9231. La gestion locale des marges sociales : un toit unique pour l’accueil de la pauvreté

Si le développement économique a son site de proximité, le développement social a lui aussi son toit unique.

La mise en place en 1996 du Contrat Nouvelle Famille – Nouvel Habitat (NFNH), a en effet permis de réunir les acteurs sociaux autour d’une dynamique de développement social et culturel. La négociation de sa mise en place montre, là encore, l’imbrication forte entre le biographique et l’institutionnel. Elle a été en partie l’oeuvre d’une ’pièce unique du territoire’, (Monsieur Tourel, chapitre V) qui a convaincu la mairie de Die de l’utilité de la mesure. Initiateur de la mise en place du contrat, relais entre une mesure nationale et sa mise en oeuvre locale, il a construit le projet en même temps que son poste d’animateur local. A l’image d’autres pionniers, son parcours reflète la volonté d’un ancrage local associé à la conviction d’une spécificité territoriale méritant d’être prise en compte.

Monsieur Tourel – Pionnier du développement social et culturel

  • ’C’est une procédure proposée par le ministère des affaires sociales, inventée en 82, sous le premier gouvernement Mauroy, comme un outil au service des collectivités locales, en contrat avec l’Etat, pour financer des projets d’amélioration de la vie sociale. La procédure a été utilisée de façon très chaotique selon les personnes chargées de la mettre en place dans les différentes DDASS441. C’est utilisé au niveau de la Drôme comme une méthode de travail équivalente aux Contrats de ville, mais pour des territoires semi-ruraux, ruraux...Donc le Contrat de Die, associe l’Etat [DDASS], la ville de Die [CCAS442], et le Conseil Général [Direction sociale], parce qu’on pensait qu’il fallait l’associer dès le départ. Donc ensuite on a construit, donc c’est moi qui ai fait depuis le début le travail de mise en place en mai 96: signature entre l’Etat et la ville de Die. Il a été précédé de 3 mois de diagnostic. Donc qu’on a conduit à Die, enfin que moi j’ai proposé à la ville qui a accepté. [... ] Donc j’ai proposé à [Madame Beauchaine] quand elle n’était pas encore maire de Die, donc avec le soutien de la DDASS derrière, parce que je suis en lien fort avec la DDASS avec les gens là-bas, plus mon réseau relationnel et professionnel au niveau drômois enfin valentinois, qui m’entoure en fait. Donc ils m’ont aidé à faire sortir le projet sur le Diois, parce qu’ils avaient envie de ça, tout le monde avait envie de ça, de l’extérieur’.

Une ’recherche-action’ a associé au diagnostic social de la ville de Die, une démarche théâtrale d’expression de la vie locale par des groupes d’habitants. Cette première phase (année 1996) a donné suite à la mise en place d’actions jugées nécessaires au vu du diagnostic (de 1997 à 1999, durée du contrat).

Le diagnostic social443 établi par Monsieur Tourel est celui d’une ’problématique urbaine’. Die est une ’ville qui s’ignore’, plantée dans un décor rural, avec les mêmes problèmes, à échelle réduite, que ceux que connaissent les métropoles.

Monsieur Tourel : chef de projet d’une ’ville qui s’ignore’

