B. LA MÉMOIRE

I. Introduction

La mémoire est un enjeu majeur en psychologie cognitive car elle intervient dans l’ensemble des activités cognitives. Elle n’est plus abordée comme une fonction mentale parmi d’autres mais comme une propriété inhérente à toutes les fonctions mentales. Cet intérêt assez récent est lié au développement des recherches à partir des années 60 en psychologie cognitive, en informatique et en intelligence artificielle. C’est donc l’émergence des sciences cognitives qui a fait de la mémoire un concept théorique central. Jusque là, celle-ci était simplement définie comme la capacité à se rappeler les évènements du passé mais cette définition s’est avérée trop restreinte pour rendre compte de l’ensemble des propriétés de ce système. En effet, la mémoire ne concerne pas seulement le passé, mais elle influe sur notre présent car elle détermine notre perception et nos interprétations du monde (Tiberghien, 1997). La tendance à reconstruire le passé en fonction du présent lui confère un rôle d’adaptation très important : nous reconstruisons notre histoire dans un sens qui nous est favorable. La mémoire trie les informations, les organise nous permettant ainsi de détecter ce qui est nouveau dans notre environnement. Enfin, elle nous permet l’acquisition de nouvelles connaissances. Toutes ces fonctions de la mémoire renvoient à cette propriété essentielle mise en avant par D. Hebb : la plasticité du système cognitif humain, c’est-à-dire sa capacité de changement au cours du temps et d’adaptation à de nouveaux environnements.

Selon Tiberghien (1997), la mémoire n’est pas une simple forme de la cognition, celle du passé, mais elle est la forme même de la cognition. Le concept de mémoire est plus fondamental que celui de cognition, la mémoire pouvant être définie comme une propriété émergente d’un système cognitif.

Selon l’angle sous lequel nous étudions le problème (expérimentation sur des sujets normaux en psychologie cognitive, étude des pathologies sur des sujets souffrant de lésions cérébrales en neuropsychologie, méthodes d’imagerie cérébrale en neurosciences, simulation informatique en intelligence artificielle, etc...), la question de la nature de la mémoire semble mieux s’interpréter à la lumière d’un cadre théorique particulier. Il apparaît à travers la pluridisciplinarité des sciences cognitives que la complexité du système cognitif humain nécessite des approches différentes ayant leurs propres modèles. On trouve dans la littérature deux grands paradigmes selon la métaphore de l’ordinateur ou la métaphore du cerveau : paradigme cognitiviste ou paradigme connexionniste. Le cerveau et l’ordinateur possèdent tous deux une mémoire provisoire (mémoire à court terme et mémoire vive) et une mémoire stable (mémoire à long terme et mémoire morte). Cependant, nous pensons que la mémoire n’est pas une accumulation passive d’informations comme c’est le cas dans un ordinateur mais le résultat du traitement actif de l’information par le système nerveux.

En dépit des divergences, une question reste centrale dans la littérature : Doit-on parler d’une architecture ou d’architectures de la mémoire ? La mémoire est-elle composée de structures modulaires ayant chacune leurs propriétés et traitant de l’information symbolique ou est-elle un système dynamique distribué, aux propriétés multiples, à l’intérieur duquel les connaissances sont issues des propriétés du cerveau ?

Pour certains auteurs, le terme multiples systèmes de mémoire réfère à l’idée que deux ou plusieurs systèmes sont caractérisés par des règles d’opération fondamentalement différentes. Pour d’autres auteurs, le fait que différents types d’informations sont représentés dans la mémoire et correspondent à des régions différentes du cerveau n’implique pas nécessairement l’existence de multiples systèmes opérant selon des règles distinctes.

Bien sur, la mémoire doit être capable d’abstraire des connaissances générales de la multitude d’expériences et d’environnements auxquels nous sommes confrontés tout au long de notre vie. Mais elle doit être également en mesure de conserver des souvenirs particuliers, c’est-à-dire des connaissances liées à des évènements spécifiques. Au centre de tous les débats théoriques actuels se pose la question de savoir si un seul système peut assurer ces deux fonctions.

La recherche proposée ici postule l’existence d’un seul système de mémoire à l’intérieur duquel les phénomènes mentaux s’interprètent en termes de configuration d’activité sur les unités du système plutôt qu’en termes de manipulation symbolique. Dans cette perspective, la traditionnelle distinction entre mémoire sémantique ou mémoire des concepts et mémoire épisodique ou mémoire des évènements spécifiques n’est pas pertinente pour expliquer la nature et l’organisation des connaissances en mémoire. Les connaissances ne seraient pas stockées de façon abstraite et amodale dans une mémoire spécifique aux concepts : elles seraient sans cesse reconstruites par l’activation de traces mnésiques préexistantes au sein du système nerveux et sans cesse modifiées par la construction de nouvelles traces. La mémoire vue ainsi comme un processus dynamique serait constituée de traces multidimensionnelles et épisodiques activées en parallèle au moment de la récupération d’une connaissance. Cette trace conservée se modifierait à l’intérieur d’une architecture connexionniste où l’information est distribuée sur un ensemble d’unités du système. Ce type d’architecture proche de la réalité physiologique peut expliquer les caractéristiques de la mémoire comme l’évolution permanente de nos connaissances et leur adaptation aux changements de contexte.