2. La représentation et l’ordinateur

Depuis l’Antiquité, l’homme tente d’inventer des machines capables de reproduire les caractéristiques de l’esprit humain. Dans le XIIIème chant de l’Iliade, Homère décrit le dieu du feu, construisant des sortes de robots : des tables à trois pieds sur roulettes capables de se déplacer seules.

L’histoire de l’ordinateur remonte au XVIIème siècle avec les premières machines à calculer capables de reproduire des opérations mentales : les opérations arithmétiques élémentaires. Cependant, le fonctionnement de ces machines et le type de tâche qu’elles effectuent est encore trop limité pour permettre de parler de représentation. Par exemple, la machine de Pascal (cité dans Webb, 1980) est un système d’engrenage basé sur une correspondance physique entre les mouvements du système et leurs significations ce qui ne nécessite pas l’intervention d’un système de symboles.

Ce sont les automates qui à la fin du XVIIIème siècle mettent en jeu la part de la représentation et de la symbolisation en assurant un enchaînement automatique et continu d’opérations arithmétiques et logiques. Ces enchaînements d’opérations règlent des mouvements dont la signification ne nécessite pas de correspondance physique entre les mouvements du système et ce qu’ils symbolisent comme dans la machine de Pascal. En 1805, le métier Jacquard sera le premier automate industriel universel dans le sens où il sera capable d’effectuer n’importe quelle tâche en un domaine donné, en l’occurrence reproduire n’importe quel dessin.

En 1830, Charles Babbage travaille à la mécanisation complète de l’arithmétique. Il franchit la distance qui sépare les automates de l’ordinateur contemporain en décelant l’importance de l’organisation des opérations de base, dont la clé est le conditionnel. Le ’si alors sinon’ permet à sa ’machine analytique’ de choisir entre deux procédures en fonction du résultat qu’elle a elle-même calculé à une étape antérieure. Cette introduction du virtuel sera un pas en avant dans l’abstraction ainsi que l’avènement de la symbolisation. La machine analytique combine des symboles utilisés ou non en fonction de la procédure choisie.

Selon Andler (1992), Turing donnera la pièce manquante avec sa famille de machines théoriques. Il commence par définir une famille de machines qui manipulent des symboles en postulant que toute manipulation concrète peut-être confiée à ces machines. La thèse de Turing est qu’il existe toujours une de ces machines capables de reproduire une procédure exécutée concrètement par l’esprit humain. Il code les machines qui sont des unités d’instructions par des nombres puis substitue aux nombres des marques, c’est-à-dire des symboles. Enfin, il va construire de véritables machines en substituant aux marques des impulsions électriques. Ce passage du nombre au symbole accompli d’abord dans l’abstrait avec la famille de machines théoriques va produire la machine formelle dans le but de s’inscrire dans la matérialité de la machine.

Les ordinateurs utilisent des symboles (ex : les icônes) qui représentent des unités d’information sémantiquement interprétables pour l’utilisateur. Cette forme de symbolisation rend incontournable le recours à la notion de représentation. Elle établit le lien étroit entre la métaphore de l’ordinateur et la notion de représentation en ce qui concerne le fonctionnement mental en psychologie cognitive.

Au terme de ce parcours, les inventeurs de l’ordinateur s’exprimeront avec la logique contemporaine, algébrisée par Boole (1854/1961) et formalisée par Frege (1848/1925).