projet originaire d’une grande ville qui a quitté famille et carrière pour monter un camping sur la zone.

409.

On notera toute l’ambiguïté du choix de vie à la campagne, souvent précédé par une rupture familiale ou professionnelle.

410.

Voir en annexe n° 7 du chapitre 9 : La carte d’Hôte du Diois.

411.

Voir en annexe n° 11 du chapitre 9 : la présentation des membres du Collectif ’vivre à la campagne’.

412.

Le Diois a fait l’objet d’un reportage diffusé dans l’émission ’SOS campagne’.