  • ’Donc sur le bassin de Die c’est pas ... oui alors y’a l’imaginaire, y’a un mythe, ça rejoint la première chose qu’on disait tout à l’heure, c’est le mythe et y’a besoin de ce mythe, les gens en ont besoin. Ben parce que c’est ce qui permet d’exister en tant que milieu rural etc. parce que sinon si c’est pas ça, c’est autre chose, c’est la ville, et c’est ce qu’est en train de connaître Die en ce moment, et c’est ce que l’objectif du contrat : c’est de faire reconnaître à la ville de Die et aux habitants Diois, qu’ils vivent comme des citadins, et qu’ils ont une demande sociale qui est exactement identique maintenant à celle des citadins, et tout l’objectif du contrat c’est d’arriver à faire reconnaître que on est bien dans cette logique là et que les communes autour de Die sont des communes périurbaines avant tout et le fonctionnement des gens c’est le périurbain, et que la ville de Die elle a à gérer toutes les problématiques en modèle réduit, et que ça, alors qu’elle se représente dans son imaginaire comme un bourg rural et qu’elle a énormément de mal à accepter qu’elle doive effectivement se coltiner des problématiques urbaines, avec tout ce que ça comporte derrière c’est à dire, la gestion de quartiers sociaux HLM, avec des populations d’origine immigrée, des jeunes, des ado, qui posent les questions des ado de toute la France, des besoins de milieux défavorisés, de la misère sociale, la précarité, etc.. Et que tout ça existe et que ben voilà quoi. Ça existe, et la tendance c’est que les gens ont envie de se fermer les yeux par rapport à ça, sauf qu’eux ils s’en prennent plein la poire en permanence. Toute l’idée du contrat c’est ça : montrer à la ville ce qu’elle est, et inciter la ville à prendre les moyens derrière de gérer tout ça.

Développement social et développement local

On perçoit ici la dimension potentiellement subversive de cette démarche dans la dynamique territoriale qui se met en place. Rappelons que la maire actuelle de la ville de Die est aussi la présidente du DRDD, dont le diagnostic territorial est celui d’un ’avant pays rural’ préservé des affres de l’urbanité. Il n’est donc pas étonnant que le souhait de Monsieur Tourel de voir étendu le contrat à l’échelle du Diois et d’une meilleure articulation avec la dynamique du projet de territoire n’ait pas, pour l’instant, été suivi d’effets. Seule la commission ’cadre de vie’ en la personne de Monsieur Barnabé (garde fou néo-rural, ancien éducateur social) s’y est investie, ce dernier s’estimant ’en marge’ dans la constellation du DRDD.

Monsieur Barnabe : ’courroie’ de transmission et d’implication sociale du DRDD

  • ’Mais pour le moment je suis un peu en marge, enfin la commission cadre de vie est un peu en marge. Y’a une compétence au niveau du logement, d’ailleurs y’a l’OPAH qui me mobilise en ce moment. Mais d’abord moi je balbutie un peu et y’a toute cette réflexion que mène la ville de Die sur sa politique sociale et culturelle, donc [Monsieur Tourel] c’est un peu la cheville ouvrière. Par exemple j’ai rencontré Mireille L. qui s’occupe du social pour Die pour voir les possibilités de partenariat ville de Die et District’.

Le ’logement’ à travers la troisième OPAH évoquée plus haut, constitue donc l’une des passerelles entre les acteurs du champ social (regroupés autour du Contrat NFNH) et les acteurs du développement local (autour du District).

La démarche théâtrale qui a accompagné le diagnostic social en constitue une autre. Une première initiative avait en effet vu le jour dans le cadre du diagnostic social avec l’association ’Trajet Spectacle’, composée d’un metteur en scène et d’artistes (comédiens, musiciens, plasticiens...). Créée en 1997 à Die, cette structure est issue d’une association de recherche ’théâtrale et sociale’ dont les intervenants sont d’origine extérieure au Diois. Elle a eu pour premier objectif de ’créer du lien social’ entre différents groupes d’habitants de Die en les associant à un projet de mise en scène et d’expression théâtrales de leur vie quotidienne. Révélant la dimension symbolique des rapports à l’espace, elle a permis aux habitants du quartier du Cocause, qui fait figure de ’banlieue’ locale, d’investir le centre-ville (d’où le nom de ’trajet spectacle’) et d’y ’exposer’ en public leur vie quotidienne, sous une forme artistique. Il n’est pas surprenant que cette démarche ait séduit le District et notamment les acteurs investis dans le projet de territoire. Elle correspond tout à fait aux objectifs de mobilisation et de participation associés à l’élaboration de la charte de pays.

Le District a alors passé commande pour l’étendre à l’ensemble du Diois, et une demande de financement a été adressée à la Direction régionale de l’agriculture et de la forêt dans le cadre des ’projets collectifs innovants’. La Charte du Pays Diois (2000) y faisait mention, mais cette démarche était à l’état de projet. La démarche de mobilisation entreprise sur Die a par contre abouti à la mise en place d’un centre socioculturel (2000).

