IV. La notion de représentation en psychologie animale

De nombreux comportements dans les espèces s’appuient sur une base innée n’impliquant pas nécessairement des représentations mentales construites à partir de l’expérience. Cependant, certains comportements animaux témoignent d’une flexibilité comportementale adaptée à la situation qui peut s’expliquer par l’intermédiaire de représentations.

Une expérience de Santa (1977) démontre que des chimpanzés devant qui on a caché des friandises sous des pots selon un parcours complexe les récupère en adoptant le chemin le plus court, ce qui suggère qu’ils possèdent une représentation structurée de l’environnement.

L’utilisation d’instruments (ex : le vautour lâche des pierres sur des oeufs pour en casser la coque) est aussi un argument en faveur de l’existence de représentations.

Certains animaux semblent avoir des représentations d’eux-mêmes. Gallup (1977) a montré chez un chimpanzé un comportement indiquant un début de reconnaissance de soi. Après avoir placé une tâche de couleur sur le visage de l’animal, il a confronté celui-ci à son image spéculaire. L’animal a alors cherché à enlever la tâche de son propre visage plutôt que de son image.

Selon l’éthologiste Konrad Lorenz (1983), il est nécessaire en psychologie animale d’observer des créatures mentalement saines non marquées par les conséquences néfastes de la vie en captivité. Il a observé chez une espèce d’oiseaux, les choucas, un jeu avec le vent qui consiste à se laisser porter par les courants ascendants, très haut dans le ciel. Avec quelques battements d’aile, les oiseaux utilisent cette force naturelle pour les porter à travers les airs à une vitesse dépassant cent kilomètres à l’heure. Ainsi, les choucas savent utiliser le vent et apprécier les distances. Ils connaissent les conditions atmosphériques locales et les lieux, où, selon la direction du vent, se trouvent les courants ascendants, les trous d’air ou les tourbillons. Ces connaissances ne sont pas innées mais individuellement acquises. Pour cela, il existe chez les choucas le même phénomène d’imitation que dans l’apprentissage humain. Si les petits choucas n’ont pas de modèle aîné à suivre en vol, ils cherchent un guide les uns chez les autres et tournent sans but dans les airs en s’élevant toujours plus haut. N’ayant pas encore acquis la chute vertigineuse par laquelle les choucas adultes perdent de la hauteur, ils s’égarent. Ce phénomène d’imitation systématique pose la question de la phase intermédiaire entre les comportements innés et l’acquisition de représentations dans l’apprentissage.

Ainsi, il apparaît qu’au moins chez les mammifères supérieurs, il existe des représentations cognitives grâce auxquelles les animaux peuvent fournir des réponses adaptées aux situations.

Cependant, les animaux ne semblent pas avoir accès aux représentations conceptuelles qui supposent l’utilisation du langage dans sa fonction symbolique. Gardner et Gardner (1971) ont appris à un chimpanzé le langage des sourds-muets. Les animaux sont parvenus à utiliser les signes, faisant ainsi preuve d’une certaine forme d’abstraction. Cependant, pour d’autres auteurs les signes ne constituent pas un langage réel. Les animaux auraient accès à un langage dans sa fonction strictement communicative et non symbolique ce qui semble empêcher l’accès à des représentations très abstraites. Selon Lorenz (1983), les animaux n’ont donc pas de langage au sens propre du terme et les observations invalident l’idée d’une analogie entre les moyens de communication des animaux et le langage humain. Les animaux n’auraient pas contrairement aux humains l’intention consciente d’influencer un congénère à travers leurs émissions de sons et de gestes. Ils communiquent grâce à un appareil émetteur récepteur qui permet la transmission inconsciente de sentiments et d’émotions à travers des mimiques. Selon l’humeur correspondante, des signaux sont déclenchés de façon automatique. Cet appareil a sans doute régressé chez l’homme à mesure que s’est développé le langage parlé et les représentations conceptuelles. L’homme n’a pas besoin de mimiques pour signifier ses humeurs car il lui suffit de les dire. En revanche, cet appareil est resté très développé chez les animaux supérieurs vivants en société parce qu’ils ne comprennent pas les mots et ne savent pas parler.