Plus de 20 ans après la parution de l’ouvrage de D. Léger et B. Hervieu (1979), nous aboutissons au même constat que les auteurs. Au fond de cette enclave, dans ses marges sociales, certains néo-ruraux, croyant y construire une ’bulle’ où ils seraient leur propre patron, y ont retrouvé l’Etat. Mais le contexte a quelque peu changé. L’accueil et son contrôle sont désormais les prérogatives des notables locaux et des néo-notabilisés qui ont pris en main l’avenir du pays. Et le constat fait par les figures que nous avons rencontrées (ouvriers des champs, néo-rurales restées au front), s’il est amer, n’est pas tourné contre l’Etat, Aménageur, Gendarme ou Inquisiteur, mais sur l’absence de réponse locale à la précarité de leur existence et sur la nécessité d’en venir à l’assistance publique pour faire face à la pauvreté. Les ouvriers des champs et les néo-rurales restées au front, (voir chapitre V), ont effectué ’le retour à la terre’ pour y développer un projet agricole, et d’être ’tombés dans le RMI’ (selon leurs propos), au terme d’un parcours de marginalisation locale et professionnelle.
Dans ce contexte, le dispositif RMI est le dernier rempart contre l’exclusion. C’est cette intégration en cours, que le RMI vient ici tout particulièrement interroger et, aussi surprenant que cela puisse paraître, amène à mieux définir.
En effet, contrairement à d’autres agriculteurs issus du milieu et bénéficiaires de la mesure446, l’entrée dans le RMI est un moment particulier de la trajectoire du nouvel arrivant.
Elle vient rappeler la fragilité de l’insertion dans un milieu dont on n’est pas ’naturellement issu’. Dans ce contexte, le RMI n’est pas une aide facilement acceptée. Assimilée au traitement social de la pauvreté ou à une mesure pour les autres – ’oui on n’aurait même pas pensé à le demander parce que on savait pas qu’en ayant une profession... et le RMI pour moi c’était lié aux SDF , aux gens qui n’ont rien.’ (Madame Boulti) - elle constitue un cap, celui où rappelé à sa condition d’ancien salarié ou de membre en rupture avec son milieu d’origine, on doit affirmer et justifier sa nouvelle appartenance en tant que membre actif de la profession agricole et d’un milieu local.
Le passage dans le RMI accompagne alors une série de négociations avec les acteurs institutionnels (assistantes sociales principalement, techniciens, OPA). Ceux-ci amènent le bénéficiaire à justifier et trouver sa place, selon deux grandes logiques : soit en référence à un milieu local, soit en référence à un milieu professionnel, mais toujours à partir d’une position de marge.
L’expérience du RMI se construit selon une temporalité ’en escalier’ comprenant trois phases. La négociation de l’aide adaptée constitue un moment de mise en question de sa position dans le milieu local ou professionnel par rapport au projet initial d’installation. L’appropriation de cette aide amène à construire sa place dans un environnement social et professionnel en référence à une marginalité assumée (femmes restées au front), ou à une marginalisation à combattre (ouvriers des champs). La sortie du dispositif marque le retour à un équilibre et le franchissement d’un pallier dans le processus d’intégration.
Revenons sur ces trois moments clé qui permettent d’éclairer l’importance des acteurs institutionnels (assistantes sociales) dans la construction de ces parcours d’intégration difficile, et de montrer les frontières qui séparent les bénéficiaires du monde agricole et du ’territoire diois’.
La négociation de l’aide adaptée : accepter le RMI
La position ’marginale’ des néo-ruraux explique sans doute que l’accès au RMI emprunte des chemins parfois très sinueux et que dans aucun cas ce n’est ce type d’aide qui ait été envisagé au départ. Une première phase de négociation s’enclenche alors : il s’agit de définir l’aide adaptée à la situation d’urgence dans laquelle on se trouve.
Commence alors pour les ouvriers des champs, qui inscrivent leur demande d’aide en référence à la réalisation de leur projet initial - le maintien de leur structure d’exploitation - un long parcours du combattant. Ils sont amenés à mesurer leur position de marge dans ce milieu, ce qui constitue aussi une occasion d’y faire entendre leur voix (rédaction de courrier, affaire en justice).