La prise en charge locale des itinérants et des errants sédentarisés

Mais la prise en compte et la gestion de la pauvreté et de la précarité restent du ressort, pour l’instant, de la ville de Die et du champ social. Une commission ’précarité accueil d’urgence’, animée par le chef de projet du Contrat NFNH a été mise en place. Y sont représentés la ville de Die (adjointe aux affaires sociales de la ville de Die, Monsieur Grilet représentant le CCAS), la Direction sociale du Conseil Général (assistantes sociales), l’Etat (DDASS), la Mission locale (médiateur pour le logement autonome des jeunes), des associations caritatives (secours populaire, restos du coeur, entraide protestante, croix rouge de Die), l’association intermédiaire de Monsieur Olivier, et enfin la commission ’cadre de vie’ du DRDD (Monsieur Barnabé). Elle a abouti à la mise en place de deux dispositifs : un accueil de nuit (1997) et un accueil de jour (1999). Le second a été créé à partir du suivi effectué auprès du public reçu dans le premier. Il traduit la prise de conscience de la nécessité de gérer localement l’errance ’sédentarisée’.

L’accueil de nuit est né du constat de l’arrivée sur Die de personnes ’sans abri’. Il a été au départ pris en charge par l’association intermédiaire de Monsieur Olivier (financement du poste de gardien assumé par un ex-SDF444 suivi par l’association) et par le diocèse (mise à disposition du local). Son suivi au sein du Contrat NFNH a permis une plus grande implication de la ville de Die (CCAS) qui a assumré la location du bâtiment et le financement des travaux de rénovation. Il a fallu ensuite améliorer la situation du veilleur de nuit, du point de vue de son statut (obtention d’un Contrat Emploi Consolidé) et de son propre suivi (encadrement, formation). Il a fallu également vaincre ses réticences vis-à-vis du travail de ’fichage’ qui lui était demandé, afin de mieux connaître le profil du public hébergé. Les notes prises durant le premier trismestre ont fait apparaître que l’accueil de nuit était fréquenté par deux types de population : les itinérants et les SDF. Les premiers constituent une forme d’errance mobile, qui se prête difficilement à une démarche d’insertion, et se gère par l’assistance ponctuelle (le gîte et le couvert). Leurs itinéraires montrent également l’ampleur de leurs déplacements au-delà des frontières nationales (Italie notamment) et l’existence de réseaux au sein de ce monde marginal, qui ne laissent aucune zone, pas même les plus reculées, ’à l’abri de ces sans-abri’.

D’où l’inquiétude des responsables municipaux face au risque d’attirer de nouvelles populations en augmentant l’offre d’accueil.

Les SDF interpellent plus fortement encore les responsables locaux, puisqu’il s’agit de personnes qui cherchent à se fixer. Leur présence permet d’expliquer la saturation du local d’accueil de nuit (3 places) et les dysfonctionnements constatés quant à l’installation durable des personnes (la durée maximale étant fixée à trois nuits).

D’où le projet d’un ’accueil de jour’ qui fit suite à ce constat. Sa mise en place avait pour objectif le suivi et la réinsertion sociale et locale des personnes concernées. Les débats qui l’ont accompagnée sont éclairants à plusieurs niveaux.

