Chapitre 2 : Décisions de renouvellement du brevet et Lutte anti-contrefaçon

Introduction

La contrefaçon s’étend aujourd’hui à tous les secteurs industriels. En effet, 40% des firmes innovantes en produits ou procédés déclarent avoir été victimes de contrefaçons et 19% d’espionnage industriel (Bussy et al [1994]). Ces actes induisent une perte de chiffre d’affaires évaluée à 3%. L’action en contrefaçon visant la défense de la propriété industrielle a pour objet de condamner celui qui est tenu pour contrefacteur. Pour cela, l’innovateur doit :

  1. apporter la preuve de ses allégations (saisie-contrefaçon). Tant que le brevet est maintenu en vigueur, l’innovateur examine grâce aux activités de veilles technologiques et concurrentielles les réalisations techniques afin de détecter les éventuelles contrefaçons. Il investit alors en détection de contrefaçons.

  2. porter l’action devant le Tribunal de Grande Instance, seul compétent pour juger ces contentieux. Cette procédure fait supporter à l’innovateur des coûts de défense de part l’assignation en justice du contrefacteur.

La défense des droits du breveté est un investissement irréversible. En effet, ces dépenses sont irrécouvrables étant donné que les indemnités versées pour frais de procès couvrent à peine 33% des dépenses engagées. De plus, elles sont spécifiques à un acte puisque le défendeur doit, non seulement, définir l’acte précis de contrefaçon qui sera poursuivi, mais aussi le contrefacteur qui sera assigné en justice si plusieurs imitateurs peuvent être inquiétés.

Cette défense des droits offre à l’innovateur des opportunités d’exploitation stratégiques. Les opportunités d’exploitation sont liées à la volonté de l’innovateur de porter l’affaire devant les tribunaux. Or l’issue du procès influence la décision d’assigner en justice celui qui est considéré comme contrefacteur. En effet, plus les acteurs sont optimistes, plus la probabilité qu’il y ait procès est forte. Le titulaire peut donc avoir tendance à intenter un procès s’il estime que sa probabilité de le gagner augmente. Toutefois, ces opportunités d’exploitation peuvent devenir stratégiques étant donné que poursuivre aujourd’hui des contrefacteurs peut avoir pour effet de dissuader des concurrents de copier ultérieurement l’innovation103.

Or cette opportunité d’agir en contrefaçon, afin de faire respecter ses droits, n’est pas toujours utilisée. En effet, selon l’Union des fabriquants, un quart des entreprises qui se déclarent victimes de contrefaçon de marque, renoncent à ester en justice. Pour quelles raisons une firme victime de contrefaçon n’utilise-t-elle pas ce moyen de défense ? Pour répondre à ce problème, les contributions théoriques relative à la lutte anti-contrefaçon se proposent de déterminer :

  1. Quelle doit être l’évaluation des réalisations techniques introduites par la concurrence ? Comment identifier les contrefacteurs ?

  2. Quelle doit être la meilleure réaction ? Faut-il agir en justice ou composer avec les contrefacteurs ?

Ces études montrent que les stratégies de protection technologique (détection de la contrefaçon et défense du droit du breveté) dépendent des coûts et de la probabilité de détecter la contrefaçon. En revanche, la probabilité de gagner le procès - elle-même fonction des délais de réaction et/ou de la qualité de l’affaire en cours - et l’importance des coûts du procès influencent l’issue du procès.

Cette section se propose d’évaluer les conséquences de l’action en contrefaçon sur le comportement économique des innovateurs. L’idée défendue est que les coûts supportés, si action en contrefaçon il y a, constituent un frein au dépôt de brevet. Aussi, par hypothèse, l’innovateur est victime de contrefaçon.

Estimer le poids des coûts de détection de contrefaçon nécessite de comparer les décisions de renouvellement lorsqu’un innovateur ne mène aucune activité de veille avec le cas où l’imitation détectée ne peut être attaquée pour contrefaçon. En revanche, évaluer l’incidence de l’issue du procès sur les dimensions temporelles revient à comparer la situation où l’innovateur gagne son procès avec celle où il le perd. Le rôle joué par les délais existant entre la date de déclenchement des poursuites judiciaires et celle du jugement est mis en évidence en mettant en parallèle le cas où l’innovateur obtient gain de cause immédiatement avec celui où la décision du juge est différée.

Les modèles présentés ci-dessous sont des modèles de renouvellement dans lesquels sont introduits les gains espérés liés à la défense des droits de propriété (valeur des opportunités). L’innovateur est, dans ce cadre, supposé maintenir en vigueur son titre tant que les recettes courantes d’exploitation auxquelles s’ajoutent la valeur des opportunités d’exploitation excèdent le coût courant d’exploitation. Les décisions d’investissement se déduisent de la valeur privée.

La section 1 se propose d’évaluer le poids des coûts de détection en contrefaçon ; celui des coûts de défense des droits de propriété industrielle sera estimé dans la section 2.

Notes
103.

De la même façon, si une firme se défend efficacement lors d’un procès, une motivation à ne pas engager ultérieurement des poursuites à son encontre existe et cela même si elle se livre de nouveau à des actes de contrefaçon.