3.3. Les dissociations chez les amnésiques

On observe chez des patients amnésiques des troubles de mémoire coexistant avec d’autres fonctions cognitives intactes, mais surtout des dissociations dans les fonctions de mémoire elles-mêmes. Dans le syndrome amnésique, les nouvelles informations, à moins d’être constamment répétées, sont rapidement perdues. Cette forme d’amnésie nommée antérograde concerne des informations acquises après la lésion. Elle est généralement accompagnée d’une amnésie rétrograde qui concerne des faits et des évènements antérieurs à la lésion, pouvant remonter à une année, voire à quelques décades.

La dissociation chez les amnésiques correspond à cette perte et incapacité de rétention d’évènements conscients (antérograde ou rétrograde) couplée à la préservation de l’expérience dans des tâches procédurales et à la capacité d’apprentissage de nouvelles habiletés perceptives et motrices comme la lecture de textes inversés, la lecture en miroir ou la tour de Hanoi. Ces tâches de mémoire dites indirectes car elles ne nécessitent pas d’instructions conscientes en mémoire semblent indiquer l’apprentissage de nouvelles associations. Cependant, il semblerait que l’acquisition de ces nouvelles associations soient des phénomènes de conditionnement du type stimulus-réponse. Selon des résultats expérimentaux (Nissen et al, 1989), les patients amnésiques sont capables d’apprendre et de retenir une configuration répétée de stimuli dans une tâche de réaction sérielle mais ils sont incapables de rendre compte de la séquence. De même, les phénomènes d’amorçage observés chez les patients seraient dus à une sensibilisation temporaire de représentations préexistantes (Jonhson et al, 1985). Cependant, l’amnésie est une pathologie limitée à l’apprentissage et à la mémoire et ne perturbe pas d’autres fonctions mentales comme l’attention, la perception et la capacité intellectuelle globale.

Les recherches actuelles en neuropsychologie mettent en relation des lésions cérébrales et des pathologies mentales. Le syndrome amnésique est lié à des lésions du noyau médio-dorsal du thalamus et à des structures du lobe médio-temporal, en particulier l’hippocampe (Squire, 1987). Cette structure du système limbique joue un rôle important dans l’indexation des souvenirs. Elle n’est pas un lieu de stockage mais permet la consolidation des souvenirs en confrontant différentes informations sensorielles ou différents programmes moteurs déjà stockés dans le néocortex, aux données transmises par les systèmes de renforcement situés dans l’hypothalamus. Elle permet ainsi l’élimination des informations non renforcées et la stabilisation de celles qui l’ont été. Une information ne devenant utilisable qu’après avoir été comparée et intégrée dans l’ensemble des informations déjà conservées, l’hippocampe, tel un comparateur, diminuerait les phénomènes d’interférence par l’indexation des informations stockées. Sa lésion entraîne donc une augmentation des interférences résultant de l’impossibilité d’inhiber des informations antérieurement acquises, d’où un déficit de la mémoire de consolidation. Ce trouble fut observé pour la première fois chez le célèbre patient H. M. qui avait subi une ablation bihippocampique à la suite de graves crises épileptiques.

Les amnésies transitoires dues à des électrochocs ressemblent au syndrome amnésique mais il est difficile de définir les régions cérébrales impliquées.

Les amnésiques de type alcoolique Korsakoff souffrent de lésions thalamiques mais aussi d’autres aires comme les lobe frontaux. Superposé au syndrome amnésique typique, ce déficit des lobes frontaux entraîne des déficits disproportionnés dans certaines fonctions comme la discrimination, la métamémoire et la reconnaissance libre.

Si la circonscription d’aires cérébrales lésées semble à première vue soutenir la thèse localisationniste et l’identification de différents systèmes de mémoire, cette circonscription n’est pas si simple. En effet, selon Squire (1987), l’identification de régions cérébrales critiques dans les troubles amnésiques ne peut fournir qu’un point de départ, le point essentiel étant de relier ces structures cérébrales à des structures neuroanatomiques afin de délimiter un système neuronal adéquat. Pour cet auteur, la mémoire ne peut être uniquement localisée à des régions et unités cérébrales spécifiques. Elle est aussi distribuée sur un ensemble de régions et d’unités neuronales. Dans cette perspective qui tente de réconcilier les interprétations localisationnistes et distribuées, la mémoire serait largement distribuée sur l’ensemble du cerveau mais différentes régions cérébrales stockeraient différents aspects d’une information. Des micro traits ou composants de l’information seraient traités et stockés par de petites assemblées de neurones fonctionnellement spécialisées. Selon Changeux (1992) et Edelman (1992), la mémoire ferait intervenir beaucoup d’aires du cerveau mais sans correspondance systématique entre aires et fonctions. Dans cette perspective, elle serait un seul système au sein duquel seraient distribuées les informations. Cette distribution obéirait cependant à des spécificités, à travers lesquelles pourraient être interprétées les troubles et dissociations neuropsychologiques.

Rousset (2000) souligne que la dissociation neuropsychologique est une méthode d’indépendance fonctionnelle dont la variable manipulée est la présence ou l’absence de la lésion. Selon lui, les résultats reflèteraient des différences de processus plutôt que l’existence de stocks mnésiques distincts.