2.1.2. La recherche interne : l’accumulation d’un stock de connaissance

Mener des activités de recherche interne (arrivée d’information endogène) confère une avance en terme d’expérience telle que le(s) concurrent(s) est(sont) incapable(s) de rattraper son(leur) retard technologique. Sachant que l’exploitation d’une technologie nécessite l’acquisition de compétences particulières, la constitution d’un stock de connaissances initial peut être à l’origine d’un avantage évalué en terme d’expérience. Il s’en suit que la firme dont le stock d connaissance initial est le plus faible n’est pas incitée à s’engager dans la course. Ce problème a été exposé par Fudenberg et al [1983 §2] dans le cadre d’une course au trésor. Ils montrent que, s’il n’existe aucun retard informationnel, une avance marginale en terme d’expérience est suffisante pour assurer la persistance du monopole indépendamment du caractère stochastique de l’innovation. Leur cadre analytique se présente comme suit.

L’accumulation de l’expérience, symbolisant la croissance de l’information, est telle que la firme, engagée dans la course, accumule une unité d’expérience par unité de temps. Ainsi, l’expérience totale de la firme i acquise à la date t - notée - dépend du nombre de périodes dans l’intervalle de temps [ti,t] au cours duquel la firme s’est engagée dans la course, de la date ti d’entrée dans la course et d’une variable ei(τ) pouvant prendre deux valeurs :

1 s’il y a investissement en R&D,

0 sinon.

L’accumulation d’expérience, dont le taux est supposé indépendant du temps, caractérise, d’une part, l’état de la concurrence et, d’autre part, la probabilité instantanée de découvrir l’innovation au cours de l’intervalle de temps [t,t+dt] sachant qu’elle n’a pas été réalisée jusque là⁶⁹. Si à la période initiale, la firme i dispose d’une avance sur son concurrent , alors elle la conservera à la date .

Fudenberg et al [1983 §2] montrent que, si le retard du concurrent est trop important, alors la firme en place est en mesure d’ ε -préempter son rival. Il existe alors un unique équilibre de Nash dans lequel le monopole en place se maintient jusqu’à ce que la découverte soit faite et l’entrant ne s’engage jamais dans la course.

Proposition de Fudenberg et al [1983 §2]: Il existe un unique équilibre parfait en sous jeux tel que le leader s’engage dans la course et l’entrant abandonne si :

• la R&D est une activité viable lorsqu’une seule firme est engagée dans la course,

• il n’est pas toujours profitable pour les deux firmes de s’engager en R&D,

• le monopole en place s’est engagé dans la course avant son concurrent (t1 = 0 < t2)⁷⁰.

Dans ce contexte, l’anticipation d’une information meilleure en raison des travaux de recherche (accumulation de connaissances) inverse l’effet irréversibilité. Toutefois, choisir la décision irréversible (dépôt de brevet) peut avoir pour conséquence d’inciter la firme retardataire à opter pour la décision flexible dans la course à l’innovation (le non engagement). En effet, la courbe d’apprentissage est utilisée comme instrument de dissuasion à l’entrée dans 42% des cas. Cet effet irréversibilité inversé s’apparente-t-il à un effet stratégique ?

Concevoir l’effet irréversibilité inversé comme un effet stratégique revient à démontrer que les opportunités inhérentes à l’arrivée d’information (incitation à la préemption) ont pour finalité d’exclure un tiers de l’exploitation de la technologie en l’incitant à ne pas s’engager dans la course. Selon Gilbert-Newberry [1982], la firme en place est incitée à demander un brevet, même si elle ne l’utilise pas, pour empêcher l’entrant de devenir un concurrent potentiel. Dans ce cas, elle détient un brevet dormant ⁷¹. La détention de tel brevet s’interprète comme le maintien d’une capacité excédentaire (barrière à l’entrée).

En chimie, des groupes de composants sont parfois brevetés alors que certains produits ne sont que des substituts. L’objectif de l’innovateur est, soit de se protéger efficacement contre l’imitation, soit d’empêcher le concurrent de déterminer la composition exacte de la matière colorante. En effet, dans la mesure où des effets désirables identiques peuvent être obtenus à partir de toute une famille de molécules, l’innovateur est contraint pour se protéger efficacement contre l’imitation de détenir toute la famille de molécules même si seulement une d’entre elles est exploitée. De plus, en brevetant des groupes de composants, il accroît les coûts des activités de recherche de ses concurrents (Arora [1997]). Cette stratégie est utilisée lorsque l’innovation :

1. s’inscrit comme l’une des étapes d’un processus technologique complexe,

2. est jointe à une tierce technologie c’est-à-dire lorsque l’innovateur détient un portefeuille de brevets.

Ces informations acquises grâce aux activités, soit de veille, soit de recherche interne peuvent toutefois être utilisées à des fins stratégiques. L’effet irréversibilité devient-il un effet stratégique ?