A un niveau institutionnel tout d’abord, la mise en place d’un tel projet a posé le problème de savoir qui gère les populations précaires, vite relayée par la question de la définition des ’types de pauvres’ et finalement de la définition de la pauvreté dans notre société. La question fut posée en termes évocateurs par Monsieur Grilet (CCAS) : ’‘Comment faire une grille qui rende compte des besoins avec une colonne des inclassables ?’’ A ce débat est associée la problématique de la nouvelle ’pauvreté’, incarnée par la figure du SDF, dont l’absence de domiciliation rend plus difficile la tâche de suivi et de partage des compétences (et des responsabilités) entre différents intervenants. Sont-ils, comme le soutient le représentant Conseil général, des Sans Résidence Stable (SRS) qui relèvent dès lors d’une prise en charge délocalisée ou bien, comme le suggère le CCAS, des ’personnes hébergées par des tiers’ qui impliquent une gestion localisée ? L’animateur du Contrat NFNH va jouer dans cette partie de ’ping pong’, le rôle de passeur de frontières (institutionnelles) en montrant l’intérêt d’un partenariat entre différents intervenants. A partir de là, un travail de repérage et de catégorisation est initié, associant l’ensemble des structures d’accueil (associations caritatives, CCAS...) et des services de prestations. Le public potentiel sera défini en 1999 à partir de la typologie transmise par la Direction Sociale du Conseil général (96 personnes), le secours catholique (22 personnes) , du CCAS (40 à 70 personnes dont 25 à 40 sans domicile fixe), de l’entraide protestante (55 personnes), des restos du coeur (77 familles, dont 49 à Die). Au final, on estime à une centaine de personnes seules, notamment bénéficiaires du RMI, et à 50 à 80 ménages, le public concerné.

D’un point de vue territorial ensuite, la question de l’implication du District s’est posée dès l’origine de la démarche. Son évocation par les différents participants renvoie aux relations entre Die et le reste du Diois, et à la prise en compte de la dimension sociale dans le développement local.

La réflexion fut abordée par Monsieur Grilet (CCAS) en ces termes : ‘’Ces questions devraient concerner le DRDD, qui l’est dans les faits, mais ne souhaite pas actuellement se donner les compétences sociales pour prendre en compte ces réalités. A chacun d’agir pour faire évoluer cette situation. Die ne peut pas prendre tout le Diois à sa charge’.’ Monsieur Barnabé, jouant le rôle de ’courroie’ de transmission et d’implication, témoignera tout au long des réunions de sa volonté de faire évaluer cet état de fait. Mais certaines frontières ne sont pas faciles à déplacer et force est de constater que lors de la mise en oeuvre du projet, le DRDD ne faisait pas partie de la liste des partenaires. Le projet s’est concrétisé en mars 2000 avec le recrutement d’un éducateur chargé de l’accueil, et l’ouverture du local d’accueil de jour. Il est porté financièrement par le CCAS de Die et soutenu par le Contrat NFNH. Y sont associés les partenaires cités plus haut, (associations caritatives, mission locale, association intermédiaire). L’accueil reste, malgré tout, ouvert à ’toute personne de Die et du Diois’.

Les précautions qui ont entouré la mise en place de ce lieu d’accueil montrent les spécificités ’rurales’ de la question de la pauvreté. L’anonymat qui, dans l’univers urbain peut accentuer les phénomène d’exclusion, est ici absent. Mais, à l’inverse, l’interconnaissance peut renforcer les phénomènes de stigmatisation. La définition du lieu a été pensée dans les moindres détails pour en préserver le public potentiel. Il a ainsi été décidé de bien séparer l’accueil de nuit (réservé au public itinérant) du lieu d’accueil de jour. Tout est fait pour attirer, ceux que la visibilité sociale marquant cette petite capitale, risquerait de décourager. Présenté au public comme un lieu d’échange, de convivialité et d’écoute, il est pourvu de certains services qui ne trompent pas sur la précarité de ceux qui sont censés y venir445. Enfin, ce lieu doit constituer un relais auprès d’autres intervenants dans le domaine de la santé, de la formation et de l’insertion.

Notes
441.

Direction Départementale des Affaires Sanitaires et Sociales (Ministère des affaires sociales).

442.

Centre Communal d’Action Sociale.

443.

CALD, 1996 – Pré-contrat : recherche action. Contrat Nouvelle Famille – Nouvel Habitat de Die. 67p.

444.

SDF : Sans Domicile Fixe.

445.

Derrière la salle conviviale, style bistrot, se trouvent une cuisine, des sanitaires (WC, lavabo, douche), et des équipements (lave linge, sèche linge, fer à repasser, matériel d’hygiène et de prévention...).