V. La notion de représentation en neurosciences

La notion de représentation en neurosciences est indissociable des phénomènes nerveux ayant lieu au sein du cerveau. Une meilleure compréhension du fonctionnement des neurones et en particulier de leurs espaces synaptiques a ouvert la voie à une perspective radicalement différente de la perspective cognitiviste. Ces conceptions ont inauguré une nouvelle forme de modélisation : la modélisation connexionniste basée sur le principe des réseaux neuronaux.

C’est fin du XIXème siècle que le neurobiologiste Eugenio Tanzi (1893) avance l’idée que les changements induits par l’apprentissage prennent place aux jonctions neuronales.

Puis, vers le milieu du XXème siècle, un psychologue Américain D. O. Hebb (1949) propose un modèle élémentaire de mémoire qui rend compte de la manière dont un réseau de neurones peut garder la trace des expériences passées. La synapse étant le lieu où l’activité nerveuse laisse une trace, Hebb suppose l’existence de ’synapses plastiques’ capables de modifier leur efficacité de transmission en fonction de leur activité antérieure.

Il soutient le principe suivant ’Quand un neurone A active par l’intermédiaire d’une synapse un neurone B et si cette activation réussit de façon répétée à déclencher l’activité du neurone B soit par elle-même, soit par l’effet coopératif d’autres signaux d’entrée convergeant sur le neurone, alors l’efficacité de la connexion qui unit les deux neurones est par la suite accrue’.

Ainsi, Hebb démontre que des changements synaptiques peuvent induire la formation de réseaux de neurones, les circuits neuronaux allant de simples chaînes neuronales à des circuits qui fonctionnent en parallèle et sont distribués au sein de larges réseaux. L’augmentation du gain synaptique renforce les connexions entre neurones actifs et provoque la formation d’une assemblée. Un ensemble de neurones distribués peut encoder différentes informations d’un même stimulus, chaque neurone participant de façon plus ou moins étendue à une information particulière.

Selon cette perspective, les représentations ne sont plus au sens classique des entités stables stockées en mémoire mais des phénomènes cognitifs issus de l’activité du système nerveux sans cesse modulés par l’expérience grâce à la plasticité des synapses. Elles sont des processus émergeants qui fonctionnent en parallèle, sans contrôle hiérarchique et dont les composants sont de bas niveau. La représentation d’un évènement spécifique est codée par l’activité nerveuse d’une assemblée de neurones actifs à un moment donné. Les informations sont stockées dans le cerveau et récupérées par le biais de l’activation de réseaux neuronaux qui se modifient sans cesse grâce à cette propriété auto-adaptative du cerveau.

Un premier type de plasticité synaptique fut découvert au début des années 70 dans l’hippocampe impliqué dans la mémoire explicite ainsi que dans l’ensemble du cortex et dans les ganglions de la base impliqués dans la mémoire procédurale. Cette augmentation de l’effet synaptique est durable puisqu’elle a été détectée jusqu’à trente minutes après la stimulation d’où le nom de potentialisation à long terme ou LTP.

Au début des années 80, un autre type de plasticité synaptique a été découvert dans le cervelet impliqué dans la mémoire motrice. Cette plasticité consiste en une diminution de l’efficacité de la transmission, d’où le nom de diminution à long terme ou LTD. On pense que la LTD permet de déprimer des signaux d’entrée non pertinents correspondants à des mouvements erronés. Les erreurs seraient ainsi minimisées et les performances du réseau améliorées, ce qui rendrait possible la mémorisation des mouvements corrects.

De nombreuses études tentent de démontrer le rôle de la plasticité synaptique dans la mémoire en la manipulant avec des composés pharmacologiques sur des animaux de laboratoire. Selon Rosenzweig (1996), des changements synaptiques négatifs et positifs correspondent au stockage en mémoire. Ses travaux démontrent que l’apprentissage et l’expérience dans divers environnements entraînent des changements neurochimiques et neuroanatomiques dans le cerveau des rongeurs. La célèbre expérience de Wiesel et Hubel (1963) démontre que la privation de lumière sur l’oeil d’un jeune chaton réduit le nombre de cellules corticales qui répondent à la stimulation de cet oeil. Ces changements plastiques en réponse à un type particulier d’expérience ne sont pas distribués de façon uniforme à travers le cortex cérébral. Par exemple, certaines études révèlent des changements spécifiques au cortex occipital : des augmentations ont été observées dans l’épaisseur du cortex (Diamond et al, 1964), dans la taille des aires de contact synaptiques (West & Greenough, 1972), dans le nombre d’épines dendritiques par unité de poids des dendrites de base (Globus et al, 1973), dans l’extension des branches dendritiques (Holloway, 1966), et dans le nombre de synapses par neurone (Turner & Greenough, 1985). Cependant, en accord avec l’idée fondamentale de Hebb (les changements synaptiques supportent la formation de réseaux neuronaux), il a été démontré chez de nombreuses espèces que les phénomènes de mémorisation incluent des sites neuronaux largement distribués au sein du système nerveux.

D’un point de vue comportemental, ces changements se traduisent par une meilleure capacité à apprendre et à résoudre des problèmes. A un niveau inférieur, des cascades d’évènements neurochimiques sont à l’origine de ces changements plastiques dans le cerveau. Selon Bennett et al (1972) et Mizumori et al (1985, 1987), la synthèse de protéines durant et après l’apprentissage serait nécessaire à la formation de la MLT alors que la MCT ne nécessiterait pas cette synthèse. Cette distinction valide l’hypothèse de Hebb de deux sortes de traces dans le système nerveux : des traces transitoires, très labiles et des traces stables.

Parallèlement à ces travaux physiologiques, des chercheurs informaticiens construisent des réseaux de neurones artificiels incluant la plasticité synaptique de manière à mettre au point des systèmes modèles capables de reproduire les caractéristiques de notre mémoire. Dans ces réseaux dits neuromimétiques, des neurones formels sont dotés d’un état interne, l’activation, par laquelle ils influencent les autres neurones du réseau. Cette activation se propage le long d’arcs pondérés appelés liens synaptiques. La règle qui régit l’état d’un neurone en fonction de ses pairs est appelée fonction d’activation. Dans ces modèles, l’effet d’un apprentissage se traduit par la modification de l’efficacité synaptique à l’instar des neurones plastiques de Hebb.

Certains modèles de la psychologie cognitive intègrent les données de la neuroscience. Selon Versace (2000), tout traitement de l’information correspond à deux phénomènes : l’activation de traces préexistantes en mémoire et la construction de nouvelles traces. Dans cette perspective, les représentations des connaissances sont sans cesse reconstruites et modifiées dans le système nerveux au sein de réseaux de neurones. Ce modèle tente de rendre compte dans une perspective dynamique, de la stabilité de nos connaissances conceptuelles ainsi que de leur adaptation permanente à l’environnement, ce qui suppose des traces labiles et des traces stabilisées en mémoire.