Monsieur Boulti
’On va taper à toutes les portes, pour voir quelle possibilité il y a. On est allé voir le sous préfet, qui nous a donné un certain nombre de solutions, mais c’étaient des solutions qui n’en étaient pas. Du style bon : ’voyez à la chambre d’agriculture’, la chambre d’agriculture s’occupe pas de gens en difficulté, elle s’occupe de gens qui... ne sont pas en difficulté. ’Voyez avec les...- comment on appelle ça ?-... SOS paysans, bon ben eux ils sont là pour liquider l’affaire. J’ veux dire c’est pas ça qu’on cherche : si c’est pour fermer la boutique, je veux dire, on a besoin de personne.’
Pour les figures de ’néo-rurales restées au front’, un travail de deuil de leur projet agricole semble avoir déjà été fait, et la négociation directe auprès de l’assistante sociale s’avère alors plus facile :
Madame Bordas
Relance : Et en fait vous avez pensé tout de suite au RMI ou c’est l’assistante sociale qui vous a dit... ?
’Non, j’ai téléphoné à l’assistante sociale pour lui demander : mais est-ce que je pourrais pas bénéficier d’un contrat d’insertion ou quelque chose comme ça, est-ce qu’il y aurait pas moyen d’essayer de trouver une possibilité ?... Bon si j’arrive pas à monter mon projet, il faut quand même que je sois un membre de la société à part entière quelque part, quoi’.
Le RMI ne se définit donc pas en termes ’d’avoir droit’ (comme pour les agriculteurs issus du milieu, qui l’assimilent aux autres aides agricoles), mais en termes ’d’acceptation’. Cette aide sociale, si elle est perçue comme nécessaire et légitime, vient cependant se substituer à d’autres mesures en amont qui auraient permis de ne ’pas en arriver là’. Qu’il s’agisse de la profession agricole ou des acteurs du développement local, personne n’a pris en compte leur situation.
Monsieur Boulti
’Alors c’qui est un peu triste c’est qu’on est obligé de passer par là mais on n’est pas aidé, on n’est pas aidé. Là on est aidé : le RMI ça nous a aidé, ça nous aide. C’est comme la coop, on a le sentiment que y’a des structures prévues pour installer les gens et une fois qu’on est installé, c’est : démerdez-vous’.
Ce faisant, ils sont amenés à construire un discours de justification faisant apparaître leur apport au milieu local en tant que producteurs.
Monsieur Boulti
’Alors après quand vous demandez des aides, on vous regarde de travers, on vous regarde de travers pour le RMI [ ] mais si on positive, bon on aurait pu tout à fait faire autre chose avec notre fric. On a fait ça, et on le fait pas trop mal, c’qu’on fait ça tient la route. On arrivera à des résultats économiques, mais il faut attendre, et... si on regarde par rapport à ce que ça représente par rapport à l’activité et à la vie du pays, ben il vaut peut-être mieux qu’on soit là plutôt que pointer à l’ANPE, j’sais pas moi. J’aurais pu partir de là où j’étais et puis pointer depuis l’ANPE et puis travailler au noir, j’touche un peu à tout, ... et puis Isabelle attendre que ça se passe’.
L’appropriation de la mesure
Ajournement, réorientation ou renforcement du projet initial -celui d’une activité agricole- voilà l’enjeu de la négociation avec les acteurs institutionnels.
Deux logiques caractérisent le rapport à la mesure : pour certains, le RMI permet le maintien local (femmes restées au front), pour d’autres, il est utilisé afin de redresser leur exploitation (ouvriers des champs), avec dans l’un des cas une réorientation du projet initial (les deux frères A et C).
Dans le premier cas, (néo-rurales restées au front) le RMI est approprié de deux manières : par le revenu fixe qui contribue au maintien sur place, par le contrat d’insertion, que l’on utilise à certains moments du parcours d’intégration.
Madame Bordas
’Au début ça a été tout simplement continuer ce qui pouvait être continué, pour s’accrocher, rester sur place, et puis après y’a eu la grossesse, la naissance, ça a mis les choses un peu en sourdine, en veille, et là ça redémarre, au niveau du prochain contrat que je vais signer quand l’assistante sociale rentrera de vacances, ça sera de mettre en route, cette histoire d’atelier avec les lapins, et la confiture’.
Les contrats d’insertion, sont perçus à travers la temporalité d’un métronome, une scansion régulière qui vient rappeler à côté de l’objectif principal du maintien sur la place, la nécessité d’y trouver une place :
’On se laisse un peu manger par tout ce qui est tache matérielle, pour moi je sais que j’aurais tendance à laisser courir, du coup avec ce truc RMI, y’a des échéances à respecter. Ça permet de faire le point par rapport à ce qu’on a dit, est-ce qu’on a commencé à le faire ou est-ce que c’est juste resté sur le papier. Si c’est resté sur le papier, ça peut passer une fois, ça passera pas deux fois’.
