Conclusion générale

L’enquête « Appropriation technologique » réalisée par le SESSI, l’INSEE et le Ministère de la recherche en 1993 montre que seule une fraction des innovations est brevetée. Il existe donc un décalage entre le nombre de firmes innovantes et le nombre de firmes déposantes.

Justifier la faible propension des firmes à utiliser le système des brevets comme mode de protection était l’objet de notre thèse. L’idée défendue est que le système des brevets ne fournit pas les motivations suffisantes à sa propre utilisation. Aussi, le secret est parfois plus efficace que le brevet.

Le choix d’un mode de protection constitue l’étape intermédiaire du cycle de vie du brevet. Le décideur arbitre entre :

Le problème de décision de l’innovateur n’est plus de savoir s’il faut investir en protection industrielle mais de déterminer la date à partir de laquelle cet investissement doit être entrepris à savoir la date de dépôt. Cette dernière se déduit traditionnellement des modèles de renouvellement des brevets qui évaluent les droits conférés par le titre à partir du comportement économique de l’innovateur. Toutefois, ces modèles ne permettent de rendre compte ni des opportunités de croissance (étendue des revendications), ni de celles d’exploitation (licences de brevet ou cession des droits), ni de celles stratégiques (exclusion d’un tiers de l’exploitation). La considération de ces opportunités est toutefois fondamentale puisqu’une rentabilité immédiate peut être contrebalancée par une rentabilité différée. Dans ce cas, l’investissement induit un coût d’opportunité. Il devenait alors nécessaire de définir un nouveau cadre analytique permettant de prendre en compte la valeur de ces opportunités.

Le chapitre liminaire se propose d’étendre la théorie des options réelles aux décisions d’investissement en R&D, en protection privée et industrielle puisque ces investissements sont irréversibles, soumis à une incertitude quant aux rendements futurs et peuvent être maintenus en vigueur d’une année sur l’autre. La séquence de décisions est telle que :

Toutefois, cette analogie avec les options réelles est, dans le cas de l’option d’exécution différée, imparfaite. En effet, la menace concurrentielle incite les firmes à protéger rapidement leur(s) innovation(s) c’est à dire à préempter par les brevets les concurrents. Aussi, l’investissement en propriété privée appartient à la catégorie d’investissement où l’effet de report est fortement affaibli.

La définition de ce cadre analytique permet non seulement de mieux comprendre le comportement des firmes face à la propriété industrielle mais aussi de souligner les spécificités du problème de décision concernant le choix d’un mode de protection. Ce dernier dépend de l’efficience de chaque système de droit, qu’il soit commun (secret) ou d’exception (brevet). Un système de protection est dit efficient si les innovateurs sont incités à l’utiliser. Or, s’il est aisé de connaître le nombre d’entreprises déposantes, l’évaluation du nombre de firmes innovantes est plus complexe. Aussi, l’efficience des systèmes de protection industrielle a été mise en évidence en isolant les modifications de comportement des innovateurs à savoir si la date de dépôt est avancée ou retarder. Ces analyses de statique comparative ont été menées dans deux situations :

Le chapitre premier se proposait de déterminer l’influence de la rentabilisation des fonds investis sur les décisions de renouvellement c’est-à-dire la date de dépôt et la durée de vie. Le cadre de référence était celui développé par Langinier [1997] ; ce dernier ne tenait compte que des profits directs d’exploitation. L’analyse de statique comparative met en lumière une incitation des décideurs à breveter leur(s) innovation(s) le plus tôt possible et pour une durée plus longue.

Le chapitre second avait pour objet d’introduire dans le calcul économique de l’innovateur les opportunités de défense des droits de propriété industrielle. Les analyses de statique comparative avaient pour but de déterminer l’impact sur les décisions de renouvellement des frais de détection de contrefaçon et de justice, de la longueur des procédures judiciaires et les difficultés à gagner un procès. Dans ce cadre, les innovateurs sont incités à retarder la date de dépôt et à raccourcir la durée de protection.

Le choix d’un mode de protection diffère selon la finalité retenue du brevet. Si la rentabilisation des fonds investis conduit les décideurs à breveter leur(s) innovation(s) le plus tôt possible, la défense de leurs droits les incitent à reporter la date de dépôt. Le choix du secret lorsque lutte anti-contrefaçon il y a, peut se justifier de deux façons :

Aussi, la question de l’efficacité du système des brevets mesurée en terme de dissuasion à l’entrée a ensuite été posée. Un système de protection est dit plus efficace qu’un autre s’il permet de dissuader l’entrée alors que ce dernier l’autorise. Cette efficacité dépend de nombreux paramètres tels que le secteur d’appartenance, le nombre d’acteurs engagés dans la course, la nature de l’innovation.

Le chapitre troisième se proposait d’évaluer l’efficacité du système des brevets dans un cadre atemporel (statique) et dans un cadre dynamique c’est-à-dire en prenant en compte la croissance de l’information et l’interdépendance des décisions. La détermination des frontières de possibilités d’entrée met en lumière les zones où le secret autorise l’entrée alors que le brevet la dissuade. Il ressort de cette étude que l’efficacité statique du système des brevets est incontestable. En revanche, le secret semble dynamiquement efficace.

Deux extensions possibles à cette analyse mériteraient d’être explorées. Il s’agit :

Tout d’abord, selon 38% des firmes le brevet divulgue trop d’informations technologiques. Or très peu utilisent les sources d’informations provenant des instituts de propriété industrielle. Pour quelles raisons la divulgation des informations technologiques est-elle tant crainte des innovateurs ? L’hypothèse avancée est que les agents lorsqu’ils détiennent un bien à fort contenu informationnel se comportent différemment par rapport au cas où ils ont en leur possession un bien physique. L’économie expérimentale peut se révéler pertinente pour démontrer cela. Deux expérimentations pourraient être menées. La première aurait pour objectif d’isoler le choix d’un décideur contraint d’investir en capacité, la seconde viserait à évaluer les modifications de comportement des agents si l’investissement ne porte plus sur un bien mais sur de l’information.

La seconde extension aurait pour objectif de justifier pourquoi les brevets sont considérés comme un instrument de protection efficace dans l’industrie pharmaceutique et pour certaines branches de l’industrie des machines et de l’électrotechnique alors qu’il est considéré comme le moyen le moins efficace de protection dans tous les autres secteurs. L’hypothèse avancée est que l’efficacité du brevet résulterait des opportunités de réutilisation des innovations dans des domaines différents. Par exemple, l’aspirine, qui est essentiellement utilisée en tant qu’analgésique et qu’antipyrétique, possède d’autres propriétés curatives telles que celles concernant les problèmes cardiaques. Or ces propriétés ont été récemment découvertes alors que l’aspirine est utilisée depuis longtemps. Ainsi, les expérimentations ultérieures peuvent accroître l’ensemble des applications de l’innovation en raison notamment des avancées scientifiques. Dans ce cas, le dépôt de brevet répondrait au principe de précaution. Cette dernière naît du décalage temporel entre la nécessité de l’action immédiate et le moment où les connaissances scientifiques se modifient (Treich [1997]). Ainsi, une analyse expérimentale pourrait infirmer ou confirmer cette hypothèse.