L’intérêt pour une firme d’utiliser stratégiquement la diffusion de ses connaissances a été mis en lumière par Langinier [1997 chap. 3]. Elle présente un modèle de course à l’innovation et/ou à l’amélioration dans laquelle sont engagées deux firmes, un monopole en place et un entrant. La situation concurrentielle se résume ainsi : le leader possède une avance technologique et informationnelle sur son concurrent. L’avance technologique tient dans le franchissement de la première étape (phase de recherche) par opposition à l’entrant qui n’a fait aucune découverte. L’avance informationnelle a trait à l’asymétrie informationnelle quant à la valeur de l’innovation puisque, seul, le détenteur de l’innovation sait si cette dernière est améliorable avec succès ou non. Le suiveur, moins informé que le leader, a une distribution de probabilités a priori sur la valeur de l’information.
Le monopole choisit entre deux modes de protection industrielle : le secret et le brevet. Après avoir observé le comportement du leader, l’entrant choisit entre, soit s’engager dans la course, soit abandonner. La préemption par les brevets est alors motivée par la volonté de décourager le concurrent de poursuivre la course ou de le désinformer en l’orientant vers des programmes de recherche peu rentables.Le concept d’équilibre retenu est celui d’équilibre bayésien parfait.
En comparant les dépenses optimales des acteurs, Langinier [1997] met en évidence plusieurs conclusions :
la menace concurrentielle a pour conséquence d’augmenter le montant des dépenses de R&D engagées par le leader72 quelque soit l’étape de la course,
les niveaux d’efforts fournis lors de la course à l’innovation sont plus faibles que ceux fournis au cours de la course à l’amélioration,
l’avance technologique d’une firme a pour conséquence d’augmenter ses dépenses en R&D.
Les résultats de Langinier [1997] sont rassemblés dans les propositions suivantes.
Proposition 1 : En information parfaite, la décision du monopole en place (resp. de l’entrant) choisie à l’équilibre est de conserver l’innovation secrète (resp. continuer la course) si l’innovation est améliorable. Inversement, si l’innovation est non améliorable, le leader opte pour le brevet et le suiveur abandonne la course.
La possibilité pour le monopole en place d’user de son avantage informationnel dépend de sa décision de première période (brevet ou secret) et du supplément de valeur conféré par un brevet haut (binôme innovation-amélioration) par rapport à la somme de deux brevets bas (l’innovation seule puis l’amélioration seule). De là se déduisent les propositions 2 et 3.
Proposition 2 : Si la menace concurrentielle n’exerce que peu d’influence sur le montant des dépenses engagées dans la course par le leader et si le gain brut provenant de la détention du brevet haut est nettement supérieur à la somme des gains bruts issus des deux brevets bas, alors il existe un équilibre séparateur dans lequel le monopole en place choisit comme mode de protection le brevet (resp. le secret) si l’innovation est non améliorable (resp. améliorable).
si l’entrant est pessimiste, il existe un équilibre mélangeant où le leader choisit toujours le secret comme mode de protection et le suiveur abandonne la course,
si l’entrant est optimiste, il existe un équilibre semi-séparateur dans lequel le monopole en place opte toujours pour le brevet si son innovation est non améliorable et agit de manière aléatoire dans le cas contraire.
La décision optimale du concurrent est alors, soit d’agir de façon aléatoire s’il observe un brevet, soit de continuer la course s’il n’observe rien.
En résumé, l’effet irréversibilité devient stratégique lorsqu’il y a ε -préemption puisque le concurrent n’est pas incité à s’engager dans la course. Pour cela, le monopole en place mènera des activités de veilles technologique, concurrentielle et/ou de recherche interne afin de breveter son innovation le plus rapidement possible. De plus, en divulguant les informations technologiques contenues dans la demande de brevet, l’innovateur est à même de contrôler et d’utiliser stratégiquement les informations contenues dans la demande de brevet. Ainsi, l’incitation à breveter l’innovation à une étape prématurée découle également de l’utilisation de la divulgation des connaissances technologiques.
En effet, en l’absence de menace d’entrée, le monopole en place est incité à investir faiblement. En revanche, la menace concurrentielle le contraint à investir rapidement pour préempter l’entrant.