L’ajournement du projet initial, pendant un temps assez long (12 ans, 6 ans) constitue une phase d’ancrage local dans des réseaux d’entraide et de développement d’une économie parallèle.
Madame Chat
’Donc il s’est développé toute une économie parallèle, on parle des SEL447 mais on parle pas de l’économie parallèle qu’il y a avec les RMIstes mais c’est pareil : on fait la même chose, on s’échange des heures de travail sans cesse’.
Le recours à ces activités et réseaux ’marginaux’ permet d’exister et de se faire reconnaître avant d’envisager le retour à une activité déclarée. Celle-ci doit assurer l’équilibre avec la vie familiale que le premier projet avait rompu. Dans les deux cas, il y a rupture de la première union liée à la difficulté du conjoint d’assumer le projet.
Madame Bordas
’Au niveau de l’accueil, l’accueil en table et chambre paysanne, c’est quand même quelque chose qui est très très prenant et qui est pas toujours facile à concilier avec la vie de famille, et en particulier mon compagnon actuel est pas chaud du tout pour avoir du monde dans la maison. Donc je suis d’autant plus incitée à mettre en place des trucs purement agricoles’.
Dans les autres cas (ouvriers des champs), c’est la volonté de maintenir la structure d’exploitation, qui justifie l’entrée dans le RMI. L’enjeu est ici celui de la gestion de la distance à la profession agricole et au milieu local.
L’évocation par la famille Boulti de leur difficulté à être entendue et comprise par Monsieur Terrot (responsable de la commission agricole du District) -acteur qu’elle associe à la figure d’un ’paysan du cru’- montre leur marginalisation locale et le fossé qui les sépare des ’néo-ruraux’ désormais notabilisés.
Famille Boulti installée en chèvres laitières, qui ont du accueillir leur fils en difficulté et l’installer en ’doublon’ en partageant leur terres.
Lui : ’Après on s’est retourné vers le district, la nouvelle super commune, on a le gars chargé de l’agriculture qui est venu nous voir, j’ai l’impression qu’il nous a pris pour des rigolos tout simplement. Résumer : il est venu il a fait le tour, ben il a dit : ’’il faut serrer les boulons’ – bon merci’.
Elle : ’Et il a dit, parce que ce qu’il faut bien comprendre aussi c’est que on n’est plus en 1800, et que notre situation, comme on expliquait une fois : nous ne sommes pas des personnes âgées, nous ne sommes pas non plus agriculteurs, Bruno [leur fils] n’aurait pas pu prendre notre succession. On n’a pas fini de travailler’.
Lui : ’Oui parce que le principe que nous donne ... heu Terrot là, c’est que dans le milieu agricole, ’on le sait’, parents enfants travaillent ensemble. Il comprend pas pourquoi on a deux troupeaux, qu’on a du matériel en double...’.
Elle : ’A l’heure actuelle, on ne peut plus, même si on s’entend très bien, même au niveau pratique, mettre 300 bêtes ensembles. De traire 150 bêtes chacun en même temps, ça demande une autre organisation financière qui est énorme, et d’autres problèmes ...’.
Lui : ’Et pis si on a fait ça, c’est qu’on a réfléchis. Parents enfants c’est bien beau, et oh on n’est plus au moyen âge’.
Elle : ’Et Bruno il a envie de vivre correctement avec le fruit de son travail. Sinon si on n’avait pas fait ça, ce serait peut-être un chômeur qui prendrait la route, et ça c’est une chose qu’on voulait pas du tout’.
Lui : ’C’qui veux dire que là aujourd’hui moi j’ai le sentiment qu’au district on nous regarde de travers’.
[...]
Relance : Et du jardin vous en faite (suite à l’énumération des revenus) :
Lui : ’On n’a pas le temps’.
Elle : ’C’est vrai que c’est un problème de temps’.
Lui : ’Ça aussi tient Geffray m’a dit, tient on fait du jardin, ça fait que quand on vit à la campagne.’
Elle : ’On n’a besoin de rien’ : alors ça ça m’a mis en colère, parce que bon j’lui ai pas répondu, mais ça me gène pas de le dire : on mange comme les autres en villes, on s’habille comme les autres en ville, on se chauffe pareil, on se lave pareil, dépense bon, on s’achète peut-être un peu moins de fanfreluche’.
