Chapitre Liminaire : La détention du brevet d’invention : un investissement stratégique particulier

Introduction

Nombreux sont les investissements irréversibles partiellement ou totalement, incertains et dont la décision d’investissement peut être différée (Dixit-Pindyck [1994]). Or l’irréversibilité, l’incertitude et possibilité de retarder la date de l’investissement ne sont pas appréhendées par la théorie usuelle de l’investissement. Aussi, proposer un cadre méthodologique permettant de parer ces inconvénients devient nécessaire. C’est l’objet de la théorie des options. Dans ce cadre, la firme détient une option analogue aux options financières c’est-à-dire un droit mais non une obligation d’acheter un actif à une date de son choix.

La théorie des options a ensuite été étendue aux investissements réels (théorie des options réelles ou autrement dénommée théorie de l’investissement irréversible en incertitude). Toutefois, la mobilisation de la théorie des options aux décisions d’investissement est récente. Ce chapitre liminaire se propose de montrer en quoi la théorie des options permet de renouveler l’analyse économique des brevets.

Or la détention du brevet est telle :

  • qu’à chaque étape le décideur investit une somme irrécouvrable en échange d’un bien dont la valeur est aléatoire,

  • que prolonger l’investissement permet à la firme d’attendre que de nouvelles informations surviennent.

La caractérisation de l’environnement décisionnel, la résolution des incertitudes notamment par l’apport d’information (flexibilité informationnelle17) et la manière dont les actes modèlent et transforment les décisions (flexibilité décisionnelle18) permettent de faire l’analogie entre les options réelles et chaque décision d’investissement. Il s’agit alors de montrer que l’investissement en R&D s’apparente à une option de croissance, celui en protection privée à une option d’exécution différée et celui en propriété industrielle à une option d’abandon.

Si les étapes de la détention peuvent être assimilées à une option, alors la possession du bien tire son attrait des opportunités potentielles futures qu’elle permet d’exploiter. Trois types d’opportunités peuvent être distinguées : les opportunités d’exploitation liées à l’utilisation ultérieure du bien, celles de croissance induites par l’interdépendance des décisions et celles stratégiques résultant de la capacité d’un agent à dissuader l’entrée. Il convient alors de recenser les opportunités pouvant être acquises, soit par la possession d’une innovation, soit par celle d’un brevet, soit par la déchéance du titre de propriété. Dans ce cas, cet enchaînement d’options stratégiques fait de la détention du brevet un investissement stratégique.

L’analogie entre les options et les décisions d’investissement s’avère limitée. Par exemple, la concurrence sur un marché peut quelquefois conduire les agents à investir plus tôt (Trigeorgis [1986], Kulatilata-Perotti [1992], Smit [1995]). Dans la mesure où l’effet de report est fortement affaibli, l’investissement stratégique est alors doté de certaines particularités. Est-il possible d’assimiler la détention du brevet à un investissement stratégique particulier ? L’analogie entre l’option d’exécution différée et l’investissement en propriété privée semble inexacte dans la mesure où les innovateurs sont incités à breveter leur(s) innovation(s) le plus tôt.

Ce chapitre est organisé de la manière suivante. L’analogie entre la détention du brevet et l’enchaînement d’investissements stratégiques sera mise en évidence lors de la section 1. La section 2. porte sur le caractère spécifique de l’option d’exécution différée.

Notes
17.

La flexibilité informationnelle représente « les avantages que retire le décideur d’une meilleure connaissance de son environnement, lui permettant de choisir des décisions mieux adaptées aux situations les plus vraisemblables » (Bancel-Richard [1995], p. 159).

18.

La flexibilité décisionnelle, quant à elle, traduit l’incitation du décideur à choisir l’option la plus flexible afin de contraindre au minimum ses opportunités de choix futures (Bancel-Richard [1995]).