2. La modélisation de différents systèmes de mémoire

Selon certains modèles, la mémoire est composée de multiples systèmes, chaque système étant dévolu à une fonction particulière et opérant selon des règles différentes.

2.1. Le modèle de Tulving (1983, 1984, 1995)

Tulving (1983) distingue la mémoire sémantique et la mémoire épisodique. Selon lui, des traits distinctifs permettent de séparer ces deux types de mémoire :

La mémoire sémantique contient des informations ayant un caractère permanent et qui sont indépendantes du contexte. Ces informations ne sont pas organisées selon un ordre temporel et reflètent des connaissances générales.

La mémoire épisodique contient des informations ayant un caractère labile, susceptibles d’être oubliées et qui sont dépendantes du contexte. Elles sont organisées selon un ordre temporel et concernent des évènements remémorés.

Dans cette perspective, le souvenir d’un épisode personnel est séparé de son contenu sémantique, ce qui soulève le problème du sens des événements et pose la question du lien entre un événement particulier et la connaissance générale.

Tulving (1984) fait donc évoluer son modèle : la mémoire sémantique et la mémoire épisodique ne seraient pas des structures totalement distinctes. La mémoire épisodique serait un sous-système incarné dans la mémoire sémantique. Selon cette position, des systèmes de mémoire distincts ont émergé à différents stades de l’évolution des espèces et émergent à différentes étapes dans le développement individuel. Quand un nouveau système de mémoire se développe, il permet l’acquisition de nouvelles fonctions. Le nouveau système est intégré aux anciens, cette combinaison permettant de meilleures performances.

Tulving propose une classification ternaire de la mémoire : la mémoire procédurale, la mémoire sémantique et la mémoire épisodique.

  • La mémoire procédurale est constituée de connexions apprises entre des stimuli et des réponses adaptées à l’environnement, c’est-à-dire des représentations liées à l’action.

  • La mémoire sémantique est caractérisée par la capacité de mémoriser des représentations du monde qui ne sont pas perceptivement présentes, c’est-à-dire des représentations conceptuelles.

  • La mémoire épisodique possède la capacité d’acquérir et de coder des connaissances concernant des expériences personnelles ainsi que la capacité de revenir en arrière dans le temps. Elle contient donc des constructions circonstancielles, c’est-à-dire des représentations construites en fonction des circonstances.

Ces trois systèmes de mémoire sont agencés selon un mode hiérarchique. Au plus bas niveau de la hiérarchie se trouve la mémoire procédurale qui contient la mémoire sémantique, la mémoire sémantique contenant à son tour la mémoire épisodique. Chaque système dépend du ou des sous-systèmes du niveau inférieur mais fonctionne selon ses propres caractéristiques que ne possèdent pas le ou les sous-systèmes inférieurs. Ainsi, la mémoire sémantique peut fonctionner indépendamment de la mémoire épisodique mais pas de la mémoire procédurale. La mémoire épisodique dépend à la fois de la mémoire procédurale et sémantique, bien qu’elle possède ses propres caractéristiques.

Chaque système diffère dans sa méthode d’acquisition, de représentation et d’expression de la connaissance, ainsi que dans le type de conscience qui caractérise ses opérations.

Dans le système procédural, la représentation de l’information est acquise par l’action. Elle fournit une empreinte pour l’action future sans contenir d’information au sujet du passé. L’expression de la connaissance est directe et correspond à des réponses comportementales selon un schéma relativement rigide déterminé au moment de l’apprentissage. Ce système est associé à un type de conscience non connu ou ’anoetic’ qui permet aux organismes de réagir aux stimulations externes et internes. Les plantes, les animaux très simples et les ordinateurs possèdent ce type de conscience.

Dans le système sémantique, l’acquisition des connaissances se fait à travers des réponses intériorisées du système cognitif. L’apprentissage est une restructuration interne de l’information. La représentation est abstraite, elle n’exige pas d’action particulière. L’expression de la connaissance est flexible et peut revêtir différentes formes comportementales. La conscience connue ou ’noetic’ associée à ce système de mémoire permet à travers une introspection consciente la connaissance du monde. Certains animaux, de très jeunes enfants et des patients souffrant de lésions cérébrales ont accès à cette conscience ’noetic’.

Dans le système épisodique, l’acquisition des connaissances est la même que dans le système sémantique et l’apprentissage se fait par addition des informations. Les représentations du système épisodique relient les évènements associés à l’identité personnelle du sujet dans le temps et dans l’espace. Le mode d’expression du souvenir est une recomposition de l’information. La conscience auto connu ou ’autonoetic’ permet au sujet d’être conscient de son identité dans un continuum passé-présent-futur. Les animaux, les très jeunes enfants et les patients souffrant de certaines lésions cérébrales n’y ont pas accès. Cependant, cette auto conscience peut être endommagée ou détruite, sans préjudice aux autres formes de conscience.

Selon Rousset (2000), la synthèse théorique de Tulving (1995) met en avant la hiérarchie et la dépendance des différents systèmes entre eux. Dans son modèle SPI (Sériel Parallèle Indépendant), la récupération de l’information dans les différents systèmes mnésiques peut se faire de façon indépendante et en parallèle. Cependant, l’encodage en mémoire épisodique est dépendant d’un encodage préalable en mémoire sémantique (récupération sérielle). Les informations en mémoire épisodiques ont des composantes sémantiques .