Dans les deux cas de figure, les relations avec l’assistante sociale, sont plus difficiles. Un certain décalage sépare les attentes des personnes en difficulté et les solutions proposées par le travailleur social. L’entrée dans le RMI est vécue comme une assistance sociale à laquelle on se résigne, faute d’être reconnu comme chef d’exploitation ayant des difficultés économiques et non sociales. L’allocation est ensuite appropriée comme une aide permettant le rétablissement financier de son entreprise, et donc un cap à passer.
Madame Boulti
’C’est quelque chose de positif je trouve, même si j’ai eu honte (rire) parce que c’est vrai, c’est une chose dont je parle pas parce que j’ai honte. Je préférerais arriver de nous même à ... mais de toute façon on finira par y arriver parce qu’on progresse. Pis, bon, c’est pas dans l’optique d’être assisté éternellement, mais c’est vraiment heu... un bol d’air, ça nous permet d’y arriver un peu mieux’.
L’appropriation de la mesure se fait principalement à travers l’allocation, tandis que le ’contrat d’insertion’, perçu comme une demande de justification, est mal vécu. Non que cette demande soit considérée comme illégitime, mais les acteurs qui en ont la charge (dans la Commission Locale d’Insertion) sont assimilés aux membres dominants de la profession agricole vis-à-vis de laquelle ils s’estiment non reconnus.
Dans leurs récits, on perçoit la déconnexion entre les acteurs sociaux et économiques intervenant dans le domaine agricole d’une part, et entre les installés et ceux qui installent d’autre part.
Monsieur Boulti
’C’est l’assistante sociale qui suit tout notre dossier et le présente en commission. Alors l’assistante sociale c’est pas son rôle, elle est pas là pour aller faire de l’économie dans une réunion de techniciens. Alors le minimum à mon avis ça serait de demander l’avis au concerné. Y’a pas d’organismes syndicaux. Les techniciens de la chambre ne viennent pas nous voir’.
Enfin, dans le dernier cas, c’est l’assistante sociale qui s’est rendue auprès des personnes concernées (deux frères A et C) n’ayant fait aucune demande d’aide depuis leur installation en 1985. La prise en charge s’effectue alors par l’assistante sociale, qui les informe sur leurs droits et oriente les bénéficiaires vers des actions concernant la santé et le logement. L’entrée dans le RMI vient opérer une rupture dans la logique d’asservissement à l’exploitation. Son acceptation fait l’objet d’une négociation familiale :
Aîné des deux frère A et C
’On en a déjà parlé avec papa parce que quand Monsieur D. [technicien agricole] est venu, quand il est venu, y’avait papa, en général on fait tout ce qu’on fait, on le fait à 3, ensemble’.
Relance : Et comment il a réagi ?
’Au début c’était pas ça, pis après il s’est dit c’est toujours pareil si ça vous permettait de ... d’arriver à bouger un petit peu, sûrement que ça irait mieux. Parce que lui ce qu’il veut c’est avoir des petits enfants, il dit : ’c’que je voudrais c’est vous voir marier et vivre normalement’.
L’appropriation de la mesure se fait ici selon les mêmes modalités à l’oeuvre lors de leur parcours d’installation : on ’prend ce qui vient’, on se soumet à la logique des ’choses’ que l’on ne maîtrise pas. L’assistante sociale les introduit alors dans les réseaux de solidarités professionnels plus ouverts. Elle constitue le seul lien de confiance vers une profession et un milieu local qui se sont montrés jusque là peu accueillants.
Aîné des deux frères A et C
Relance : Est-ce qu’elle vous a parlé d’un contrat d’insertion ?
’Oui, y’avait quelque chose comme ça. Alors j’en n’ai plus bien le souvenir, alors c’est que c’est une contrepartie de l’aide, ça apparaît presque normal. C’est pour essayer de .. j’me rappelle plus comment elle m’a dit ça, ..... De ce que je comprenais c’est qu’elle nous mettrait en contact avec des gens qui ont des chèvres depuis longtemps qui ont une certaine expérience, pour nous dire les conseils qui nous manquent, nous dire les choses qui vont pas et de faire ce qu’il faudrait faire pour que ça puisse alle’.
Sortie du dispositif et projection
Tous envisagent de rester sous le statut agricole, même si pour les néo-rurales restées sur le front, le projet d’activité agricole, envisagé au départ, s’est transformé en ’pluriactivité rurale’448. Et, dans la lutte pour maintenir le seul statut qui les identifie encore à un groupe, le RMI agricole est en quelque sorte une monnaie d’échange.
Madame Chat
’[Le RMI] c’est passé comme un revenu d’appoint ... J’imagine, je sais pas moi, j’ai 4900 francs de revenus par an donc tout est calculé en fonction de ça, cotisations agricoles pratiquement 4000 francs, donc mon revenu agricole part dans la cotisation. Mais j’ai vraiment envie de la conserver parce que... je veux garder ce statut là, au moins j’ai l’impression d’exister dans la société, j’ai aussi l’impression d’être encore dans la société, c’est peut-être idiot mais ... mais je sais que je suis assistée et ça me gène beaucoup, parce que je suis pas du tout du genre à accepter ça aussi facilement, mais d’un autre côté je paye ma cotisation agricole, moralement ça me tient, ça me fais passer la pilule ... Je paye fort cher pour ça mais c’est un choix’.
Pour ces deux femmes, entrées respectivement en 89 et 93 dans le dispositif, la sortie n’est envisagée qu’à partir du moment où la reprise d’une activité stable et légale, permet d’assurer un revenu régulier à la famille et un statut substituable à celui que procure le RMI.
Madame Bordas, bénéficiaire du RMI depuis 1993
’Il m’est arrivé à un moment donné où, période de 6 mois, où je suis restée dans le processus RMI, mais où je touchais plus le RMI, parce que j’avais l’allocation soutien de famille ou un truc comme ça, mais je restais dedans, avec les contrats et tout ça. Et c’est vrai que là quand je dis, il faut que j’arrive à en sortir de ce truc du RMI, là où je sais que ça va être dur, c’est qu’il va y avoir un creux, où il faudra que je paye une mutuelle, il faut vraiment se dire que ça va repartir et que les revenus vont continuer à progresser et que c’est qu’un passage, et que ça ira mieux après, mais il faut espérer de pas rester en bas’.
Dans les deux autres cas (ouvriers des champs), le passage par le RMI est envisagé comme un passage obligé, devant permettre à termes de retrouver un équilibre économique et d’améliorer les performance de l’exploitation. Dans ce cadre, la sortie du dispositif doit être le signe du franchissement d’un pallier dans le processus d’intégration et de reconnaissance professionnelle.
En ce qui concerne les deux frères (A et C), le passage par la mesure a engendré une prise de conscience, de la nécessité de mieux articuler vie professionnelle et vie familial. Il s’agit après avoir tout sacrifié à l’exploitation, sans grand succès, de mieux prendre en compte la réalisation personnelle et familiale, et de revoir à la baisse les objectifs de performances économiques.
A, aîné des deux frères
’Ce que je pense- parce que là on mélange tout dans notre vie - mais j’pense qu’il faudrait arriver à séparer le côté exploitation du côté familial et essayer de le (le RMI) garder pour le familial. Parce que c’est vrai que une idée de la vie c’est pas forcément que les chèvres ou le travail, c’est aussi la maison. Surtout que jusque là, on s’en est pas trop occupé. Les lapins avaient le chauffage, et nous on se gelait. Finalement les bêtes, elles sont pas trop mal installées, c’est nous qu’on est...qu’on traîne alors disons ce serait pas plus mal que ce soit pour nous maintenant’.
Dans l’ensemble des cas évoqués, il faut distinguer les femmes restées au front (dotées d’un capital culturel) des ouvriers des champs. Le dispositif RMI joue un rôle complémentaire de revenu et de statut pour les premières, étant intégrées dans des réseaux d’entraide. Il constitue pour les seconds, en l’absence de reconnaissance locale et professionnelle, le dernier rempart contre l’exclusion.
Nous nous basons ici sur une étude comparative menée avec d’autres chercheurs, sociologues et économistes dans le cadre d’une étude sur le RMI en agriculture pour le compte du Ministère de l’Agriculture (DEPSE), de la Délégation Interministérielle au RMI et de la Caisse Centrale de la Mutualité Sociale Agricole (Perrier-Cornet et al., 1999). Outre le Diois où nous avons mené les entretiens auprès de néo-ruraux, trois zones ont été enquêtées par les autres sociologues : le Morbihan (agriculture modernisée), le Cantal (agriculture traditionnelle) et l’Hérault (agriculture de salariat).
SEL : Système d’Echanges Locaux.
Sur le modèle du troc et de l’autoconsommation dans une logique de jardin ouvrier, qu’ont pu repérer C. Fabre et C. Laurent, 1998 – ’Précarité et agriculture dans le département de la Haute-Loire’, in : Cahiers Agriculture, n° 7, pp. 261-270.